FACE À ARCIMBOLDO. Le Musée du Luxembourg avait consacré en 2007 une grande exposition sur le peintre maniériste milanais Arcimboldo (1526-1593) (voir Lettre 274). Celui-ci s’est intéressé à la peinture classique, comme son tableau représentant la famille de Maximilien II de Habsbourg, empereur pour lequel il travailla une grande partie de sa vie, le montre ; au vitrail, pour le Dôme de Milan, avec son père, et aussi à l’organisation de fêtes à la cour des Habsbourg. Mais ce que l’on a retenu de lui, ce sont ses portraits suggérés par des végétaux, des animaux ou des objets astucieusement disposés. Si le plus réussi est celui de Rodolphe II en Vertumne, ce sont ses deux séries des Quatre Saisons qui sont les plus connues. Les historiens de l’art se sont peu intéressés à ce peintre, alors que sa manière remonte à une lointaine tradition et a fait des émules parmi les caricaturistes des siècles suivants. En revanche les surréalistes le redécouvrent au XXe siècle et s’en inspirent. Aujourd’hui certains considèrent son travail comme la première avant-garde anticlassique.
La présente exposition illustre parfaitement cette permanence du maniérisme. Dans une scénographie très ouverte et sans fil conducteur, à part celui d’Arcimboldo dont on voit un petit nombre d’œuvres reflétant ses diverses occupations, les commissaires ont réunis des centaines d’objets réalisés par 135 artistes. Les plus anciens remontent à l’époque romaine avec des fresques de Pompéi et une petite tête de Bacchus en bronze où les grappes de raisin se mêlent aux cheveux. On a aussi un plafond peint du XIIIe siècle, en bois, pas très visible car suspendu, représentant des figures fantastiques, comme un oiseau à trompe ou une tête à jambes.
Parmi les contemporains d’Arcimboldo, nous avons deux tableaux de Matthäus Merian, dont Mysterium Magnum, un géant en forme de montagne sur laquelle des gens s’activent. Sont présents également des objets réalisés en 1866 avec des moules originaux de Bernard Palissy et une paire de tableaux réalisée dans l’atelier d’Arcimboldo, Adam et Ève.
Il y a aussi des œuvres du XVIIe au XIXe siècle signées Antonio Rasio (Inverno ; Primavera, 1685-1695), Comelis Norbertus Gysbrechts (Nature morte au trompe-l’œil, 1663), Francesco Guardi (Caprice avec les ruines d’un aqueduc romain, vers 1770), James Ensor (Masques regardant une tortue, 1894) ainsi qu’une statue d’un sculpteur anonyme représentant un Gardien du jardin (XVIIe siècle) pour ne citer que les principales.
Mais c’est le XXe siècle et l’époque contemporaine qui sont les plus représentés. Nous avons vu l’intérêt que les surréalistes trouvaient dans ce type de peinture. Un panneau rassemble une vingtaine de « Cadavres exquis » réalisés par ceux-ci. Parmi les artistes du siècle dernier, on remarque des tableaux de Marcel Duchamp, Max Ernst, René Magritte, Francis Picabia, Victor Brauner, Otto Dix, etc.
Nos contemporains sont très présents, ce qui prouve la vitalité de l’esprit arcimboldesque. En premier lieu ce sont les installations géantes d’Annette Messager dans le hall d’accueil (Le désir attrapé par le masque, 2021) et de Mario Merz à l’entrée de l’exposition (« L’Effet Arcimboldo », 1987). Ensuite, parmi les artistes les plus proches du maniérisme, nous pouvons citer Tim Noble et Sue Webster avec leur Pink Narcissus (2006), un ensemble de pénis en silicone dont l’ombre projetée représente deux visages de profil ; Claude Lalanne avec son Crocodile (1987), un fauteuil dont le dossier a la forme d’un crocodile ; Gilbert & George avec Mouthed (1992) et Penny Slinger avec I Hear What You Say (1973), qui mettent dans une bouche ouverte, l’un des yeux, l’autre une oreille ; Daniel Spoerri avec ses Corps en morceaux (1993), composés avec des objets hétéroclites de récupération. Mais le plus étonnant est Jan Swankmajer qui tente de reconstituer un cabinet de curiosités, comme l’avait fait Arcimboldo en son temps, avec des objets Arcimboldesques qu’il confectionne avec des roches, des os, des carapaces, etc.
Un film de Pierre Huyghe, Sans titre (Masque humain), de 2014, clôt le « parcours ». L’action se passe dans un restaurant vide, après la catastrophe de Fukushima, où une femelle singe, portant un masque humain, laissée à elle-même, exécute de façon répétitive et sans but, les tâches qu’elle a apprises.
Pas de panneaux didactiques, pas de numéros à côté des œuvres. Il faut aller chercher quelque part sur les murs les descriptifs des objets exposés. Ceux-ci, souvent très intéressants, ont été écrits par les artistes eux-mêmes ou par des spécialistes. Une exposition originale qui nous fait voyager sur deux millénaires. R.P. Centre Pompidou-Metz. Jusqu’au 22 novembre 2021. Lien : www.centrepompidou-metz.fr.