CEZANNE ET LES MAÎTRES
Rêve d'Italie

Article publié dans la Lettre n°500 du 1er avril 2019



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

CEZANNE ET LES MAÎTRES. Rêve d’Italie. Voici une exposition originale, la première de ce genre, qui montre l’influence des grands peintres italiens ou ayant travaillé en Italie sur Cezanne (1839-1906). Si le maître d’Aix « rêvait d’Italie », il n’a pourtant jamais visité ce pays. En revanche, il a lu à plusieurs reprises le livre de Stendhal « Histoire de la peinture en Italie » et, surtout, il a admiré et copié tant au musée d’Aix-en-Provence qu’au musée du Louvre, les tableaux de ces maîtres. Très cultivé, il a lu dans le texte les grands auteurs romains, l’une des principales sources de sujets historiques ou mythologiques, la « grande peinture » selon les critères de l’Académie. Néanmoins, sa demande d’admission à l’École des Beaux-Arts ayant été refusée, il n’a jamais été influencé par les critères académiques de celle-ci et a pu peindre à sa guise.
Le parcours en six étapes de l’exposition nous permet de confronter des tableaux de Cezanne à des tableaux d’autres peintres. En aucun cas il ne s’agit de copie. Cezanne en a réalisé mais ce n’est pas le sujet de cette exposition. Les commissaires ont choisi une vingtaine de toiles de Cezanne et autant de tableaux de Titien, Tintoret, Giordano, Bassano, Ribera ainsi que Greco et Poussin qui ont travaillé respectivement à Venise et à Rome.
Après un panneau didactique expliquant l’objet de l’exposition, à savoir regarder une toile comme un peintre le fait, s’intéresser plus à sa composition, à sa gamme chromatique, à son atmosphère, qu’au sujet, nous avons un premier exemple de correspondance. Il s’agit de La Descente de croix de Tintoret (1580) et de La Femme étranglée de Cezanne (1875-1876). Si les sujets n’ont aucun rapport, on voit en revanche que ces deux peintures sont construites sur la base d’un triangle avec une oblique déterminante pour l’effet dramatique de chaque scène.
Les trois sections suivantes sont consacrées aux peintres de Venise et Naples, puis de Rome et enfin aux natures mortes. Parmi les correspondances picturales exposées ici, nous avons tout d’abord la Scène religieuse de Cezanne (1860-1862). Elle reprend la composition bipartite, classique pour séparer la sphère céleste du monde terrestre, et la composition en triangle des personnages du bas de Jésus au Jardin des Oliviers de Greco (vers 1600-1610). Nous avons également Le Meurtre de Cezanne (1870) qui reprend la composition et les jeux d’ombre et de lumière de La Déploration du Christ de Tintoret (1580). On voit là-aussi, comme au début de l’exposition, que les sujets n’ont aucun lien. La correspondance la plus évidente, pour un profane, se voit avec La Toilette funéraire de Cezanne (1869) et La Déposition du Christ de Ribera, dont on ne voit que la reproduction car le tableau du Louvre, très grand, est intransportable. Dans ce cas, il est évident que l’artiste a repris la composition de Ribera avec un personnage allongé dont le buste est relevé et un jeu chromatique simplifié d’où émerge un rouge brillant.
Parmi les correspondances de la troisième section « Cezanne regarde : Rome », la plus spectaculaire est un trio formé par Paysage avec Bacchus et Cérès (vers 1625-1628) et Moïse sauvé des eaux (1638), tous les deux de Poussin, et Pastorale de Cezanne (1870). Un groupe à gauche campe la composition en hauteur, formant une verticale, tandis qu’un autre groupe anime le premier plan, formant une horizontale. Dans les trois tableaux, la fusion des personnages et de la nature est un autre point de rencontre. Le parcours en images qui complète cet article montre des exemples dans d’autres genres : portraits (Jeune fille de Trevisani et Émile Zola), paysages (Paysage classique de Millet et La Montagne Sainte-Victoire), nus (Putti, concert d’amours de Poussin, Quatre baigneuses), etc.
Pour les natures mortes, là-aussi Cezanne revisite les agencements d’objets et de fruits de Munari ou encore de Vanité avec crâne et partition (1640) de Rosa pour sa Nature morte avec crâne et chandelier (1900-1904).
Si les maîtres italiens ont inspiré Cezanne, celui-ci, à son tour, a inspiré la génération qui lui a succédé. On connaît tous son apport au cubisme avec ses constructions géométriques typiques de sa dernière période. Par contre, c’est une découverte de constater ce que lui doivent les peintres italiens du Novecento, du nom d’une exposition de 1923 à Milan. C’est l’objet des deux dernières sections.
Dans la première, nous avons des natures mortes de Giorgio Morandi ou des paysages d’Ardego Soffici, Ottone Rosai ou Carlo Carrà construits comme ceux de Cezanne. Il en est de même avec des portraits de Mario Sironi ou d’Umberto Boccioni. La filiation est absolument frappante. Elle l’est encore plus dans la dernière section quand on compare les Cinq baigneurs (1900-1904) de Cezanne, un sujet qui lui était aussi cher que ses représentations étaient controversées par ses contemporains, avec Baigneurs (1915) de Morandi ou Baigneuses de dos (vers 1955) de Fausto Pirandello.
On l’aura compris, avec cette soixantaine de tableaux prêtés par plus de 40 collectionneurs privés et musées du monde entier, en peinture « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Une très belle exposition, instructive, bénéficiant d’une scénographie absolument remarquable. R.P. Musée Marmottan Monet 16e. Jusqu’au 5 juillet 2020. Lien : www.marmottan.com.


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