COROT
Le peintre et ses modèles

Article publié dans la Lettre n° 454
du 9 mai 2018


 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

COROT. Le peintre et ses modèles. C’est la première grande exposition consacrée à Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) depuis celle de 1996 au Grand Palais (Lettre 113). Alors que cet artiste est universellement connu pour ses paysages, il réalisa dans son atelier de nombreuses figures qu’il gardait jalousement ou qu’il offrait à des amis ou des collectionneurs. Ce n’est qu’à sa mort que l’on découvrit ces tableaux de toutes sortes, suscitant l’enthousiasme de Braque, Derain et Picasso lors de l’exposition qui lui fut consacrée en 1909. Corot, pilier du Salon avec Delacroix jusqu’à la fin de sa vie, n’y exposa que quatre figures isolées. En effet il considérait cette part de son travail comme expérimentale alors qu’elle faisait l’admiration de ses jeunes contemporains qu’étaient Degas et Manet, les initiateurs de la « nouvelle peinture ».
Le parcours de l’exposition est divisé en dix sections thématiques où sont présentées quelque soixante peintures provenant des plus grands musées du Monde (Louvre, National Gallery de Londres, Metropolitan Museum, Belvedere, etc.). Il commence, avec « Corot et le portrait : un moment d’intimité », par des portraits qu’il réalisa essentiellement dans les années 1830. Parmi ceux-ci, on remarque un petit tableau représentant son compagnon de voyage en Italie, le peintre François Auguste Biard (1830), un charmant portrait de Marie-Louise Laure Sennegon, sa nièce (1831), et des portraits d’enfants tenant des objets familiers et peints avec une maladresse volontaire.
Avec la section suivante, « Figures italiennes : Marietta », nous avons le premier choc de cette exposition tant ce nu, peint à Rome en 1843, rappelle La Grande Odalisque d’Ingres (1814). Avec « Autour du modèle », nous voyons quelques toiles peintes avec des modèles professionnels à la fin des années 1830 et au cours des années 1840. Parmi ceux-ci, La Blonde Gasconne (vers 1850) est remarquable par la force de caractère et la noblesse qui émergent du modèle. Corot était très fier de ce tableau qu’il conserva jusqu’à sa mort et que l’on verra dans plusieurs versions de L’Atelier. A l’opposé, dans La Moissonneuse tenant sa faucille, la tête appuyée sur la main (1838), le modèle fait preuve d’une grande empathie envers l’artiste. La section suivante est tout entière consacrée à un modèle professionnel très connu, « Emma Dobigny », qui posait aussi pour Degas et Puvis de Chavannes. Parmi les trois figures exposées, évoquant toutes la Grèce avec le même costume, La Jeune Grecque (vers 1868-1870) est un véritable portrait d’Emma Dobigny. Avec « Variations poétiques : Italiennes, Liseuses et Femmes à la Fontaine » nous avons des figures appartenant à des séries qui renvoient à des tableaux connus de Raphaël, Poussin ou de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Avec ces variations poétiques, Corot entend réagir à l’affirmation, à partir des années 1850, du réalisme, illustré par Courbet.
A la fin de sa vie, dans les années 1870, Corot se lance dans des figures plus monumentales. C’est l’objet de la section « Figures à mi-corps : se renouveler à 70 ans » où l’on trouve de véritables chefs-d’œuvre tels cette Femme à la perle (vers 1868-1870) qui offre une variation de la Joconde ou La Lecture interrompue (vers 1870), d’une modernité et d’une ampleur inédites chez Corot. Celui-ci s’intéressa aussi aux figures masculines. Nous en avions déjà vues à côté de Marietta, mais c’est avec « Moines : la fusion de l’homme et de la nature » que Corot atteint un sommet en représentant ces hommes absorbés par leur lecture (Moine blanc, assis, lisant, vers 1850-1855) ou leur musique (Le Moine au violoncelle, 1874).
En débouchant sur la grande galerie, nous sommes sous le charme de trois grands nus spectaculaires. Au milieu des années 1850, Corot se rendait compte qu’il devait s’affirmer comme un peintre plus complet que son statut de paysagiste ne le laissait croire à l’opinion publique. A l’Académie, la peinture de nu était encore le « grand genre » ! Avec « Les nus : souvenirs vénitiens à l’heure du réalisme », Corot montre son talent avec ces figures allongées, comme jadis Marietta, mais ici dans des paysages champêtres ou à caractère vaguement mythologique. Parmi ces trois nus, Le Repos (1860) fut exposé au Salon où certains critiquèrent sa « saleté », car ils estimaient que Corot portait atteinte au « grand genre ». En oubliant le prétexte de la mythologie, Manet fut encore plus critiqué avec Le Déjeuner sur l’herbe (1863).
Nous passons devant quelques toiles de femmes lisant ou rêvant réunies dans la section « Mélancolie » et arrivons dans la dernière section « Les ateliers : une réflexion sur l’art du peintre ». Si le thème de l’atelier de l’artiste est classique en peinture, Corot l’utilise pour affirmer sa conception d’un art qui, s’il se fonde sur l’observation attentive du réel, est avant tout œuvre d’imagination. L’atelier est le lieu où se fabrique le tableau et où se conserve le souvenir. Dans la plupart des tableaux exposés ici on voit un modèle féminin, vêtu à l’italienne, assis sur une chaise et contemplant un paysage posé sur un chevalet, tandis qu’au mur sont accrochés des tableaux ou des études du maître. Le même sujet est parfois repris quasiment à l’identique avec de légères variations. Faisant exception, le chef-d’œuvre qu’est La Dame en bleu (1874), pour lequel pose Emma Dobigny, représente une jeune femme debout de trois-quarts, un coude posé sur un meuble, exhibant une somptueuse robe contemporaine avec une cascade de tissu tombant d’une ceinture. Corot cherche ainsi à répondre aux innovations des jeunes peintres comme Degas, Manet ou Monet en fusionnant la modernité avec l’idéal classique. Une magnifique exposition. R.P. Musée Marmottan Monet 16e. Jusqu’au 8 juillet 2018. Lien : www.marmottan.com.


Pour vous abonner gratuitement à la Newsletter cliquez ici

Index des expositions

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » utiliser la flèche « retour » de votre navigateur