Parcours en images et en vidéos de l'exposition

TOUS LÉGER !
Avec Niki de Saint Phalle, Yves Klein, Martial Raysse, Keith Haring...

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°614 du 16 avril 2025





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Vue du musée du Luxembourg. Photo Pauline Bessaudou.
Entrée de l'exposition.
À gauche de haut en bas et à droite de bas en haut: Martial Raysse, Bénédicte Pesle, Jean Tinguely, Brooks Jackson, France Raysse, Niki de Saint Phalle, Alexandre lolas, Rotraut Klein, André Mourgues, lors de l'exposition «Martial Raysse: Made in Japan...Tableau horrible... Tableau de mauvais goût», Alexander lolas Gallery, New York, 1965. William Klein. © William Klein Estate.
 
Le 17 août 1955, le peintre Fernand Léger disparaît dans sa maison-atelier de Gif-sur-Yvette. En octobre 1955, Yves Klein présente ses tableaux monochromes au club des Solitaires à Paris et rencontre par l'intermédiaire d'Arman, le critique d’art Pierre Restany. La même année, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely font connaissance; César expose ses «Compressions» à la galerie Rive Droite à Paris. Une génération, celle des avant-gardes modernistes, s'efface tandis qu’émerge une nouvelle vague d'artistes, témoins et acteurs des profondes mutations économiques et culturelles de l’après Seconde Guerre mondiale. C’est le début de l'aventure du Nouveau Réalisme sous l'égide de Pierre Restany.

Historiquement, la rencontre entre Léger et les Nouveaux Réalistes n’a donc pas eu lieu. Pourtant, l’œuvre du peintre moderne contient déjà en germe les recherches et révoltes portées par ses successeurs: détournement de l’objet, appropriation des symboles de la société urbaine et industrielle, contestation de toutes les formes d’académisme, insertion de l’œuvre d’art dans l’espace public et utopie d’un art pour tous...

Voyageant d’une période à l’autre, la notion de «nouveau réalisme» constitue le fil conducteur autour duquel se décline cette filiation. Fervent admirateur de l’œuvre de Léger, Pierre Restany, présent avec Raymond Hains à Biot pour l’inauguration du musée Léger le 13 mai 1960, aurait baptisé le groupe en hommage au peintre, qui utilise cette formule dès 1924 pour définir sa démarche esthétique.

Au travers de rapprochements inédits, thématiques ou formels, tour à tour pertinents, ludiques ou audacieux, l'exposition aborde la façon dont les artistes européens et américains assimilent, rendent hommage ou rejettent l'héritage de Léger, à partir des années 1960.

À partir des collections du musée national Fernand Léger à Biot et du Musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain de Nice, le parcours souligne pour la première fois l'apport du peintre moderne aux Nouveaux Réalistes et aux avant-gardes contemporaines. Il invite le public à un jeu de regards croisés, à une promenade libre et insouciante au gré d’une histoire de l’art revisitée.



 
Texte du panneau didactique.
Plan de l'exposition


1 - LES CINQ ÉLÉMENTS

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.

«Faisons entrer la couleur, nécessité vitale comme l’eau et le feu, dosons-la savamment.» Fernand Léger (1924).

Les Nouveaux Réalistes ouvrent la voie à un art de gestes en interaction avec la nature et avec le monde. Dans un désir de conquête, ils s’emparent des objets les plus emblématiques de la société, donnent à voir la beauté urbaine dans toute sa trivialité. Dans un même temps, ils s’approprient les quatre éléments qui composent l’univers et y adjoignent la couleur.

Ces recherches plastiques et symboliques questionnent la place de l’humain et de la nature au sein d’une époque en pleine expansion capitaliste, à l’image de l’approche critique d’Alain Jacquet, artiste proche du Pop Art. Dans une critique en acte de la société, l’artiste-accumulateur Arman aborde très tôt la question des déchets, de la surconsommation et de l’obsolescence programmée. Précurseur, Fernand Léger enregistre les grandes mutations du monde moderne, tantôt critique, tantôt fasciné par les révolutions technologiques et mécaniques. Au fil du temps, la nature devient omniprésente dans son œuvre et appelle à un ralentissement.

Davantage animé par une quête métaphysique, Yves Klein multiplie les tentatives de reconnexion avec le monde par l’intermédiaire de la couleur pure et des énergies primordiales. Ce programme résonne avec l’utopie de Fernand Léger, pour qui la couleur est un élément fondamental, vital, bénéfique et thérapeutique, qui a la capacité d’agir sur le bien-être social.

 
Texte du panneau didactique.
 
Fernand Léger. Composition aux deux oiseaux sur fond jaune, vers 1955. Huile sur toile, 130 x 89 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.



L'air

Arman (Armand Fernandez, dit). The Birds 11 (Les oiseaux 11), novembre 1981. Pinces autobloquantes métalliques, 137,1 x 246,3 x 6 cm. Achat à l'artiste avec l'aide du Fram en 1988. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

L'année 1981 marque une nouvelle étape dans la série des «Accumulations» (1959-2005). Les «Wall Relief» (1981-1984) sont de grandes compositions murales d'outils mécaniques mettant en évidence l'efficacité plastique de l'objet industriel produit en masse. Ici, la puissance évocatrice des pinces métalliques se mue en une nuée d'oiseaux, associant l'outil inerte au vivant, l'artificiel au naturel. Cette fascination pour la mécanique est très présente chez Fernand Léger, qui traite de la même manière «Un nuage, une machine, un arbre». Le contraste dynamique entre l’animé et l’inanimé est fréquent dans sa peinture, tout comme le motif de l'oiseau.


La couleur

Scénographie

 
Fernand Léger. La Danseuse bleue, 1930. Huile sur toile, 146,5 x 114 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Adrien Didierjean. © Adagp, Paris, 2025.

 
Yves Klein. Vénus bleue (La Vénus d’Alexandrie) (S 41), vers 1962. Pigment pur et résine synthétique sur plâtre, 69,5 x 25 x 25 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice / Jean-Christophe Lett. © Succession Yves Klein / ADAGP Paris, 2025.

Dans sa quête d'absolu, Yves Klein s'empare d'un chef-d'œuvre de l'Humanité, la Vénus d'Alexandrie conservée au musée du Louvre à Paris en l'imprégnant de son bleu IKB. La couleur pure, appliquée sur un moulage de l'œuvre antique, aboutit à une expérience esthétique unissant de façon organique, la peinture au corps. Klein a choisi une Vénus dépourvue de membres et de tête pour mettre en évidence le ventre et les seins, symboles de naissance et de vie. Avec sa Danseuse bleue, Fernand Léger se montre peu intéressé par les formes archétypales de la femme qu'il estompe et déforme. Mais il partage avec Klein la volonté de poser un bleu outremer sur une figure féminine pour en souligner la beauté et la pureté des formes.


L'eau

Scénographie
 
Fernand Léger. La Baigneuse, 1932. Huile sur toile, 97,2 x 130,6 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.

 
Alain Jacquet. La Source (Ingres), 1965-2004. Sérigraphie marouflée sur toile, 168 x 85,5 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice / Muriel Anssens. © Adagp, Paris, 2025.

Dans la mouvance du Pop Art, Alain Jacquet détourne dès 1964 les icônes de l’histoire de l'art en les juxtaposant avec des images populaires. Avec un traitement tramé emprunté aux modes de reproduction industriels, il réalise une allégorie moderne de La Source (1820-1856) d'Ingres. Coiffée d'un casque, une pin-up se tient dans une cabine de douche, un jerricane sur l'épaule en lieu et place de l'amphore initiale. Trente ans plus tôt, Fernand Léger évoque, dans La Baigneuse, le mouvement du bras du nu d'Ingres. Ici, le corps déstructuré répond aux formes humanisées d’un tronc d'arbre. Une draperie bleue les sépare et se fond avec la chevelure féminine qui évoque les remous d'une cascade. Léger et Jacquet mêlent les motifs naturels, humains et manufacturés.


Le feu

Scénographie avec, à gauche : Yves Klein. Peinture de feu sans titre (F71), 1962.
Carton brûlé sur panneau, 135 x 100 x 5 cm.
Collection particulière en dépôt au MAMAC, Nice.

Dans sa quête de transmettre l'énergie et la sensibilité du monde cosmique, Yves Klein travaille dès 1957 avec le feu. La flamme d'un brûleur donne naissance à des empreintes sur papier ou à des sculptures. En mars 1961, le Centre d'essais de Gaz de France lui permet de perfectionner sa technique. L'artiste y adjoint notamment les pouvoirs de l'eau. L'œuvre est le résultat d'une action convoquant les énergies primordiales: «Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art», confie-t-il.
 
Fernand Léger. Dessin préparatoire pour la décoration de l’usine de Gaz de France à Alfortville, vers 1955. Gouache sur papier, 51 x 65,5 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Biot, musée national Fernand Léger. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Fernand Léger. Dessin préparatoire pour la décoration de l’usine de Gaz de France à Alfortville, vers 1955. Gouache sur papier, 49 x 62 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Biot, musée national Fernand Léger. Musée national Fernand Léger, Biot.
Peu avant sa mort, Fernand Léger reçoit une commande pour la décoration de la nouvelle usine de Gaz de France. Afin d'incarner cette industrie en pleine modernisation, il choisit le feu, peu représenté dans son œuvre, mais souvent célébré comme élément vital dans ses écrits. Une trentaine d'études préliminaires à la gouache lui sont nécessaires avant d'arrêter la maquette définitive, qu'il projette de réaliser en céramique et mosaïque. La flamme, qu'il semble étudier d’abord sur le motif d'après un brûleur à gaz, évolue vers une composition abstraite aux formes colorées et contrastées cernées de noir. Par ses couleurs pures et vives, ce projet de décor rayonnant vise à rendre l'usine accueillante chaque matin aux employés. Léger donne ainsi à la couleur une fonction à la fois utilitaire et psychologique.


La terre

Scénographie
 


Christo et Jeanne-Claude réalisent des projets d'emballages monumentaux financés par la vente des maquettes préparatoires. L’empaquetage protège autant qu'il révèle ce qui est caché. En 1966, le couple envisage d'envelopper des arbres en hiver. Refusé dans plusieurs parcs américains, puis pour l'avenue des Champs-Élysées à Paris, le projet ne se concrétise qu'en 1998 en Suisse. Emballer des arbres vise à alerter sur la nécessité vitale de leur présence et de leur protection. Ce geste illustre à la fois la persévérance des artistes et leur attention à la préservation de la nature.

 

Fernand Léger. Troncs d’arbre, 1928. Huile sur toile, 46 x 38 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Christo & Jeanne Claude. Three Wrapped Trees, 1968. Tissu, polyéthylène, corde, carton, bois et peinture acrylique, 54 x 117 x 5 cm. Collection particulière en dépôt au MAMAC, Nice.

 
Fernand Léger. La Forêt, 1942. Huile sur toile, 182 x 127 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, Paris.

Exilé à New York depuis 1940, Fernand Léger passe l'été 1942 dans le New Hampshire, qui lui inspire cette toile annonçant les «Paysages américains» (1942-1945). Il la choisit pour expliquer sa démarche artistique dans le film documentaire réalisé avec Thomas O. Bouchard en 1945, Léger in America. His New Realism. Le tableau est dominé par une sorte de croix bleue, élément récurrent dans l'œuvre de Léger représentant une barrière et symbolisant l'intervention humaine dans le paysage. Autour d'elle, des formes vertes et noires ondulées, des silhouettes d'oiseaux ou d'insectes et des taches de couleurs évoquent ce paysage contrasté, où la nature reprend ses droits face aux assauts de la civilisation américaine.
 
Yves Klein. Sculpture sans titre (S11), 1960. Pigment pur et résine synthétique sur bois. Édition posthume sur bronze en 2002, 104 x 45 x 45 cm. Collection particulière en dépôt au MAMAC, Nice.

Yves Klein est mondialement connu pour son bleu. En 1955, il met au point l'International Klein Blue, un mélange composé de pigment pur et de résine synthétique lui permettant d'utiliser le bleu outremer sans en altérer l'éclat. Avec l'IKB, il souhaite transmettre au public l'expérience de la couleur pure. En imprégnant de bleu des éléments végétaux comme des branches d'arbre, il tente de saisir les forces vitales de la nature, de capter les énergies primordiales, et ainsi de créer un lien entre le cosmos et la terre.


Histoires de gestes - Artistes en duos - Paroles d'artistes

Scénographie
Assembler - Lacérer - Vider/Remplir - Sublimer

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Piéger - S'autodétruire - Anthropométriser

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Inaugurer - Constituer - Tirer - Brûler

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Autre vidéo de cette représentation :
happening-d-yves-klein-au-musee-d-art-moderne-de-la-ville-de-paris

Vidéo. Anthropométrie de l’époque bleue – 9 mars 1960. Yves Klein.

   


2 - LA VIE DES OBJETS

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.

«L’objet [...] devait devenir personnage principal et détrôner le sujet.» Fernand Léger (1945).

Les Nouveaux Réalistes, comme Fernand Léger trente ans plus tôt, se focalisent sur le symbole de la société moderne, l’objet. Léger se détache d’une représentation mimétique afin que les formes et les couleurs deviennent autonomes. Les artefacts ne sont plus mis en avant pour leur charge symbolique mais pour leur beauté formelle. Ils sont agrandis, juxtaposés, fragmentés par des aplats de couleurs vives et aléatoires. Une démarche que l’on retrouve chez les Pop artistes américains. En Europe, les Nouveaux Réalistes font basculer l’objet du domaine de la représentation à celui de la présentation par une action concrète sur le monde. Ils s’approprient, accumulent, assemblent des objets pour révéler leur potentiel plastique.

L’esthétique du vide-poche et des outils de l’atelier raconte une relation intime aux objets quotidiens. À l’inverse, la rue, avec ses affiches, ses lettrages, ses vitrines, ses lumières, exerce un pouvoir de fascination et de méfiance critique à l’égard de la société capitaliste. Désormais, les visages sont traités comme des objets, voire des machines.

Archéologues du temps présent, les artistes ont capté l’essence d’une époque où l’art est concurrencé, comme l’exprime Léger dès 1923, par le «bel objet», les «devantures» et les supermarchés. La beauté banale et populaire est magnifiée en exprimant des nouveaux modes de vie, des revendications sociales.

 
Texte du panneau didactique.
 
Roy Lichtenstein. Interior With Chair, 1997. Sérigraphie 69/90, 94 x 68,5 cm. Don de Jean-Christophe Castelli en 2001. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Fernand Léger, qui a séjourné quatre fois aux États-Unis, notamment lors de son exil à New York de 1940 à 1945, exerce une forte influence sur le Pop Art américain et sur l'œuvre de Roy Lichtenstein. Fascinés par la publicité, ils partagent une technique picturale impersonnelle, froide et linéaire, l'emploi du cerne noir et de couleurs pures contrastées, la stylisation des formes, l'absence de hiérarchie dans le choix des sujets traités, la composition en strates de couleurs superposées. À plusieurs reprises, Lichtenstein cite directement l'œuvre de Léger dans ses tableaux, comme dans Trompe l'Œil with Léger Head and Paintbrush (1973)..


Dans l'atelier

Scénographie
 
Niki de Saint Phalle. Plastic circles and rectangles, vers 1960-1961. Peinture, tableau-relief, plâtre et objets divers sur contreplaqué, 54,5 x 64,5 x 7,5 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Fernand Léger. Sans titre, composition, vers 1930. Mine de plomb sur papier, 20 x 26 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

Marcel Alocco. Bande objet n°6 de la série «Portrait de l’artiste», février 1966.
Technique mixte, 15 x 40 x 12 cm.
Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.
 
Fernand Léger. Main et ciseaux, 1929. Crayon graphite sur papier, 28,2 x 22,2 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Niki de Saint Phalle. Paire de ciseaux (Scissors), vers 1960 – 1961. Peinture, bois et objets divers sur contreplaqué, 34 x 32 x 6,5 cm. Donation de l'artiste en 2001. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Dès la fin des années 1950, l'artiste réalise des bas-reliefs en accumulant, sur un lit de plâtre disposé sur un panneau de bois, toutes sortes de petits objets quotidiens. On y trouve des débris, des outils et des objets pointus ou rouillés, des jouets en plastique colorés. Ces assemblages fonctionnent comme des paysages archéologiques du présent, des portraits psychologiques. Plus tard, l'artiste évoque son séjour en clinique psychiatrique à vingt-deux ans en raison de son obsession pour les objets tranchants. Avec la parution du livre Mon secret (1994), elle aborde les abus sexuels qu'elle a subis de son père lorsqu'elle avait onze ans. La présence d'objets tantôt enfantins tantôt agressifs prend dès lors une portée cathartique. L'art est un espace de liberté salvateur où elle peut surmonter ses angoisses les plus profondes.
 
Fernand Léger. Les Gants, vers 1930. Encre sur papier, 31,8 x 38,7 cm. Achat en 2000. Musée national Fernand Léger, Biot.

Au début des années 1930, Fernand Léger exécute une série de dessins représentant des éléments naturels (silex, coquilles de noix...) ramassés dans la campagne parisienne. Isolés sur un fond neutre, épurés par un trait précis à l'encre, ces objets bruts deviennent le support d’une rêverie poétique proche de l'imaginaire surréaliste. Léger crée également des portraits réalistes d'objets familiers, comme cette paire de gants qui semble retenir le volume et le souvenir des mains de Simone Herman, passion amoureuse du peintre. Derrière le défi de s'approprier le réel avec l'objectivité d'un photographe, l'émotion pudique de Léger affleure, ainsi qu'une sensualité autobiographique, rare dans son œuvre.
 
Niki de Saint Phalle. Gant de travail, vers 1960 – 1961. Peinture, plâtre et objets divers sur bois, 34 x 32 x 6 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Arman (Armand Fernandez, dit). Colère, 1961. Sculpture, assemblage de morceaux de meuble, bois, 150 x 144 x 25 cm. Achat à Charles Cordier en 1968. Centre national des Arts plastiques, en dépôt au MAMAC, Nice.

Dès 1959, Arman réalise des «Accumulations» d'objets. L'artiste affirme «la beauté par la quantité», interroge dans un même temps la société de consommation et les mutations de son époque. Dès 1961, il s'engage dans un corps-à-corps avec des objets domestiques ou des instruments de musique, symboles de la bourgeoisie, qu'il casse avec violence avant de les disposer sur un panneau de bois. Ces «Colères» expriment une critique en acte de la société conservatrice: elles révèlent aussi la beauté du geste qui détruit pour reconstruire et montrent des objets usuels sous de nouveaux angles, à la manière des natures mortes cubistes.
 
Daniel Spoerri. Katharina Duwen de la série «Palettes d’artiste» et «Tableaux-Pièges», 1989. Table et chaise d’école trouvées par Katharina Duwen au marché aux puces de Munich vers 1986, grand pressoir à volant, tête en porcelaine blanche, bois de cerf, selle de bicyclette avec une queue d’éléphant, radio, bouteilles, cendrier et mégots de cigarettes, marteaux et objets divers, 160 x 160 x 80 cm. Achat à DIT Fine Art, New York, en 2010. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Daniel Spoerri commence dès 1959 la série des «Tableaux-Pièges». II fixe sur un support des étals de marchés aux puces, des restes de repas, des établis de travail tels qu'ils se présentent, avant de redresser la composition à la verticale. Par ce basculement, des instants dus au hasard s'élèvent au rang d'œuvres d'art et créent un point de vue nouveau sur des objets quotidiens. Les «Palettes d'artistes» (1989-1990) révèlent le contexte de création des artistes contemporains qui délaissent la traditionnelle palette du peintre au profit de nouveaux outils extérieurs au domaine de l'art. Ainsi, sur la table de travail de sa compagne, l'artiste Katharina Duwen, on peut observer un ensemble d'objets chinés aux puces de Munich.
De gauche à droite :
- May Wilson. Untitled (Green Drawer, vers 1960. Assemblage d’objets, technique mixte, 63,3 x 25,4 x 15,2 cm.
Achat à la Pavel Zoubok Gallery en 2022. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.
- May Wilson. Untitled (Silver Broom and Cheese Grate), vers 1960. Assemblage d’objets, technique mixte, 50,8 x 38,1 x 5 cm.
Achat à la Pavel Zoubok Gallery en 2022. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.
- May Wilson. Untitled (Green Drawer), vers 1960. Assemblage d’objets, technique mixte, 27,9 x 30,8 x 10,1 cm.
Achat à la Pavel Zoubok Gallery en 2022. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

May Wilson débute sa carrière artistique à quarante-deux ans, après une vie de femme au foyer. Dès lors, elle bouscule les normes sociales, imagine des portraits féminins entre réalité et idéalisation, crée des assemblages d'objets divers. Des objets domestiques sont réunis dans des tiroirs disposés verticalement. La couleur monochrome qui les recouvre leur confère une forme d'abstraction. Ses assemblages sont à la fois des ex-voto du temps présent et des signes de l'obsolescence programmée des objets du quotidien.
 
Fernand Léger. La Joconde aux clés, 1930. Huile sur toile, 91 x 72 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.

Œuvre emblématique de Léger, La Joconde aux clés tourne en dérision une image iconique de la Renaissance en attirant l'attention du spectateur sur des objets ordinaires. Poussant plus loin la démarche de Léger qui grossit et isole au centre du tableau un trousseau de clés, Raymond Hains réalise en 1964 sa première pochette d'allumettes géante, copie fidèle d'un modèle courant. Polymorphe, son œuvre évolue des affiches lacérées vers la création d'un répertoire d'objets quotidiens monumentaux non dénués d'un certain humour quant à la notion d'œuvre d'art. Cette série fait écho aux pièces contemporaines du Pop Art américain, en particulier les pastiches d'objet de Claes Oldenburg.
 
Raymond Hains. SEITA, 1970. Bois mélaminé et peint, toile émeri, 98 x 80 x 25 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice. © Adagp, Paris, 2025.



Lettres, tampons et affiches

Scénographie
 
Fernand Léger, Blaise Cendrars. La Fin du monde filmée par l’Ange N-D, 1919. Paris, Éditions de la Sirène. Bon à tirer avec inscription manuscrite de Fernand Léger et rehauts de gouache. Exemplaire imprimé n°1110, 25 x 33 cm. Don de la Galerie jeanne Bucher en 1995 et 1996. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Fernand Léger, Blaise Cendrars. La Fin du monde filmée par l’Ange N-D, 1919. Paris, Éditions de la Sirène. Bon à tirer avec inscription manuscrite de Fernand Léger et rehauts de gouache. Exemplaire imprimé n°1110, 25 x 33 cm. Don de la Galerie jeanne Bucher en 1995 et 1996. Musée national Fernand Léger, Biot.

En 1919, les éditions de La Sirène publient La Fin du monde filmée par l'Ange N-D, rédigée par Blaise Cendrars, farce satirique, pacifiste et anticapitaliste conçue comme un scénario. Ce «film de papier» illustré par son ami Fernand Léger, évoque le vocabulaire cinématographique, joue sur l'interpénétration entre texte et images et la remise en cause du principe de lisibilité. Lettres noires ou en couleurs, rappelant le lettrage au pochoir, motifs figuratifs ou abstraits et plages colorées sont associés, dissociés, superposés, entremêlés dans des compositions dynamiques qui évoquent l'agitation du monde moderne.
 
Arman (Armand Fernandez, dit). Cachet, vers 1956 – 1958. Empreintes de tampons sur papier, 31,5 x 24 cm. Achat en 2005. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Arman (Armand Fernandez, dit). Cachet, vers 1956 – 1957. Empreintes de tampons sur papier, 31,5 x 24 cm. Achat en 2005. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Dès le milieu des années 1950, Arman emploie pochoirs et tampons encreurs dans une série d'œuvres qui préfigure son attrait pour les objets ordinaires et l'accumulation. Il évince le geste du peintre au profit de l’oblitération répétitive, violente et aléatoire. Déjà, en 1914, Léger utilise cet outil pour composer une Nature morte, qui rend hommage aux calligrammes (poèmes écrits en forme de dessin) du poète précurseur du surréalisme Guillaume Apollinaire. À quarante ans d'intervalle, Arman et Léger se rejoignent dans une expérimentation typographique et iconoclaste à mi-chemin entre abstraction et figuration. L'importance accordée au hasard et aux mots dénote également leurs influences surréalistes.
 
Fernand Léger, Blaise Cendrars. La Fin du monde filmée par l’Ange N-D, 1919. Publication, livre, imprimé avec rehauts de gouache, manuscrits au crayon sur imprimé, 25 x 33 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Fernand Léger. Nature morte, A.B.C., 1927. Huile sur toile, 65 x 92 cm. Donation de Daniel-Henry Kahnweiler en 1973. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Adrien Didierjean. © Adagp, Paris, 2025.

Dès 1914, dans la continuité des recherches cubistes, Fernand Léger introduit lettres et chiffres dans ses compositions, en écho à la publicité qui envahit les paysages: «La vie moderne est souvent en état de contraste et facilite le travail. L'exemple le plus fréquent c'est le panneau-réclame dur et sec, couleurs violentes, lettres typographiques, qui coupe un paysage mélodieux». En 1927, les lettres ABC deviennent le sujet principal d'une toile que Léger intitule Nature morte, genre qu'il entend renouveler. Il travaille et joue sur le lettrage en gros plan, dynamique et contrasté, posé sur un fond de bandes colorées et de formes géométriques qui évoquent une enseigne publicitaire.
Scénographie avec, au mur à gauche : César à la société française des ferrailles de Gennevilliers, 1961.
Photo Harry Shunk et János Kender.
Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI Bibliothèque Kandinsky.
Dist. RMN-Grand Palais / Fonds Shunk et Kender © Jénos Kender et © Harry Shunk / © SBJ / ADAGP, Paris 2025
 
Niki de Saint Phalle en collaboration avec Larry Rivers. Jean III (Méta-Tinguely), 1992. Peinture, éléments métalliques et moteurs électriques sur bois, 185 x 123 x 21 cm. Donation de l'artiste en 2001. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Après la mort du sculpteur Jean Tinguely en 1991, Niki de Saint Phalle réalise plusieurs portraits de son compagnon de vie et de travail. Ces hommages marquent le début des «Tableaux éclatés» (1992-1994) qui jouent sur le mouvement dynamique. En collaboration avec le peintre américain Larry Rivers qui réalise le portrait, Niki de Saint Phalle emploie des roues et des mécanismes engendrant sons, couleurs et mouvements pour illustrer l'homme et ses machines. Ce vocabulaire plastique rappelle la fascination de Fernand Léger pour les engrenages et l'introduction du mouvement dans l'œuvre d'art.

 

 

Ben (Benjamin Vautier, dit). Si l’art est partout, il est aussi dans cette boîte, 1985. Peinture acrylique sur Plexiglas, 150 x 100 x 102 cm. Don d'Acropolis-palais des Arts et des Congrès. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Muriel Anssens/Ville de Nice. © Ben Vautier / Adagp, Paris 2025.

Figure incontournable du mouvement Fluxus, Ben développe un art de gestes et d'attitudes liant l'art à la vie. II consigne ses idées et opinions dans des écritures à la calligraphie souple et presque enfantine, jouant avec les langues dans une dialectique locale / internationale. Cette boîte, qui illustre le concept de «tout est art», n'est pas sans rappeler les mots de Fernand Léger, pour qui la typographie joue un rôle plastique important: «II n'y a pas le beau, catalogué, hiérarchisé. Le beau est partout, dans l'ordre d’une batterie de casseroles sur le mur blanc d’une cuisine, aussi bien que dans un musée.»
Jacques Villeglé. Métro Arts et Métiers, 1974. Affiches lacérées sur toile, 99 x 170 cm. Achat à l'artiste avec l'aide du Fram en 1985.
Achat à l'artiste avec l'aide du Fram en 1985. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Dès 1949, Villeglé opte pour le rapt urbain et décolle des affiches dans les rues de Paris (ici à l'arrêt de métro Arts et Métiers) avant de les ré-agencer sur toile. Ce geste subversif révèle la beauté sauvage de la rue; il découle d’un travail de composition plastique influencé par les collages dadaïstes, lettristes et cubistes. Avec les arrachages, l'artiste parodie la peinture abstraite, gestuelle et lyrique encore dominante dans les années 1950. Cette volonté de créer un art figuratif, populaire et politique inspiré par l'esthétique de la rue le rapproche de Fernand Léger.
 
César. Sans titre, vers 1956 – 1958. Tôles compressées, 28 x 28 x 28 cm. Collection Guichard en dépôt au MAMAC, Nice.

Coutumier des matériaux de récupération et de la soudure le sculpteur César découvre en 1960 la presse hydraulique destinée à compresser les voitures vouées à la destruction. Il développe alors des «Compressions» (1959-1998) de toutes sortes d'objets. Les matériaux sont choisis tant pour leurs propriétés physiques que plastiques. Le geste créateur est délégué à la machine que l'artiste maîtrise peu à peu. Écrasés, compilés, les rebuts de la civilisation industrielle sont élevés au rang d'œuvres d'art. En 1975, le sculpteur réalise le trophée du cinéma français donnant son nom à la cérémonie des César.
 
Robert Indiana. The Figure 5. Série «Decade», 1971. Sérigraphie, 100 x 80 cm. Don de l'artiste en 1998. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

L'artiste emprunte à l'esthétique lisse et simplifiée de la publicité les aplats de couleurs vives clairement délimités. Son travail s'articule autour du signe. Lettres, chiffres et formes géométriques s'enchevêtrent pour créer de nouveaux symboles qui combinent références artistiques, personnelles et populaires. La série «Decade» (1971) représente le parcours artistique d'une décennie. La dimension accessible et populaire de son œuvre, tout comme ses couleurs et ses formes, évoquent l'art de Fernand Léger. Cette œuvre est un hommage à un tableau de Charles Demuth représentant le passage à toute vitesse d'un camion incendie rouge, marqué du chiffre 5. Indiana ajoute des mots-cibles. «DIE» (mourir) évoque le décès de sa mère.


Des visages-objets

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.
 
Fernand Léger. L’Homme au chapeau bleu, 1937. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

Cette œuvre représente un personnage dans un univers de contrastes et de couleurs où les fleurs coupées sont traitées comme des objets inertes. Malgré la dimension relativement impersonnelle du tableau, on pourrait voir dans cet homme un portrait déguisé du peintre qui compose, sans distinction, avec le vivant et le non-vivant et propose une nouvelle manière de peindre le réel.
 
Daniel Spoerri. Agg i Hatten, 1965. Assemblage, bois, verre, plâtre, 60 x 39 x 39 cm. Achat à l'artiste en 1976. Centre national des Arts plastiques, en dépôt au MAMAC, Nice.

Cette sculpture de Daniel Spoerri traduit en image une expression suédoise peu usitée relevant le caractère impoli d'une personne qui n'ôterait pas son couvre-chef parce qu'elle y cache les fruits d'un vol. «Avoir des œufs dans son chapeau» est un clin d'œil aux petits larcins que l'artiste a commis pendant sa jeunesse et à ses premiers pas dans le monde du spectacle, de la danse et du théâtre. Composée d'objets chinés dans des marchés aux puces, cette œuvre apparaît comme un portrait de l'artiste, qui évoque son attrait pour les objets trouvés, le surréalisme mais aussi son goût pour les jeux de mots, les farces et l'ambivalence entre le vrai et le faux.
Scénographie
 
Fernand Léger, Roland Brice (1911-1989), céramiste. Visage à la main sur fond rouge, vers 1954. Terre cuite émaillée à décor de couleur rouge et noir, 50,6 x 45,3 x 7,6 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.

 
Martial Raysse. Nissa Bella, 1964. Report photographique sur feutrine marouflée sur contreplaqué, acrylique et néon sur toile, 180 x 120 x 15 cm. Achat en 1990. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice. © Adagp, Paris, 2025.

Dès 1962, l'artiste met en scène des figures féminines stéréotypées aux couleurs acidulées et aléatoires inspirées de l'imagerie publicitaire, qu'il associe à des objets du quotidien. Initialement intitulée Le Portrait de France, en l'honneur de son épouse, l'artiste France Cristini, le tableau est rebaptisé, après la séparation du couple, Nissa Bella, en hommage à la cité azuréenne et à l'esprit de vacances perpétuelles qui y règne. L'artiste combine techniques et matériaux: report photographique, shaped canvas (toile découpée selon la forme du sujet peint), peinture acrylique, collage, feutrine et néon. Ce qu'il appelle la «couleur vivante» forme le cœur qu'il place sur la joue du modèle, tel un baiser. Raysse magnifie ce portrait d'amour, l'élève au rang d'icône d'une société de loisirs artificielle.
 
Fernand Léger, Roland Brice (1911-1989), céramiste. Les Femmes au Perroquet, couleurs en dehors, vers 1952. Bas-relief en terre cuite émaillée composé de 4 éléments, 97 x 82 x 12,5 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

Dans ce bas-relief en céramique, Léger entremêle deux figures humaines, un perroquet et des éléments végétaux. Délimités par un cerne noir qui supprime les détails superflus, les motifs se fondent dans les plages de couleur pure qui flottent à la surface du relief. La technique de la «couleur en dehors», inventée par Léger lors de son exil américain, accentue l'impression d’une figure désincarnée, presque abstraite: «On a pu alors considérer la figure humaine [...] uniquement comme une valeur plastique. Voilà pourquoi [elle] reste volontairement inexpressive». Ainsi la tête en ronde bosse de Saint Phalle se rapproche-t-elle de l'esthétique de Léger. La «figure-objet», non individualisée, est prétexte à un jeu de forts contrastes entre les formes et les couleurs franches, posées en aplats.
 
Niki de Saint Phalle. Petit témoin visage vert, 1971. Polyester peint et vernis acrylique, 33 x 33 x 10 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.



3 - L'ART C'EST LA VIE

Scénographie

«Transportés par l’imagination, nous atteignons la «Vie», la vie elle-même qui est l’art absolu.» Yves Klein (1959).

Pour Léger, artiste foncièrement optimiste, la peinture est un moyen de rendre hommage à la vie tout en témoignant des profondes mutations sociales de son époque. Inscrits dans le temps présent, les sujets qu’il traite reflètent la transformation des modes de vie avec l’adoption des premiers congés payés sous le Front populaire, en 1936.

L’essor des loisirs, l’esprit festif du spectacle (danse, musique, cirque), les sujets sportifs (cyclistes, plongeurs) sont pour lui l’occasion de célébrer le dynamisme du monde moderne, la plénitude des classes populaires qui se ressourcent au plus près de la nature, ou encore la souplesse des corps en mouvement des athlètes et acrobates. Afin de s’adresser à tout le monde, Léger évoque ces nouveaux sujets, pleins de joie de vivre, dans des formats monumentaux qui intègrent l’œil et le corps du spectateur.

À partir des années 1960, certains artistes du Nouveau Réalisme font aussi l’éloge de la société des loisirs et de l’émancipation des corps, à l’image de la série des «Nanas» de Niki de Saint Phalle. En saisissant la poésie du quotidien, ils gomment les frontières entre l’art et la vie. Ils détruisent ainsi les symboles de l’ancien monde pour en construire un nouveau, placé sous le signe de la liberté.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gilbert & George. Flower Worship, 1982. Technique mixte, 300 x 250 cm. Achat à la galerie Crousel-Hussenot, Paris, avec l'aide du Fram en 1987. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice / Muriel Anssens. © Gilbert & George, 2025.

Ce duo de performeurs-photographes, formant une entité artistique, dépeint avec humour la société londonienne des années 1970-1980. Parodiant le conformisme, figeant les clichés, il se représente dans des situations ordinaires avec impertinence. Cet attachement à la banalité prône un art populaire comme chez Fernand Léger. La chosification des personnages est une autre analogie. Le cerne noir, les teintes de couleurs vives et contrastées du photomontage, la monumentalité rappellent aussi l'art de Léger. Cette scène bucolique illustre tant le Flower Power que l'imagerie d’un bonheur naïf qui n'est pas sans évoquer l'esthétique victorienne.
 
Fernand Léger, Roland Brice (1911-1989), céramiste. Le Tournesol, 1954. Bas-relief en terre cuite émaillée, 51,3 x 49,5 x 7,5 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.

 
Fernand Léger, Roland Brice (1911-1989), céramiste. La Fleur jaune, vers 1952. Bas-relief en terre cuite émaillée, 51,7 x 42,5 x 4 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.



La plénitude des corps

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.
 
Niki de Saint Phalle. Football, 1992. Sérigraphie, 65 x 50 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Niki de Saint Phalle. Footballeurs, 1994. Sérigraphie, 76,8 x 65,6 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

Fernand Léger. Maquette pour le stade de Hanovre, vers 1955. Gouache sur papier, 21,1 x 90 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.


Acrobates et cyclistes

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.
 
Fernand Léger. Le Campeur, vers 1954. Huile sur toile, 297,5 x 245,5 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

En 1952, Fernand Léger s'installe à Gif-sur-Yvette en région parisienne, et entame la série «La Partie de campagne», inspirée de la nature environnante où les classes populaires viennent se ressourcer et se divertir pendant leur temps libre. Le Campeur s'inscrit dans cette même veine. En hommage aux acquis sociaux du Front populaire, ravivés à la Libération, Léger donne à voir une vision moderne du sujet traditionnel de la scène champêtre - ici rompue par des constructions métalliques et le contraste des personnages - et célèbre le thème des loisirs.
 
Karel Appel. Le Cycliste, 1969. Huile sur toile et bois peint en relief, 250 x 200 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice / Muriel Anssens. © Karel Appel Foundation / © Adagp, Paris, 2025.

Fernand Léger. Les Quatre Cyclistes, 1943-1948. Huile sur toile, 130,2 x 162,2 cm.
Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.


Fernand Léger débute la série des «Cyclistes» aux États-Unis. Symbole de modernité, de liberté et de loisir populaire, le vélo le fascine comme «objet en mouvement» mais aussi pour ses contrastes entre cadre orthogonal et roues mobiles. Avec Les Quatre Cyclistes, Léger expérimente pour la première fois la technique de la «couleur en dehors», inspirée des lumières de New York. Librement distribuées, les couleurs s'affranchissent du contour cerné des formes et animent la composition frontale des quatre jeunes femmes aux corps enchevêtrés.
Scénographie
 
Fernand Léger. Cirque, 1950. Paris, Éditions Verve. Lithographie, planche extraite d’un album illustré de 63 lithographies en couleurs et en noir et blanc, 42 x 64 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.
 
Fernand Léger. Cirque, 1950. Paris, Éditions Verve. Lithographie, planche extraite d’un album illustré de 63 lithographies en couleurs et en noir et blanc, 42 x 64 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.
Dès 1965, Niki de Saint Phalle crée ses «Nanas» multicolores aux silhouettes généreuses et athlétiques. Elles incarnent le pouvoir des femmes affranchies des Stéréotypes sexistes. Dans son album «Cirque», Léger exalte aussi l'émancipation du corps féminin. Une cycliste à la tenue moderne et décontractée proclame, impertinente: «Est-ce que je te demande si ta grand-mère fait du vélo?». La série des «Cyclistes» de Léger et les «Nanas» de Saint Phalle participent, dans deux contextes différents, d'une même démarche militante en faveur des droits des femmes.
 
Niki de Saint Phalle. Volleyball, 1993. Sérigraphie, 80,5 x 60,5 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Niki de Saint Phalle. Cirque Knie, 1994. Sérigraphie, 120 x 250,5 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Fernand Léger. La Danseuse au chien, étude pour La Grande Parade, le chien sur la boule, 1952. Crayon et gouache sur papier, 41,8 x 51,1 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Niki de Saint Phalle. Nana Santé, 1999. Lithographie, 61 x 49 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice / Muriel Anssens. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris.



4 - LE BEAU EST PARTOUT

Scénographie. Photo Pauline Bessaudou.

«Mes dessins ne tentent pas d’imiter la vie, ils tentent de créer la vie, de l’inventer.» Keith Haring.

Dès les années 1930, Léger crée, parallèlement à ses tableaux de chevalet, des œuvres abstraites et décoratives spécialement conçues pour l’architecture. Dans le contexte de la reconstruction d’après-guerre, il répond à des commandes publiques pour accomplir son rêve d’insérer sa peinture dans les paysages urbains ou naturels. En 1946, sa première réalisation, la façade en mosaïque de l’église du plateau d’Assy, est suivie d’autres commandes, tels que les décors de l’Hôpital-mémorial de Saint-Lô, manifeste le plus frappant de sa foi dans le pouvoir thérapeutique de la couleur.

Niki de Saint Phalle rejoint les préoccupations de Léger en multipliant dès 1967, les projets de sculptures monumentales et habille le monde de ses figures rondes aux couleurs éclatantes. Elle imagine sa «Nana Ville» avec le désir de donner le pouvoir aux femmes et de lutter contre la morosité de l’urbanisme moderne.

Une utopie artistique et politique, un idéal d’art pour tous, que les inventeurs du Street Art dans les années 1980, reprennent à leur compte en faisant des murs de New York le support de leur expressivité. Ainsi, Keith Haring rend hommage à Léger en affirmant que «l’art n’est pas une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs, il s’adresse à tout le monde.»

 

Niki de Saint Phalle travaille la mosaïque dans ses réalisations monumentales, notamment au Jardin des Tarots. Cette pratique décorative, artisanale et populaire, lui permet des déploiements merveilleux et fantastiques jouant sur les rapports d'échelles de l’infiniment petit à l'infiniment grand. Ce bas-relief de mosaïque affirme la dimension symbolique de son œuvre. Son iconographie fétiche (la nana-déesse de la création, la tête de mort, la main, le cœur, la fleur, le soleil...) s'articule ici dans une composition ésotérique qui révèle l'influence des cultures et traditions ancestrales et populaires, notamment amérindienne, mexicaine et égyptienne.

Texte du panneau didactique.
 
Niki de Saint Phalle. Le Soleil, 1987. Mosaïque de miroir et de céramique, 125,8 x 126,8 cm. Donation de l'artiste en 2001. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.



La couleur dans l'espace

Fernand Léger. Façade en mosaïque de l'église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, 1947-1950.
 
Fernand Léger. Maquette pour la mosaïque de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, 2e état, 1947. Gouache sur papier, 45,9 x 102,1 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Bio.

 
Fernand Léger. Maquette pour la mosaïque de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, 3e  état, 1947. Gouache sur papier, 45,9 x 102,2 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

En 1946, l'artiste reçoit la commande d’une mosaïque monumentale pour la façade principale de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d'Assy. Véritable œuvre d'art totale réunissant toutes les techniques, cet édifice religieux témoigne du renouveau de l'art sacré grâce à la collaboration d'artistes tels que Marc Chagall ou Georges Braque. Le programme iconographique confié à Léger est consacré aux litanies de la Vierge. Il connaît des évolutions successives au fil des études préparatoires. Tandis que le troisième état est uniquement composé de fleurs décoratives, la maquette finale met en valeur le visage de la Vierge entouré d'inscriptions et de symboles. Dans un souci de dialogue avec l'environnement naturel, l'ensemble se détache sur une association dynamique de formes géométriques évoquant un paysage de montagne.
Niki de Saint Phalle. Le Jardin des Tarots, Garavicchio (Italie), 1979-1998. Vue panoramique, 1991.
Photo Laurent Condominas. © Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris 2025.
 
Niki de Saint Phalle. Oiseau de feu, fontaine, 1993. Carton sérigraphie, 13,5 x 21,5 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Fernand Léger. Projet pour une peinture murale «Vulcania», 1951. Huile sur toile, 113,8 x 194,8 x 2 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Vidéo. Niki de Saint Phalle: Un rêve d'architecte (extraits).

 





Un art de rue

Scénographie
 
Niki de Saint Phalle. Miles Davis, 1999. Mousse de polyuréthane, résine, armature acier, mosaïque de verre teinté et miroir, doré à l’or fin, 270 x 130 x 100 cm. Collection particulière. Hôtel Negresco, Nice. © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris.

Installée en 2002 sur la promenade des Anglais à Nice devant le prestigieux hôtel Le Negresco, cette sculpture monumentale représente Miles Davis jouant de la trompette. La série des «Black Heroes» (1998-2000) témoigne de l'engagement politique de Niki de Saint Phalle qui, trente ans après la création de ses premières «Nanas» noires en 1965, a à cœur d'incarner le multiculturalisme de la Société moderne. Témoin dès son enfance de la ségrégation raciale à New York, elle transmet ainsi des valeurs d'émancipation, de respect et d'égalité.
Cette œuvre illustre aussi la joie de vivre et l'amour de la Musique de Niki de Saint Phalle, tout en inscrivant son œuvre dans un paysage urbain public. Des similitudes esthétiques existent avec l'œuvre de Fernand Léger qui a été une source d'inspiration pour la série des «Nanas» (1965-2001). En parfaite harmonie avec les décors abstraits conçus par Léger dans les années 1950, les couleurs chatoyantes et les motifs circulaires du veston en mosaïque du musicien tirent parti des contrastes dynamiques. Enfin, les deux artistes partagent la conviction que l'art et la beauté doivent inonder la vie pour le bonheur de tous.
 
Niki de Saint Phalle. Wall Street, vers 1975. Polyester peint, 90 x 45 x 39 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice.

 
Fernand Léger. Roland Brice (1911-1989), céramiste. Le Soleil, 1954. Bas-relief en terre cuite émaillée, 45,3 x 38,5 x 5,9 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Keith Haring. Untitled (n° 2557), 1986. Acrylique et huile sur toile, 240 x 240 cm. Achat à la galerie Daniel Templon, Paris, avec l'aide du Fram en 1987. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice. © Ville de Nice. © Keith Haring Foundation, 2025.

Dans les années 1980, Keith Haring utilise la ville de New York comme support d'expression. Ses interventions sont aussi des actes politiques contre toutes les formes de discrimination et d'oppression. Plastiquement, l'emploi d'aplats de couleurs vives et contrastées, l’utilisation du cerne noir ainsi que la stylisation des silhouettes humaines le rapprochent de Fernand Léger, dont il admirait l'œuvre. Témoins de la modernité, ils sont chacun à leur manière les acteurs incontournables d’une culture populaire et urbaine accessible à toutes et à tous.
 
Fernand Léger. Les Deux Guidons, 1945. Huile sur toile, 50,6 x 40,4 cm. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Fernand Léger. Composition pour une peinture murale, 1945. Huile sur toile, 50,4 x 40,2 cm. Musée national Fernand Léger, Biot. © GrandPalaisRmn / Gérard Blot. © Adagp, Paris, 2025.

 
Fernand Léger, Roland Brice (1911-1989), céramiste. La Branche Rockfeller, 1952. Sculpture en terre cuite émaillée, 48,5 x 31,5 x 11 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

 
Fernand Léger. Les Trois Musiciens, vers 1930. Huile sur toile, 238 x 230,5 cm. Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969. Musée national Fernand Léger, Biot.

Thème prisé par les artistes depuis la Renaissance, Les Trois Musiciens de Fernand Léger sont transposés dans le monde moderne. Leurs costumes endimanchés et leurs instruments évoquent les bals populaires parisiens que l'artiste fréquente dans les années 1920. Léger commence les «Musiciens» vers 1925, mais le tableau définitif de cette série sera exécuté aux États-Unis en 1944. L'artiste insiste dans ses écrits sur la nécessité vitale de la musique et sur son rôle social. Cette toile peinte vers 1930, abandonnée puis reblanchie par l'artiste, a été retrouvée après sa mort, roulée dans un coin de son atelier et sauvée in extremis.