À LA RECHERCHE DES ŒUVRES DISPARUES. C’est une gageure de faire une exposition avec des œuvres disparues. Pourtant c’est bien ce que l’Institut Giacometti réalise aujourd’hui en s’interrogeant sur le devenir d’un certain nombre de sculptures exécutées par Alberto Giacometti (1901-1966) entre 1920 et 1935. Au début de sa carrière à Paris, Giacometti expérimente beaucoup et détruit plusieurs œuvres. D’autres sont vendues et l’on ignore leur devenir. À cette époque, il n’était pas courant de tenir à jour des registres de sa production et des ventes et la recherche des œuvres disparues est donc difficile. Néanmoins, dans le cas de Giacometti, nous avons une documentation abondante sur celles-ci. En effet cet artiste faisait des croquis sur des carnets qu’il avait toujours sur lui, sur lesquels il notait toutes sortes de choses, depuis ses rendez-vous de coiffeur jusqu’aux matériaux envisagés pour telle ou telle sculpture. Certaines d’entre elles ont été photographiées, on ne sait pas toujours par qui ni quand, voire présentées dans des magazines à l’occasion d’une exposition dans une galerie. Une difficulté apparaît néanmoins quand il s’agit de nommer ces œuvres. En effet Giacometti délaisse très vite l’usage de modèle, comme le lui avait enseigné Antoine Bourdelle, pour se lancer dans la sculpture cubiste, à la mode dans les années 1920, puis rejoindre le mouvement surréaliste d’André Breton. Il en résulte que dans ses lettres à ses parents, en Suisse, il parle de « tête », « buste », figure assise », « composition » sans plus de précision. À partir de 1935, il prend ses distances avec le groupe surréaliste et se dédie presque exclusivement à la question de la figure humaine jusqu’à la fin de sa vie.
À travers des carnets, des photographies, des œuvres conservées ou reconstituées, la présente exposition s’intéresse à quelque 70 œuvres disparues. Certaines auraient été détruites par Giacometti qui avait la réputation d’être un perpétuel insatisfait mais on n’a pas de traces de ces destructions alors que d’autres artistes comme Georges Rouault ou Francis Bacon ont documenté avec soin les destructions volontaires de leurs œuvres. Parmi les œuvres disparues citons cette Composition (1926-1927) en plâtre, évoquant l’art africain et chargée de connotation sexuelle dont on a une photographie dans le catalogue du Xe Salon de l’Escalier. On pense qu’elle a été vendue. Nous avons aussi une photographie de Giacometti présentant une sculpture en plâtre, Petit homme (1926-1927), conservée au moins jusqu’en 1948 dans son atelier. Celle-ci aurait été cassée puis détruite, ce que Giacometti regrettait dans une lettre à Pierre Matisse en 1954. Autre exemple dont on conserve des documents, une Girafe (1932) réalisée avec Buñuel dont on voit les croquis et une photo au milieu des deux artistes. Exposée dans le jardin des Noailles, elle disparut mystérieusement pendant le dîner. Leurs hôtes avaient peut-être été choqués par les textes érotiques écrits dans les taches de la girafe ?
La Fondation Giacometti s’est investie dans la reconstitution de certaines œuvres à partir des photographies et croquis de l’artiste. La première, Objet surréaliste (1932 / 2015) a été reconstituée par l’artiste Martial Raysse qui a complété les éléments de cet objet qui restaient dans l’atelier de Giacometti après sa mort. La deuxième est Oiseau silence (1930-1933) dont on a la photographie dans le magazine VU de novembre 1933. Nous avons aussi une photographie de Brassaï d’une sculpture semblable désignée par La Cage en bois (1930-1932). La reconstitution de cet objet complexe qu’est Oiseau silence est tout à fait remarquable. La troisième est Mannequin (1932-1933) dont on a de nombreux croquis et une photographie prise dans l’Exposition surréaliste à la galerie Pierre Colle. Comme l’avait fait Giacometti, la Fondation est partie de la sculpture Femme qui marche I (1932-1936) en y ajoutant la tête et les bras.
Une exposition étonnante qui permet en outre de voir ou revoir la reconstitution de l’atelier de Giacometti tel qu’il était à sa mort. R.P. Institut Giacometti 14e. Jusqu’au 12 avril 2020. Lien : www.fondation-giacometti.fr.