BERTILLE BAK. Abus de souffle. Pour son vingtième anniversaire, le Jeu de Paume inaugure, avec cette exposition et celle consacrée à Tina Modotti, une programmation exclusivement constituée de monographies de grandes figures féminines. Bertille Bak, artiste, vidéaste et plasticienne née à Arras en 1983, présente une partie de ses travaux des dix dernières années dont une vidéo, «Abus de souffle», spécialement réalisée pour cette exposition. Bertille Bak travaille en France, dans le Nord, en région parisienne, à Saint-Nazaire, mais aussi dans le monde entier, nouant des collaborations avec des communautés souvent invisibles et n’intéressant que peu de monde. Elle a ainsi travaillé avec des marins de bateaux de croisière à Saint-Nazaire, des demandeuses d’asile à Pau, de jeunes mineurs en Inde, en Indonésie, en Thaïlande, à Madagascar et en Bolivie. Dans ce dernier pays, elle a mis en scène des cireurs de chaussures tandis qu’au Maroc elle a suivi le travail de décortiqueuses de crevettes grises, récupérant les yeux pour en garnir des bouteilles-souvenirs aux couleurs et motifs des drapeaux marocains et néerlandais.
L’exposition se déroule en sept parties. Dès l’entrée, un grand panneau nous accueille avec une collection de gabarits de soufflets servant à attiser le feu. La première installation nous montre trois œuvres réalisées à Saint-Nazaire. La plus curieuse, Les complaisants, (2014) est un ensemble de 35 pièces uniques réalisées avec des mèches de cheveux que lui ont donné des marins. L’artiste les a utilisées pour confectionner en marqueterie 35 pavillons dits «de complaisance».
Avec Mineur Mineur (2022) nous avons une projection sur cinq écrans qui aborde le travail des enfants dans des mines, dans cinq pays, à l’époque actuelle. Cette installation nous montre non seulement leur condition de travail mais également toute une mise en scène ludique avec des lampes et des plateaux tournants.
La Brigada (2018-2024), œuvre déjà bien connue, nous présente une vaste installation avec des dizaines de boîtes de cireurs de chaussures de La Paz peintes par leurs propriétaires. Dans la vidéo qui l’accompagne, Bertille Bak fait évoluer ces cireurs de chaussures en une brigade de défense du soulier lustré, tandis que les femmes se livrent à des performances sportives époustouflantes.
Dans la vidéo suivante, Figures imposées (2015), l’artiste nous explique comment des femmes peuvent se préparer à immigrer de leur pays. Cela se fait avec un entraînement physique intense pour être capable, entre autre, de traverser les frontières dans des caches exiguës à bord d’un camion ou d’un avion.
Tournée au Maroc, en Thaïlande et en Camargue, Usine à divertissement (2016) est un triptyque vidéo décrivant des activités habituelles dans les lieux où elles sont filmées mais poussées à l’extrême au point de devenir absurdes, évoquant ainsi un parc d’attraction pour touristes avides d’exotisme.
Abus de souffle (2024), réalisée pour cette exposition est une double projection en boucle filmée avec le dernier artisan spécialisé au Maroc dans la fabrication de soufflets servant à attiser le feu. L’artiste en profite pour s’interroger sur les échanges et les équilibres entre tous les pays du monde et les inégalités qui en découlent.
Le parcours se termine avec trois œuvres réalisées elles-aussi au Maroc, Boussa from the Nederlands 1, 2 et 3 (2017). La première nous montre le travail de ces décortiqueuses de crevettes que nous avons mentionnées plus haut tandis que la seconde nous présente quelques-unes de ces bouteilles-souvenirs. La troisième est une vidéo cocasse où l’on voit neuf jeunes marocaines déguisées en sirènes et entonnant L’Internationale en néerlandais, une langue qu’elles ne comprennent pas, comme nous !
Une exposition très variée, originale avec des vidéos souvent très recherchées. R.P. Jeu de Paume 1er. Jusqu’au 12 mai 2024. Lien : jeudepaume.org