L'EMPIRE DES SENS
de Boucher à Greuze

Article publié dans la Lettre n°527 du 7 juillet 2021



 
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L’EMPIRE DES SENS. De Boucher à Greuze. A l’occasion du 250e anniversaire de la mort de François Boucher (1703-1770), le musée Cognacq-Jay présente une exposition audacieuse et inédite qui explore le thème de l’amour dans sa forme la plus licencieuse.
Le XVIIIe siècle signe l’avènement du plaisir des sens. L’amour y occupe une place dominante dans les arts. Tous les artistes, romanciers et philosophes investissent le thème des passions amoureuses et des désirs charnels. En peinture cela commence avec Antoine Watteau (1684-1721) dont on voit Le Jugement de Pâris (vers 1718-1721) ainsi qu’un dessin représentant une femme ôtant sa chemise, l’équivalent de nos sous-vêtements. C’est à son école que Boucher apprend la sensualité d’une nuque, la puissance suggestive d’un regard ou encore la volupté d’un fessier dont il se fait une spécialité. L’œuvre de Watteau est tout entier consacré à l’amour. Au contraire, celui de Boucher, peintre de Louis XV, est extrêmement varié et aborde tous les genres : peinture religieuse, sujets mythologiques, scènes rustiques, paysages, animaux, décorations de monuments et de maisons particulières, modèles de tapisserie. Ses œuvres érotiques, réservées à une clientèle particulière, étaient moins visibles mais bénéficiaient elles-aussi de sa virtuosité.
Le parcours en huit sections nous montre comment on est passé de la représentation d’un corps nu, « objet du désir », à celle d’un viol. Les artistes ont mis au point un ensemble de conventions qui suggèrent certains actes sans les montrer explicitement. C’est ainsi qu’un œuf ou une cruche cassés, une bougie consumée, du lait renversé, sont autant de symboles, à l’époque, de la perte de virginité (Boucher : La Belle cuisinière, vers 1735 ; Greuze : La Cruche cassée, 1772).
Comme l’avaient fait Titien, Rubens ou Poussin, la représentation du désir a commencé avec des scènes mythologiques comme celles de Danaé recevant la pluie d’or (Boucher, vers 1740), Sylvie délivrée par Aminte (Boucher, 1755) ou encore Léda et le Cygne (Boucher, 1742). Mais au XVIIIe siècle on représente aussi des scènes profanes. Gabriel de Saint-Aubin inverse le rôle habituel du voyeur, le plus souvent un satyre, en représentant une jeune fille regardant un pêcheur entièrement nu (Le Cas de conscience).
Pour représenter avec tant de véracité ces corps féminins nus, il fallait ruser avec les interdits. En effet, au siècle des Lumières, il est défendu de faire poser une femme nue à l’Académie ou dans un atelier ! C’est l’objet de la troisième section, « Le modèle désiré » où l’on voit bien à quelles fins un peintre veut en arriver avec son modèle (Fragonard,  Les Débuts du modèle, 1770-1773).
En 1745, Boucher peint l’une de ses œuvres les plus singulières, L’Odalisque brune, une jeune femme, quasiment nue, allongée sur le ventre, exhibant son fessier. Ce tableau n’a aucun prétexte narratif et n’est donc rien d’autre qu’un portrait de fesses. Malgré sa confidentialité, ce tableau, très décrié par Diderot, fit l’objet de nombreuses répliques. On en voit plusieurs signées Gilles Demarteau ou Pierre-Charles Levesque ainsi qu’une Odalisque blonde, dit La Rêveuse, dont le peintre est resté anonyme.
À côté de ces tableaux somme toutes pudiques, Boucher et ses suiveurs ont représenté de véritables scènes d’amour réservées aux espaces les plus privés de l’habitat de leurs commanditaires. On a ainsi des portraits de femmes en extase (Greuze, La Volupté, 1765 ; Baudouin, La Lecture, vers 1765) ; de baisers fougueux (Boucher, Hercule et Omphale, vers 1732-1735) ; d’enlacement (attribué à Pater, L’Étreinte, vers 1730) et même de viol (Fragonard, La Résistance inutile, vers 1770-1773), un thème développé dans la dernière section.
En contrepoint à ses tableaux et dessins de maîtres, une huitième section, « Erotica » nous présente une soixantaine d’œuvres (estampes, miniatures, peintures, boîtes à secret, etc.) du XVIIIe siècle, réunies par le collectionneur Mony Vibescu. Celles-ci, très prisées à l’époque mais vendues sous le manteau, dévoilent les rivages les plus secrets de l’imaginaire érotique du siècle des Lumières. Les sujets sont assez singuliers, souvent drôles (Sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle ; Si les cons volaient comme des bécasses). Certains détournent des thèmes classiques comme Les Quatre Saisons ou Imploration du dieu Pan, d’après une sculpture de Clodion. Une exposition remarquable et bien documentée. R.P. Musée Cognacq-Jay 4e. Jusqu’au 18 juillet 2021. Lien : www.museecognacqjay.paris.fr.


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