CINDY SHERMAN
Une rétrospective. De 1975 à 2020

Article publié dans la Lettre n°511 du 11 novembre 2020



 
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CINDY SHERMAN. Née en 1954, vivant et travaillant à New York, Cindy Sherman développe depuis la fin des années 1970 un œuvre fait de portraits photographiques dont elle est toujours le sujet, bien qu’il ne s’agisse jamais d’autoportraits. De ses photographies elle dit « techniquement, elles le sont peut-être, mais je ne vois pas ces personnages comme moi ». Contrairement à de nombreux artistes d’aujourd’hui qui s’entourent de toutes sortes de collaborateurs, Sherman assume tous les rôles : modèle bien sûr mais aussi maquilleuse, costumière, accessoiriste, metteuse en scène, photographe et même technicienne photo. Dès son enfance, elle a ce parti-pris de se mettre en scène comme le montre cet album photo, A Cindy Book, où elle a inscrit sous toutes les photographies la représentant « That's me !», c'est à dire, « C'est moi ! ». La quatrième section nous dévoile ses premières œuvres. Par exemple cette série de 23 photographies en noir et blanc (Untitled #479) où elle passe d’une jeune fille sérieuse à lunette, à une star aux lèvres rouges, les dernières photographies étant coloriées à la main. Ou encore ces couvertures de magazines (Cover Girl) dont elle réalise plusieurs variantes (Mademoiselle, Vogue, Redbook, Cosmopolitan) en modifiant par ses mimiques l’aspect de son visage. En 1976, elle écrit une véritable fiction avec 72 scènes où elle montre 244 silhouettes découpées et collées où elle joue tous les rôles, hommes et femmes (A Play of Selves). Plus tard, de 1977 à 1980, elle réalise 70 photographies de plateau, de films imaginaires (Untitled Film Still) où Anna Magnani, Kim Novak, Jeanne Moreau ou Brigitte Bardot pourraient avoir joué.
Après ces débuts, le parcours adopte un ordre chronologique, sauf exceptions, pour nous présenter les travaux de Cindy Sherman jusqu’à aujourd’hui. Si ses œuvres n’ont pas de nom, seulement des numéros, elles sont par contre regroupées dans des séries nommées. On commence (2e section) par Rear screen projections (1980) où elle adopte la technique de la transparence, utilisée au cinéma à partir des années 1930, consistant à faire jouer des acteurs devant un film (pour elle, une simple diapositive) projeté derrière eux. Cette fois, ses photographies sont en couleur et elle continuera ainsi à de rares exceptions près.
Suzanne Pagé, la commissaire, a placé ici la série Flappers (2016-2018) car elle traite elle aussi du cinéma, dans l’entre deux-guerres cette fois, avec des portraits d’actrices qui sont parfois forcées de rejouer les mêmes comédies familiales en dépit de leur âge.
Avec Centerfolds (1981), Cindy Sherman réalise une commande de doubles pages centrales pour la revue Artforum où elle remplace les photos de nus par des jeunes filles rêveuses, fragiles ou amoureuses. Trouvant ces images dégradantes et se méprenant sur leur sens, la revue ne les a pas publiées.
Cindy Sherman s’est beaucoup intéressée à la mode. Elle a même travaillé pour des couturiers tels Jean-Paul Gaultier, Rei Kawakubo (Comme des Garçons) et Balenciaga. Plusieurs sections nous montrent les séries qu’elle fit en 1983-1984 ; 1993-1994 ; 2007-2008 et 2016-2018. Si elle utilise effectivement les vêtements qui lui sont confiés, en revanche, elle crée une galerie de personnages absents, agressifs ou extraordinaires. Les costumes et accessoires qui lui sont remis deviennent souvent méconnaissables et s’intègrent à un imaginaire propre à l’artiste.
Sherman s’est aussi intéressée aux contes de fée (Fairy Tales, 1985), série dans laquelle elle emploie des prothèses, et plus tard au sexe (Sex and surrealist pictures, 1992-1996), série où elle n’apparaît pas et où elle utilise des pantins et des accessoires divers.
Avec la série History Portraits (1989-1990), elle réinterprète la peinture occidentale classique, incarnant tour à tour Madone, nobles et bourgeois, de la Renaissance au XIXe siècle. Dans cette galerie de trente-cinq portraits de formats différents dont onze sont ici, quatre seulement se réfèrent à une œuvre en particulier (Caravage, Jean Fouquet, Ingres et Raphaël).
Parmi les autres thèmes explorés par Sherman, nous avons les séries Masks (1994-1996) et Clowns (2003-2004). C’est à partir de ces derniers qu’elle commence à utiliser le numérique et les manipulations d’images qu’il permet avec Photoshop.
Dans ses dernières séries, elle revient au portrait. Nous avons ainsi Society Portraits (2008) où l’on voit de vieilles femmes fortunées mais décrépies et Men (2019-2020) où elle compose des silhouettes masculines qui apparaissent dans des paysages variés.
Dans l’exposition connexe, « Crossing Views », dont nous rendons compte par ailleurs, nous pouvons voir sept tapisseries réalisées en 2019 à partir de photographies qu’elle a publiées sur Instagram après s’être enlaidie, détournant ainsi les outils utilisés habituellement pour supprimer les imperfections !
Avec ses 24 sections et ses 170 œuvres, la plupart de grandes dimensions, présentées dans une scénographie agréable qui les met bien en valeur, cette exposition nous donne une vue complète de l’œuvre de cette grande artiste, unique en son genre. R.P. Fondation Louis Vuitton 16e. Jusqu’au 3 janvier 2021. Lien : www.fondationlouisvuitton.fr.


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