DERAIN, BALTHUS, GIACOMETTI. Une amitié artistique. L’entrée dans les collections du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris de la Grande Bacchanale noire (1935-1945) de Derain (1880-1954) est l’occasion de rendre hommage à ce « second Derain », celui des années 1920-1930 et surtout des toutes dernières années, incompris du grand public, qui préfère ses années fauves à ses toiles tout imprégnées du passé. Et pourtant « c’est en entrouvrant la porte du passé que Derain fait remonter vers le XXe siècle toute l’énergie de la peinture des temps lointains. » Giacometti (1901-1966) et Balthus (1908-2001) le comprennent très vite. Ces trois artistes vivent une amitié exceptionnelle faite d’admiration et d’estime réciproques. C’est ainsi que Balthus organisera en 1970, à la Villa Médicis, une rétrospective de Giacometti et en 1976 une autre sur Derain.
Les quelque 350 œuvres (peintures, sculptures, œuvres sur papier et photographies) provenant des plus grandes institutions d’Europe, d’Amérique et du Japon montrent, tout au long d’un parcours en huit sections, les ressemblances et les interactions entre ces trois artistes. C’est particulièrement évident dans des sections comme « Le regard culturel », où l’on voit l’influence du passé sur leurs œuvres ou « Vies silencieuses » et leur manière d’intensifier la présence physique des paysages ou des figures.
Leur amitié se manifeste aussi par leurs amis et mécènes communs. Ils se peignent les uns les autres et tandis que Pierre Colle est peint par Balthus, son épouse Carmen l’est par Derain. Les sujets eux-mêmes sont emplis de similitudes troublantes. Outre ceux de la section « Le modèle », ceux de la section « Le rêve - visions de l’inconnu » sont particulièrement similaires. On y retrouve le thème classique de la femme couchée et celui du songe, parfois réunis, comme dans la Femme couchée qui rêve (1929) de Giacometti, le Nu allongé au divan vert (vers 1934-1939) de Derain ou le Nu couché (1983-1986) de Balthus.
Au milieu du parcours, la section « Entracte », avec ses deux composantes, « Intermezzo 1 » et « Intermezzo 2 » nous montre le travail considérable de ces trois artistes pour le théâtre et la littérature. Balthus dessine des illustrations pour Les Hauts de Hurlevent (1932-1935). Plus tard, il fait les décors et les costumes pour Les Censi (1935) puis pour L’État de siège d’Albert Camus (1948). Derain réalise les costumes, les décors et parfois le livret de La Concurrence (1932), Fastes et Les Songes (1933), Salade (1935). Plus tard, avec la création du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Balthus est choisi pour réaliser les décors de Cosi fan tutte (1950) et Derain ceux de L’Enlèvement au sérail (1951) et du Barbier de Séville (1953). En 1961, Jean-Louis Barrault demande à Giacometti de réaliser le décor minimaliste de En attendant Godot. Une œuvre de l’artiste contemporain Gerard Byrne, Construction V d’après Giacometti (2006) s’inspire de ce décor minimaliste répondant aux indications scéniques laconiques de Beckett « Route de campagne avec arbre. Soir » !
Une exposition très intéressante permettant de mieux connaître Derain et Balthus, dont les dernières rétrospectives, en France, remontent à 1994 et 1983. R.P. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris 16e. Jusqu’au 29 octobre 2017. Lien : www.mam.paris.fr.