FILIGER. Voici un peintre qui a été totalement oublié durant de nombreuses années alors que de son vivant il était apprécié de Gauguin et des autres artistes de l’École de Pont-Aven. Sa vie est exceptionnelle. Charles Filiger (1863-1928) est né à Thann en Alsace. En 1885 il arrive à Paris et se lie avec d’autres peintres. Il fait alors quelques séjours à Pont-Aven, un village de Bretagne devenu accessible par le train, où les artistes trouvent un dépaysement et des paysages qui les inspirent. En 1890 il s’installe au Pouldu, près de Pont-Aven, où il vivra presque sans interruption durant quinze ans. Grâce à la recommandation de Paul Gauguin, il expose quatre œuvres au Salon des XX à Bruxelles en 1891. La même année il fait la connaissance d’Antoine de la Rochefoucauld qui deviendra son mécène et lui octroiera une rente de cent francs par mois, sans contrepartie, jusqu’en 1901. Cela ne suffit pas en raison de ses besoins d’alcool et d’éther. Peu à peu Filiger s’enfonce dans la misère et se met à errer en Bretagne, demandant l’asile dans des hospices et des maisons d’aliénés. En 1908, un historien de l’art indique dans un livre que Filiger est décédé ! Finalement il retourne dans des hôtels et finit par être pris en charge par la famille Le Guellec suite à un accord avec sa propre famille. Il vivra avec eux jusqu’à sa mort en 1928.
Malgré tout, durant ces années, il continue de peindre, surtout des gouaches, et d’illustrer quelques livres et il participe à quelques expositions comme celle des « Peintres impressionnistes et symbolistes », celle du « Groupe ésotérique », ainsi que celle du « Salon des indépendants » et même, plus tard et sans le savoir, dans la section des « expositions posthumes » de ce Salon !
Son œuvre est toute empreinte de mysticisme comme on peut le constater dans la présente exposition qui rassemble près de 80 œuvres de Filiger. Il y a bien quelques paysages (Paysage de Bretagne, vers 1892-1893 ; Paysage du Pouldu, vers 1895), y compris un Paysage pointilliste (vers 1888-1889), des nus (Petit buste de femme, vers 1888 ; Le Repos, vers 1889-1890 ; Homme nu assis devant un paysage, 1892), des portraits (Buste de jeune bretonne, vers 1889 ; Tête d’adolescente, vers 1890-1892 ; Antoine de la Rochefoucauld, vers 1896) mais la majorité des tableaux exposés sont des représentations de La Sainte Famille, de Sainte en prière, de Jeanne d’Arc, de Christ en croix, de Vierges, de saints, etc. Certaines compositions se détachent des autres comme ce diptyque, Le Jugement dernier, vers 1891-1898 ; ou encore Déploration sur le corps du Christ, vers 1893-1895. Dans son Christ au tombeau (1892-1895), on peut voir, en arrière-plan, un paysage de Bretagne évoquant l’un de ses tableaux.
À la fin de sa vie, Filiger peint, avec règle et compas, des Notations chromatiques (vers 1915-1928) qui rappellent les recherches faites à la même époque par Paul Sérusier et Vassily Kandinsky, comme on a pu le voir au musée d’Orsay où sont présentés plusieurs tableaux de Filiger dans l’exposition « Le Talisman de Paul Sérusier » (Lettre 474).
Décédé dans l’anonymat, c’est à André Breton que Filiger doit d’être connu aujourd’hui. Breton découvrit son existence en 1946 en lisant la correspondance de Gauguin, garant du talent de Filiger, puis l’article très élogieux d’Alfred Jarry publié en 1894. Il n’a alors de cesse de retrouver des tableaux du peintre, dont il tapisse sa chambre, et de le faire connaître.
Comme son père Maurice Malingue, qui avait fait une exposition sur « Gauguin et ses amis » à la fin des années 1940, Daniel Malingue nous offre aujourd’hui, dans sa galerie, cette exceptionnelle rétrospective, d’une manière totalement bénévole et gratuite. En outre, le produit de la vente du magnifique catalogue préparé par André Cariou, commissaire de cette exposition, sera reversé à l’association Vaincre le Cancer. Une exposition à ne pas manquer. R.P. Galerie Malingue, 26 avenue Matignon, Paris 8e. Jusqu’au 22 juin 2019. Lien : malingue.art.