FEMMES PHOTOGRAPHES DE GUERRE. Jusqu’à une époque récente la guerre était une affaire d’hommes et c’étaient aussi des hommes qui photographiaient les conflits et leurs conséquences. C’est ce que nous avions constaté dans l’exposition « Photographies en guerre » au musée de l’Armée (Lettre n°549). Il faut attendre la guerre civile espagnole (1936-1939) pour voir des femmes photographes sur les champs de bataille.
L’exposition nous présente Gerda Taro (1910-1937), compagne de Robert Capa, qui couvre la guerre d’Espagne et qui est mortellement blessée sur le front de Brunete près de Madrid. Une fois l’émotion passée, elle tombe rapidement dans l’oubli et ce n’est qu’au début du siècle actuel que l’on cesse d’attribuer à Robert Capa la majeure partie de ses photographies. Celles-ci nous montrent non seulement des soldats républicains mais aussi des femmes s’entraînant au maniement des armes, des orphelins, des réfugiés ou encore la foule qui se masse devant les portes de la morgue de Valence. On le voit, Gerda Taro témoigne d’une grande empathie à l’égard des victimes de la guerre. C’est sans doute l’une des caractéristiques du travail de ces femmes photographes de guerre d’être également proches des familles.
Une autre pionnière est Lee Miller (1907-1977) que l’on voit prenant un bain dans la baignoire d’Hitler. Accréditée par l’armée américaine, elle commence son travail en juillet 1944 et suit les troupes alliées jusqu’à Dachau et Buchenwald, révélant l’étendue des crimes commis par les nazis. Parmi les photos exposées, on remarque celles de femmes tondues pour lesquelles Lee Miller n’éprouve aucune compassion. Après la guerre, elle fait une dépression, refoule ce qu’elle avait vu et abandonne la photographie. Ce n’est qu’après sa mort que son fils découvre ses nombreux clichés de la période de guerre.
Les six autres photographes mises à l’honneur dans cette exposition sont toutes nées après la Seconde Guerre mondiale. La première est la française Catherine Leroy (1944-2006) qui, sans aucune expérience, âgée d’à peine 21 ans, se rend au Viêtnam et accompagne les Marines américains dans leurs expéditions contre les combattants communistes nord-vietnamiens. Ses photographies montrent la douleur des soldats près de leurs camarades morts, mais aussi la brutalité de ceux-ci envers les personnes suspectées d'appartenir aux forces du Viêt-cong. Capturée par les forces nord-vietnamiennes, elle est relâchée à condition de présenter ces dernières comme une armée aussi puissante que celle des américains. Son reportage « L'ennemi m'a permis de photographier » fait la une de Life le 16 février 1968.
Une autre française, Christine Spengler (née en 1945), présente lors de la présentation à la presse de cette exposition, couvre un grand nombre de conflits, depuis un voyage au Tchad en 1970, où elle est emprisonnée pendant plusieurs semaines. Elle décide d’apprendre son métier sur le terrain « pour devenir correspondante de guerre et témoigner des causes justes ». C’est ce qu’elle fait en Irlande du Nord, au Viêtnam, au Cambodge, au Sahara occidental, en Iran, au Nicaragua, au Salvador, au Liban, en Afghanistan, en Irak … Partout, elle montre les à-côtés de la guerre, les orphelins, les enfants, les ruines, les cimetières.
Troisième française dans cette exposition, Françoise Demulder (1947-2008) couvre jusqu’au début des années 1990 les conflits du Viêtnam, du Cambodge, de l’Angola, du Liban, de Cuba, d’Éthiopie et d’Irak. Ses photographies d’enfants soldats ou de jeunes volontaires s’entraînant en Angola sont des témoignages rares.
L’américaine Susan Meiselas (née en 1948) rend compte des conflits au Nicaragua et au Salvador. Si la plupart de ses photographies montrent les dures conditions subies par les civils, c’est son cliché d’un jeune combattant lançant un cocktail Molotov enflammé par-dessus les barricades en direction de la Garde nationale qui est le plus impressionnant.
Une autre Américaine, Carolyn Cole (née en 1961) couvre la guerre du Kosovo (1999), puis celles d’Afghanistan, Gaza, Irak, Liberia. Ses photographies de cadavres ou de prisonniers alignés sur le sol sont exceptionnelles.
L’exposition se termine avec l’allemande Anja Niedringhaus (1965-2014) qui se rend sur les conflits de Yougoslavie, d’Afghanistan, d’Irak, de Gaza et de Libye. Ce sont ses photographies qui sont les plus proches des soldats, qu’elle accompagne en sa qualité de « journaliste embarquée ». Elle est abattue lors de sa couverture des élections présidentielles afghanes en 2014.
Une exposition remarquable avec un choix de photographies très éclectique, mettant à l’honneur ces huit femmes, proches témoins de ces guerres meurtrières. R.P. Musée de la Libération de Paris, musée du général Leclerc, musée Jean Moulin 14e. Jusqu’au 31 décembre 2022. Lien : www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr.