CHÉRI SAMBA
dans la collection Jean Pigozzi

Article publié dans la Lettre n°588 du 28 février 2024



 
Pour voir le parcours en images et en vidéos de l'exposition, cliquez ici.

CHÉRI SAMBA dans la collection Jean Pigozzi. Chéri Samba, son nom d’artiste, est né en 1956 dans l’ancien Congo Belge. Il est l’aîné d’une famille de dix enfants dont le père est forgeron et la mère agricultrice. Nous avons déjà vu quelques-unes de ses œuvres, la plupart de grandes dimensions, dans diverses expositions. Citons «Intrusion au Petit Palais» (Lettre 276); «Mémoires vives» (370); «Une brève histoire de l’avenir» (388); «Picasso.mania» (391); «Vivre !!» (403); «Art/Afrique, le nouvel atelier» (435); «Ex Africa» (526) ou encore «Face à Arcimboldo» (531). C’est dire si Chéri Samba est bien, sans conteste, l’un des peintres les plus célèbres du continent africain, mais pas que !
La présente exposition, avec une soixantaine d’œuvres, nous offre une véritable rétrospective de cet artiste qui se définit comme «peintre-journaliste». En effet, Samba aime se mettre en scène – il est passé maître dans l’art de l’autoportrait – et incorpore dans la plupart de ses peintures des textes en lingala, en kikongo, en français et même en anglais. À ceux qui voient dans ce procédé une faiblesse, il rétorque dans Remerciements à la griffe sambaïenne (2000) que cela lui permet d'enrichir ses messages et de provoquer des débats. C’est ce qu’il nomme la «griffe sambaïenne». Ces textes explicitent et complètent le tableau. Ils obligent aussi le visiteur à rester plus longtemps devant les toiles pour déchiffre ce qui est écrit. C’est pourquoi, dans le parcours en images qui accompagne cet article, nous avons ajouté des agrandissements des visuels pour faciliter la lecture des messages.
Le parcours est conçu en cinq parties, autant de thématiques majeures de l’œuvre de Chéri Samba. Dans la première section «L’autoportrait comme usage du monde» l’artiste se montre à différentes périodes de sa carrière, depuis l’ouverture de son atelier à Kinshasa en 1975. Cela lui permet d’éviter que des individus croient se reconnaître dans ses peintures et également d’accroître sa notoriété. Parmi toutes ces toiles, la plus célèbre est l’une des versions de J’aime la couleur (2003) où il représente son visage en forme de spirale sur fond de ciel bleu, un pinceau entre les dents, sur lequel sont déposés divers objets, différents d’une version à l’autre.
Dans la deuxième section, Chéri Samba aborde un thème, «La femme multiple» très important dans son œuvre. Même si certaines sont nues comme dans Le Deuxième bureau (1991), nom que l’on donne à sa maîtresse dans l’Afrique francophone, il n’y a pas de rapport intime entre Samba et son sujet. La femme est représentée sous tous ses attributs, de la mère à l’épouse en passant par la maîtresse, la femme d’affaire et la prostituée. Comme ses confrères africains, Samba a peint également la sirène Mami Wata (Mère des Eaux) ainsi que Mbangala, «la femme-aux-neuf-mamelles», l'ancêtre mythique du peuple Yombe.
Avec la troisième section « Kinshasa, le Congo et l’Afrique », Samba nous donne un aperçu de la vie trépidante de la grande ville francophone qu’est Kinshasa. Il nous montre aussi les abus de la solidarité africaine permettant à certains de vivre aux crochets des autres sans essayer de travailler, ou encore la crédulité des paysans qui se font exploiter par des profiteurs. La politique n’est pas oubliée avec le Petit-Kadogo, un tableau dont le titre est en anglais pour donner une plus large diffusion à cet hommage aux enfants-soldats enrôlés par Kabila. Ce dernier renversera Mobutu dont le départ était souhaité depuis longtemps comme le montre la toile Ultimatum (1997/1999), commencée par Cheik Ledy (1962-1997), jeune frère et assistant de Chéri Samba, mort du sida.
La politique irrigue encore la quatrième section, «géopolitique», avec des toiles telles que À qui la traite négrière a-t-elle réellement profité? (2001) ou encore Après le 11 Sep 2001 (2002). Avec Le monde vomissant (2004) il fustige George Bush et son mensonge sur la prétendue présence d’armes de destruction massive en Irak. Plus curieusement, avec Le monde avant les continents (2011), Samba nie la responsabilité des hommes dans le réchauffement climatique, qu’il compare à la dérive des continents, à une époque où l’homme n’existait pas !
Dans la dernière partie, «Histoire de l’art revue et corrigée», Chéri Samba témoigne de la frustration des artistes africains de ne pas être reconnus dans l’histoire de l’art. En effet, cet artiste autodidacte n’a eu de cesse de revendiquer que les artistes non occidentaux soient également présents dans les musées d’art moderne. Il l’exprime à travers de nombreuses toiles comme celles du triptyque Quel avenir pour notre art ? (1997) où il se représente à côté de Picasso, à la peau noire lui-aussi. Ou encore avec Déjà (2007) où il célèbre son entrée dans le dictionnaire Hachette et l'encyclopédie Larousse, tout en remerciant Jean Pigozzi, son principal collectionneur, qui a grandement contribué à faire connaître l’art africain contemporain.
En dehors du parcours, accroché en regard de nus peints par Maillol, nous avons un magnifique nu, Dans la chambre (1998), une femme nue endormie dans la pièce qu’un décorateur perplexe vient peindre.
Une superbe exposition, avec une scénographie très réussie, qui nous permet de mieux comprendre les messages de ce «peintre-journaliste». R.P. Musée Maillol 7e. Jusqu’au 7 avril 2024. Lien : www.museemaillol.com.


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