LA FABRIQUE DU LUXE. Les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle. Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le mercier est défini comme un « marchand de tout et faiseur de rien ». Pourtant leur métier était incontournable dans la production et la diffusion des nouveautés telles que les objets d’art. Le mercier pouvait intervenir comme négociant, expert, concepteur, décorateur ou antiquaire. Il achetait, transportait, livrait et même restaurait des objets. Il nouait des relations dans le monde entier, tant avec les fournisseurs qu’avec les clients.
Sur les Six Corps, les merciers formaient la troisième corporation de Paris, ce qui leur conférait une sorte d’aristocratie industrielle ayant droit de présence aux cérémonies et aux parades de la Ville, mais les obligeait également à répondre aux sollicitations financières du roi, comme celle de Louis XIV pour reconquérir la Franche-Comté !
Le parcours de l’exposition, dans une scénographie admirable du Studio Tovar, nous décrit le travail de ces marchands merciers au XVIIIe siècle, avant la suppression des corporations sous la Révolution. Il commence par des explications sur « L’histoire, les statuts et l’organisation de leur corporation ». Au nombre de 200 en 1292, ils étaient plus de 3200 en 1775. Malgré cela on n’en connaît que quelques-uns, mis en exergue dans la troisième salle.
Mais avant de pénétrer dans celle-ci, un détour dans un petit cabinet nous montre quelques objets ayant transité dans leurs boutiques telles cette cage à oiseaux ou cette paire de candélabres à deux branches garnies d’un oiseau et de fleurs. Pour ces deux objets, c’est le mercier qui a monté les fleurs en porcelaine, achetées à une manufacture, comme celle de Vincennes. Ainsi, si les merciers n’ont pas le droit de fabriquer des objets, il leur est permis d’enjoliver les marchandises qu’ils vendent. Cela nous introduit dans la salle suivante intitulée « Le goust des marchands merciers ». Ce sont eux qui choisissent les meilleurs fournisseurs, que ce soit à Paris, à Lyon ou en Chine, allant jusqu’à établir un monopole avec eux. Certains sont même spécialisés dans tels types d’objets : ameublement, porcelaine, laque, etc. La cour et les clients internationaux connaissent leur adresse et leur réputation et n’hésitent pas à payer plus cher pour être mieux servis. Parmi les rares merciers connus, citons Gersaint, un ami de Watteau qui peignit pour lui une enseigne inhabituelle. Il s’agit d’une toile de 166 x 306 cm représentant l’intérieur d’une boutique pleine de tableaux et bien achalandée. Cette enseigne fit sensation et contribua à la renommée de Gersaint, installé sur le pont Notre-Dame, un lieu très fréquenté. Un décor inspiré de cette enseigne, conservée aujourd’hui à Berlin, est visible en fin d’exposition.
De nombreux objets – assiettes, encoignures, coupe en jade, pendule, tabatière, vases, etc. et même une lanterne magique - d’une beauté et d’une qualité exceptionnelles, illustrent le travail de ces merciers.
La dernière salle nous décrit les stratégies de ces marchands. Certains réalisent eux-mêmes des dessins d’objets à réaliser. Il s’agit de se démarquer des concurrents sans toutefois leur nuire. Tous appartiennent à la même corporation et s’entraident lorsque c’est nécessaire. Ainsi, lors d’un décès ou d’un dépôt de bilan, les merciers rachètent le stock à la veuve ou à leur infortuné confrère.
L’exposition se poursuit au milieu des collections permanentes. En effet celles-ci renferment un grand nombre d’objets du XVIIIe siècle qui sont certainement passés dans les mains de marchands merciers, spécialement signalés à cette occasion. Une exposition aussi instructive que ravissante. R.P. Musée Cognacq-Jay 3e. Jusqu’au 27 janvier 2019. Lien: www.museecognacqjay.paris.fr.