Parcours en images de l'exposition

CA’ D’ORO
Chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°567 du 5 avril 2023





Titre de l'exposition
Entrée avec quelques objets de la collection Al Thani.
INTRODUCTION

Joyau de l'architecture gothique, la Ca' d'Oro compte parmi les palais les plus célèbres de Venise. Édifié sur les rives du Grand Canal au XVe siècle pour un riche marchand, Marino Contarini, le bâtiment possédait originellement sur sa façade un décor polychrome, d'où son sur nom de «maison d'Or».
Divisé au fil des successions, le palais tombe progressivement à l'abandon. Au XIXe siècle, il commence à être dépecé : son escalier intérieur est démantelé, la margelle de son puits vendue. En 1894, il est sauvé de plus amples destructions par un collectionneur passionné, le baron Giorgio Franchetti qui acquiert le palais et entreprend sa restauration.
En 1916, Franchetti fait don du bâtiment et de sa collection d'œuvres d'art à l'État italien. Au noyau de sa collection sont ajoutées des œuvres issues d'édifices civils et religieux, provenant de Venise. En 1927, un peu plus de quatre ans après la mort de Franchetti, le musée, véritable lieu de mémoire de la ville, ouvre au public.
Alors que la Galleria Giorgio Franchetti alla Ca' d'Oro entre dans une phase de rénovation, la Collection Al Thani se réjouit d'accueillir une sélection de ses chefs-d'œuvre et d'offrir, à travers elles, une évocation de la Renaissance à Venise.

 
Texte du panneau didactique.
 
Vue de la façade de la Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro sur le Grand Canal Venice. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.


1 - Venise sortie des flots : la patiente fabrication d’un miracle

Scénographie
Venise est née comme un refuge dans les marais au fond de l'Adriatique, au moment des invasions barbares. De cette position périphérique, les Vénitiens ont su faire une capitale du commerce, entre Orient et Occident, entre la Méditerranée et le nord de l'Europe. Consciente de son caractère unique, cette ville moderne et prospère s'est construit une identité visuelle en intégrant à son paysage architectural des fragments de monuments romains. Marbres et porphyres furent prélevés autour de l'Adriatique et en Orient. Après 1204 et le sac de Constantinople, Venise va se parer de ce riche butin. Elle connut une période florissante, une réussite manifestée par la splendeur des arts. Sa puissance se trouva ébranlée par la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, mais ce recul ne se manifestera que bien plus tard : la fin du XVe siècle et le XVIe siècle furent au contraire une période de fécondité artistique inégalée. Les œuvres rassemblées ici en témoignent, offrant les multiples visages de la Renaissance vénitienne, novatrice et riche de son héritage antique.
 
Texte du panneau didactique.
 
Pichet avec le lion de saint Marc. Romagne, 1470 - 1510. Faïence.

L'évangéliste saint Marc, dont les reliques furent volées à Alexandrie par les Vénitiens, est le patron de la ville. Le lion ailé, son symbole, est omniprésent sur les bâtiments publics comme sur les objets les plus modestes de la vie quotidienne.
 
Atelier de Severo da Ravenna (connu en 1496 - avant 1538). Cheval cabré. Bronze, patine brune.

Severo a diffusé ce modèle, mais il n’est pas certain qu'il en ait inventé la composition, attribuée par certains à Bartolomeo Bellano. Dans d’autres exemplaires, ce cheval est monté par un jeune enfant.
 
Lion attaquant un taureau. Venise, XIIe siècle ? Marbre.

Ce disque, destiné au décor d'une façade, montre le plus commun de ses sujets, un lion fondant sur sa proie. Il a été sculpté dans un morceau de marbre scié dans un buste antique dont on voit encore la draperie au revers.
 
Bartolomeo Bellano (1437/1438-1496/1497). Chevaux paissant. Bronze, patine brune. H. 23,4 ; l. 23,1 ; pr. 7 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.
 
Bartolomeo Bellano (1437/1438-1496/1497). Vache paissant. Bronze, patine brune..
Ces deux études d'animaux au repos peuvent être données à Bellano, un sculpteur de Padoue qui avait été l'assistant de Donatello.
Ces bronzes se trouvaient au XVIe siècle dans la collection de Marco Mantova Benavides, un célèbre juriste de l’université de Padoue.
 
Atelier de Jan Van Eyck. La Crucifixion, vers 1425. Huile sur bois.

Derrière le Christ en croix s'étend une vue de Jérusalem qui semble inspirée d’un plan établi par le Vénitien Marin Sanudo vers 1320. Cette carte accompagnait un «manuel du croisé», écrit pour inciter les princes chrétiens à reconquérir la Terre Sainte. C'est aussi suggéré dans ce tableau, où l’on reconnaît, dans le cortège qui quitte le Calvaire, les portraits de divers souverains européens.
 
Pier Jacopo Alari dit l’Antico (vers 1460 ?-1528). Apollon du Belvédère. Bronze partiellement doré, patine noire, argent. H. 45,7 ; l. 23,5 ; D. (base) 13 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

L'Antico propose ici l'élégante réduction d’un grand marbre récemment découvert à Rome, dont la beauté stupéfia les contemporains. Se fondant sur des bronzes antiques, il y ajoute une savante polychromie, créant une œuvre moderne qui peut se dire à bon droit plus antique que l'original.
 
Vittore Gambello, dit Camelio (1455/1460 - 1537). Bataille avec deux cavaliers. Bronze, patine noire.
 
Vittore Gambello, dit Camelio (1455/1460 - 1537). Bataille avec deux satyres. Bronze, patine noire.
Ces deux reliefs proviennent du tombeau détruit du sculpteur, mais il est probable que ce n'était pas la destination première de cette composition. Camelio y donne une magistrale démonstration de sa connaissance de l'anatomie et du mouvement, ainsi que de sa familiarité avec les modèles antiques, ici le Laocoon et le Torse du Belvédère.
Giacomo Piazzetta (vers 1640-1705). Hérésiarque en atlantes. Esquisse pour la bibliothèque du couvent des Dominicains, 1670-1681. Terre cuite.  H. 45 ; l. 13,5 cm - H. 45 ; l. 15,3 cm - H. 44 ; l. 13 cm - H. 45,5 ; l. 16,5 cm - H. 43 ; l. 8 cm - H. 44,5 ; l. 9 cm. Photo Marc Domage.

Giacomo Piazzetta, sculpteur sur bois et père du célèbre peintre, se vit confier l’importante commande du décor de la bibliothèque du couvent des Dominicains à Venise. Il montrait les hérésiarques (Arius, Luther, Calvin...) encadrant les armoires et écrasés par la théologie catholique. Ces terres cuites sont les modèles pour ce grand décor disparu.
 
Francesco Guardi (1712-1793). Le Môle. Huile sur toile.
 
Francesco Guardi (1712-1793). La Piazzetta. Huile sur toile. H: 45,5; l: 73,5 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.
Francesco Guardi, dernier peintre spécialisé dans les vedute de Venise fut le plus grand maître de ce genre convenu qu'il porta à son sommet. Dans ces deux pendants, où la couleur fait vibrer la lumière, il permet à quelque touriste étranger d'emporter avec lui le souvenir de l'inimitable physionomie de cette ville, à travers deux de ses vues les plus spectaculaires au débouché du Grand Canal.
 
Antonio di Puccio, dit Pisanello (1395-1455 ?). Jean VIII Paléologue. Bronze, patine brune.

Cherchant un appui contre la progression des Turcs, l'empereur byzantin vint en Italie à l’occasion d’un concile œcuménique en 1438. Cette médaille commémore son passage à Ferrare, où il laissa surtout le souvenir d’un chasseur passionné de chevaux.
 
Gentile Bellini (vers 1430-1507). Mehmed II, vers 1480. Bronze, patine brune.

La République, soucieuse de se concilier les bonnes grâces du sultan Mehmed Il, nouveau maître de l'Orient, envoya à sa demande plusieurs artistes. C'est ainsi que Gentile Bellini composa cette image de propagande basée sur les codes européens de la légitimité.
 
Michele Giambono (actif entre 1420 et 1462). Vierge à l'Enfant. Huile sur bois.

Giambono est l’un des derniers représentants de cette manière que l’on nomme le «gothique international», qui s'attarda à Venise plus qu'ailleurs en Italie. Cette peinture suave au faire précieux la caractérise parfaitement.
 
Alessandro Vittoria ? (1525 - 1608). Saint Jean Baptiste. Venise, 1550 - 1600. Bronze, patine noire.

Ce beau bronze ornait certainement le centre d’un bénitier ou le couvercle de fonts baptismaux, selon une disposition courante à Venise. Le bronze a été peu repris par la ciselure après la fonte: cette surface vibrante, presque brute, est fréquente sur les bronzes vénitiens.
 
Pietro Lombardo (vers 1430 ? - 1515). Vierge à l'Enfant. Marbre.

L'arrivée de Pietro à Venise marque un tournant décisif dans l'histoire de la sculpture de la Renaissance. Il y crée un style à l'antique très personnel, mais montre parfois, comme ici, sa connaissance de la sculpture de Donatello et de ses suiveurs.
 
Tête de putto. Venise, XVIe siècle, d'après l'antique. Bronze, patine noirâtre sur une patine plus rouge, verre.

Les artistes vénitiens trouvèrent leur inspiration dans les nombreuses sculptures grecques et romaines présentes dans la ville, notamment après le legs fait à Venise en 1523 par le cardinal Domenico Grimani. Ses collections d’antiques constituèrent le noyau du premier musée public.
 
Atelier de Severo da Ravenna (connu en 1496 - avant 1538). Tireur d'épine. Bronze, patine brune.

Cette figure appartenait certainement à un objet de bureau, probablement un encrier. Severo y reproduit une célèbre antiquité de Rome, le Spinario. Son rapport au modèle, assez vague, est très éloigné de celui de l'Antico, soucieux d’exactitude et de perfection.
 
Niccolo Roccatagliata (connu entre 1593 et 1636). Élément de chenet. Bronze, patine noire.

Roccatagliata, qui modelait avec vivacité et était apprécié du Tintoret pour lequel il faisait des modèles de cire, eut comme thème de prédilection le putto. Les figures enfantines animent ses créations religieuses ou civiles, comme ici sur cet élément de chenet.
 
Alessandro Vittoria (1525 - 1608). Milon de Crotone. Bronze, patine noire.

Présumant de sa force malgré son âge, le vieux Milon se trouva pris au piège et fut dévoré par les fauves. Ce petit groupe, où Vittoria met en scène cette fable cruelle sur l'absence de discernement, a appartenu à Marco Mantova Benavides (1489-1582).
 
Atelier de Severo da Ravenna (connu en 1496 - avant 1538). Satyre porte-flambeau. Bronze, patine brune.

Le prolifique atelier de Severo produisit en nombre des objets de bureau en bronze, flambeaux et encriers ornés de figures à l'antique qui sont souvent traitées avec une désinvolture pleine d'humour.


2 - La Tribune, peintures et sculptures de la Renaissance à Venise

Scénographie. Photo Marc Domage.
 
Marco Palmezzano (1456/1459 - 1539). Le Christ mort soutenu par deux anges. Huile sur bois.

Donatello a laissé à Padoue un saisissant relief de bronze montrant le Christ mort soutenu par des angelots. C'est la composition du maître toscan qui trouva le plus d'écho en Vénétie. Palmezzano, marqué par l'art de Giovanni Bellini et de Cima a peint une première version de ce tableau (1510, musée du Louvre). Celle-ci est datée de 1529.
 
Michele da Verona (1469/70 - vers 1540). Le Christ, sa mère et saint Jean. Huile sur bois transposée sur toile.

Par ce recours à un cadrage serré, le peintre nous place dans l'intimité de ces trois personnages, au cœur d’un échange intense qui ne nous est pas expliqué. La tension entre eux est également transmise au spectateur que la Vierge regarde avec insistance. Cette recherche sophistiquée d'expression psychologique évoque la peinture de son contemporain Giorgione.
 
Luca Signorelli (1445/1450 - 1523). Flagellation du Christ. Huile sur bois.

Le Christ, attaché à une colonne, est fouetté à l'ordre de Ponce Pilate que l'on voit en haut à gauche. Le peintre a médité cette composition tout au long de sa vie, d'abord pour un étendard de procession, puis dans une fresque et enfin dans ce petit tableau à la fin de sa carrière, qui synthétise et modernise ses recherches précédentes.
 
Michele Tosini, dit Michele di Ridolfo (1503-1577). Fille au chien. Huile sur bois.
Légende. Photo Marc Domage.
 
Atelier de Tiziano Vecellio, dit Titien (1488/1490-1576). Vénus au miroir. Huile sur toile. H. 115 ; l. 84 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

La pose de cette Vénus pudique est empruntée à la sculpture antique. La déesse n'est pas surprise au bain, mais vue à sa toilette dans un intérieur contemporain du peintre. L'atelier de Titien répéta plusieurs fois cette composition, qui ici est amputée de sa partie droite où un amour lui présente le miroir dans lequel elle contemple sa propre beauté.
 
Bernardino Licinio (vers 1495 ? - 1549 ?). Portrait de dame. Huile sur bois.
Paris Bordon (1500-1571). Vénus découverte par l’Amour. Huile sur toile. H. 86 ; l. 137 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

À la suite de Titien dont il fut l'élève, Bordon traita un des thèmes de prédilection de la peinture vénitienne, une beauté endormie livrée aux regards. Ici, il ajoute à ce caractère érotique une réflexion philosophique sur la fécondité de la Nature qui est révélée par l'Amour.
Scénographie. Photo Marc Domage.
 
Andrea Mantegna (vers 1431-1506). Saint Sébastien. Tempera sur toile. H. 213 ; l. 95 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

Ultime chef-d'œuvre de Mantegna, cette monumentale composition se trouvait dans son atelier à sa mort. Le peintre y propose une méditation sur la vie humaine et ses souffrances qui ne sont que passagères. Au visage douloureux du saint criblé de flèches répond la bougie qui s'éteint, entourée de la devise : « Rien n'est permanent, si ce n'est le divin. Le reste est fumée » .
 
Jacopo Fantoni (1504-1540). Le Christ ressuscité. Marbre. H. 130 ; l. 65 ; pr. 36 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

Cette saisissante image du Christ, montrant ses plaies pour convaincre saint Thomas, est le chef-d'œuvre d'un talentueux sculpteur mort à trente-six ans à Bologne. D'origine lombarde, il aurait été élève de Jacopo Sansovino à Venise, mais doit être plutôt regardé comme l'un de ses collaborateurs, tant son style est original et même pionnier dans les années 1530.
 
Venise, début XVIe siècle. Vierge à l'Enfant. Huile sur bois.
 
Giovanni Battista Cima dit Cima da Conegliano (1459/1460 - 1517/1518). Sainte Conversation : la Vierge à l'Enfant entre saint Antoine abbé et une sainte. Huile sur toile.

Cima, originaire d'une petite ville non loin de Venise, y vint peindre. Il appartient à ce groupe d'artistes dans le sillage de Giovann| Bellini. La disposition des saints dans un espace unique et unifié est dite «sainte conversation». Cima excella à ce type de compositions dévotes qu'il n'hésita pas à répéter aussi souvent que nécessaire.
 
Panneau sur Giorgio Franchetti.
 
Tapis dit Holbein à petits motifs. Anatolie occidentale (région d’Uşak), vers 1470. Laine. L. 166 ; l. 102 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

Les tapis turcs ont été nommés en utilisant le nom des peintres de la Renaissance qui les ont représentés. Ainsi, ce tapis est dit Holbein, même s'il est plus ancien que le tableau de Hans Holbein où il apparaît. Vers 1458, Andrea Mantegna avait déjà placé un tapis de ce type sous les pieds de la Vierge dans le triptyque de Mantegna à S. Zeno (Vérone). Le motif d'entrelacs de la bordure est une stylisation de l'écriture coufique.
Scénographie. Photo Marc Domage.
 
Gian Maria Mosca (1495/1499 - 1574). Portia se donnant la mort. Marbre.

Plutôt que de vivre sous la tyrannie, Portia choisit de se donner la mort, comme son père Caton et son mari Brutus. Elle le fit en avalant des braises. Mosca, d'origine padouane, se forma dans l'atelier des Lombardo. Il est particulièrement proche du style du plus jeune des frères, Antonio, et pousse encore plus loin le raffinement de sa manière précieuse et archéologique. L'expression pathétique de cette «femme forte» est inspirée de la sculpture hellénistique, en particulier de l'une des figures du groupe du Laocoon découvert à Rome en 1506.
 
Andrea Briosco dit Riccio (1470-1532). Saint Martin. Bronze, patine noire. H. 74,5 ; l. 54 ; pr. 13 cm.

Dans l'église des Servites, Riccio réalisa, comme en pendant à l'autel de la Vraie Croix, un relief destiné à l'autel consacré à saint Martin. Abandonnant le style narratif, il propose ici une composition dont la perfection un peu froide est parfaitement en phase avec l'esthétique alors prévalente dans la sculpture vénitienne. Ceci n'exclut pas l'acuité  psychologique, qui est l'un de ses traits les plus originaux : ici, l'émotion qui voile le visage idéal du futur saint, face au dénuement de l'homme à terre.
Jacopo Tatti, dit Sansovino (1486-1570). Vierge à l’Enfant, vers 1560. Marbre de Carrare. H. 62,5 ; l. 121,5 ; pr. 18 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

Sansovino, un Florentin parvenu à Venise après le sac de Rome en 1527, y fit toute sa carrière de sculpteur et  d'architecte. Ses œuvres marquent toujours la physionomie de la ville. Son style délié et élégant, non sans un regard vers Michel-Ange, changea le cours de la sculpture à Venise. On ignore la destination originale de cette lunette, qui fut placée à la fin du XVIe siècle sur un autel de la famille Contarini dans l'église des Zitelle, sur la Giudecca.
 
Maître de l'autel Barbarigo (actif vers 1515-1520). Le Couronnement de la Vierge. L'Assomption de la Vierge. Les Apôtres autour du tombeau vide. Bronze, patine noire.

Ces reliefs, qui proviennent de l'autel de la Vierge de la chapelle funéraire des Barbarigo à Santa Maria della Carità, ont donné son nom à un maître dont on ignore l'identité. Ce sculpteur proche des Lombardo, mais sensible aux nouveautés picturales introduites à Venise dans les années 1520 par Titien, se distingue par ces fonds pointillés.
 
Maître de l'autel Barbarigo (actif vers 1515-1520). L'Assomption de la Vierge.
Maître de l'autel Barbarigo (actif vers 1515-1520). Les Apôtres autour du tombeau vide.
 
Venise, 1525-1530. Agostino Angeli da Pesaro. Bronze, patine brune.

Ce vieil homme montré sans complaisance était un célèbre médecin. Ce grand médaillon, qui se trouvait sur sa tombe, est conçu à la manière d’une médaille commémorative. Les portraits d’intellectuels ont souvent ce caractère brutal, pour souligner que ce sont leurs travaux qui vont leur valoir de passer à la postérité et non leur apparence physique.
 
Citation de Goethe.
Scénographie. Photo Marc Domage.

Andrea Briosco, dit Riccio (1470 - 1532). Cinq reliefs destinés à l'autel de la Vraie Croix. Bronze, patine noire. Au centre : Triomphe de la Croix. Ci-dessous : détail des 4 autres reliefs.

En 1491, Girolamo Donà reçut du pape Innocent VIII un fragment de l'inscription qui se trouvait sur la croix du Christ. Il l'offrit à l'église des Servites dans une croix reliquaire et commanda certainement à Riccio le décor de l'autel qui devait l'abriter. Au centre, un tabernacle, destiné à contenir la relique, montre le triomphe de la Croix dressée sous un arc comme un empereur vainqueur. Les quatre reliefs racontent l'histoire de Constantin et de sa mère Hélène. L'empereur fut informé en songe que, muni du signe de la croix, il vaincrait Maxence, ce qu’il fit au pont Milvius. À Jérusalem, Hélène se mit à la recherche du bois sur lequel le Christ avait été crucifié. Elle le trouva et put l'identifier par un miracle: la croix du Christ ressuscita un mort. Ce mort a les traits de Girolamo Donà, tandis que le sculpteur à la tête crépue s'est représenté deux fois auprès de Constantin (il est debout tout à gauche dans le premier relief).

 
Andrea Briosco, dit Riccio (1470 - 1532). Invention de la Vraie Croix.
 
Andrea Briosco, dit Riccio (1470 - 1532). Vision de Constantin.
 
Andrea Briosco, dit Riccio (1470 - 1532). Miracle de la Vraie Croix.
 
Andrea Briosco, dit Riccio (1470 - 1532). Bataille du pont Milvius.
Cristoforo Solari (vers 1470-1524). Six vertus, dont la Tempérance, la Justice, la Force et la Prudence. Marbre.

Cristoforo Solari est un sculpteur lombard : il fit la plus grande partie de sa carrière sur le chantier de la cathédrale de Milan. En 1494, il est à Venise et sculpte ces Vertus, qui entouraient peut-être un retable de Cima de Conegliano,  commandé par Giorgio Dragan pour orner un autel à Santa Maria della Carità. C'est l'occasion pour Solari de montrer son impeccable maîtrise de la sculpture à la manière antique.
 
Cristoforo Solari (vers 1470-1524). Six vertus, dont la Tempérance, la Justice, la Force et la Prudence. Marbre.
 
Tullio Lombardo (vers 1455-1532). Double portrait. Marbre. H. 47,5 ; l. 50,5 ; pr. 24 cm. © Venise, Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro, Direzione regionale Musei Veneto - reproduit avec l’autorisation du Ministero della Cultura / Photo Matteo De Fina.

Qui sont ces jeunes gens pleins de vie ? S'agit-il vraiment d’un double portrait ? Cela serait le cas si Tullio Lombardo avait eu l'ambition de nous représenter des personnes précises, qu’elles soient réelles ou imaginaires. Il nous propose une réflexion plus complexe sur la fugacité de la vie humaine et sur l’art comme outil de la mémoire : ce jeune couple heureux est saisi dans l'instant d’une émotion, mais se présente à nous comme un fragment de monument antique, issu d'un passé lointain.


3 - Et le marbre s’est fait chair… Réinterprétations du portrait à l’antique

Scénographie. Photo Marc Domage.
À droite, de Alessandro Vittoria (1525-1608) : Marino Grimani, vers 1592-1593.
Signé au revers : A. V. F. Terre cuite dorée. H. 84 ; l. 65 ; pr. 27 cm.

Marino Grimani appartenait à la faction «romaine» du patriarcat vénitien, proche du Saint-Siège qui avait le vent en poupe après la victoire de Lépante. Pieux et proche des Jésuites, il fut plusieurs fois ambassadeur de la Sérénissime auprès du pape. Il fut élu doge en 1595 grâce à sa réputation de munificence; on dit que les gamins couraient les rues en criant: «Vive Le doge Grimani, qui fera des gros pains!»
PORTRAITS SCULPTÉS

Les Vénitiens, peut-être par attachement pour leur République et par méfiance envers tout culte de la personnalité, restèrent longtemps réticents à produire des portraits, que ce soit des médailles ou des bustes. Ce n'est que dans la seconde moitié du XVIe siècle que la pratique s’en diffuse et que les bustes patriciens se multiplient dans les églises comme à l'intérieur des palais. Alessandro Vittoria (1525 - 1608), originaire de Trente, fit toute sa carrière à Venise; il est sans conteste le plus important sculpteur du XVIe siècle dans le domaine du portrait, un talent que la collection de la Ca' d'Oro permet d'évoquer. Il parvient à résoudre les difficultés du genre : donner à  une image fragmentaire – le buste - la présence d’un être vivant, concilier l'héritage de l'antique avec le costume moderne, transcrire fidèlement les traits individuels en les animant par le mouvement et l'expression. En cela, il a été justement vu comme le précurseur des créations du Bernin le siècle suivant. Pourtant, nul lien entre les deux sculpteurs, si ce n'est leur intelligence, leur sensibilité et leur talent pour résoudre avec brio les mêmes problèmes.
 
Texte du panneau didactique.
 
Alessandro Vittoria (1525 - 1608). Francesco Duodo. Marbre.

Francesco Duodo s’est fait portraiturer en homme de guerre pour rappeler qu'il avait été à la tête de la flotte vénitienne lors de la bataille de Lépante, une grande victoire d'une alliance chrétienne contre les Turcs (1571). Le buste était destiné à son palais puis devait être placé après sa mort dans l’église de S. Maria del Giglio. Mais en fait, il fut envoyé dans la villa familiale de «Terra Ferma» à Monselice.
Scénographie. Photo Marc Domage.
 
Portrait d'un garçon. Italie, fin du XVe siècle. Marbre.

En sculpture, les portraits enfantins sont exceptionnels à la Renaissance car toute image sculptée parle de la permanence: quoi de plus changeant que la physionomie d'un enfant ? Ici, nous ignorons le nom du modèle, comme celui du sculpteur. L'artiste a su transmettre, malgré le caractère formel de l'effigie, le sentiment de la présence immédiate et fragile de ce garçon.
 
Bartolomeo di Francesco Terrandi, dit Bartolomeo Bergamasco (? - 1528). Matteo Eletto, 1520-1524. Marbre.

Ce buste plein de vivacité est l'un des plus extraordinaires portraits sculptés en Italie de la première moitié du XVIe siècle. Matteo Eletto était curé de S. Geminiano au moment où l’église fut reconstruite. Bartolomeo Bergamasco, qui travaillait sur ce chantier, sculpta ce buste qui fut placé à côté de l'autel. Il nous a transmis, non sans complicité, la physionomie intelligente et spirituelle de ce prêtre.
Scénographie. Photo Marc Domage.
 
Alessandro Vittoria (1525 - 1608). Benedetto Manzini, avant 1561. Marbre.

Les travaux de l’église S. Geminiano furent achevés grâce à l'énergie de son curé, Benedetto Manzini. En pendant du buste de Matteo Eletto, le buste de Manzini, sculpté vers 1560, fut placé de l'autre côté de l'autel. Par le brusque mouvement de la tête, Vittoria saisit le tempérament impétueux de son modèle, qui ne semble pas pouvoir garder la pose. La sculpture, à l'égal de la peinture, peut saisir la fugacité du vivant.
 
Gian Lorenzo Bernini (1598-1680). Le cardinal Pietro Valier, 1627. Marbre.

Le cardinal Valier avait fait construire la chapelle de la Vierge de l'église de Santa Maria delle Grazie in Isola. Pour en faire un monument familial, il y plaça son buste et celui de son oncle, également cardinal, qu'il avait commandés à Rome au plus grand sculpteur de son temps, Gian Lorenzo Bernini. Le sculpteur semble se surpasser pour faire un vigoureux portrait d’une personnalité sans relief.