SUZANNE VALADON. Après le Centre Pompidou-Metz, Nantes et Barcelone, le Centre Pompidou nous présente, enrichie de nouveaux prêts, cette première monographie de Suzanne Valadon (1865-1938) depuis celle de 1967 au Musée national d’art moderne. Après les rétrospectives consacrées à Dora Maar (Lettre 483), Georgia O’Keeffe (Lettre 533), Germaine Richier (Lettre 570) c’est une nouvelle étape que franchit le Centre Pompidou pour approfondir l’étude et la connaissance du travail d’artistes femmes.
Marie-Clémentine Valadon est née en Haute-Vienne en 1865. Elle vit avec sa mère, couturière, à Montmartre où elle travaille dès l’âge de onze ans comme couturière, blanchisseuse, serveuse et marchande des quatre saisons. Elle est ensuite trapéziste mais doit abandonner le métier d’acrobate suite à une mauvaise chute. C’est alors qu’elle devient modèle en 1880, à l’âge de quinze ans, sous le prénom de Maria, pour le peintre Jean-Jacques Henner. Elle posera ensuite pour de nombreux peintres dont Puvis de Chavannes, qui lui dira: «Tu es un modèle, pas une artiste!», Renoir, Bartholomé, qui la présentera à Degas (celui-ci lui donnera de nombreux conseils et achètera ses dessins), Utter, qui deviendra son mari, Forain, Steinlen, etc. C’est Toulouse-Lautrec, son amant, qui lui suggère le prénom de Suzanne, en référence à la Suzanne biblique, car elle pose nue pour des vieillards!
En 1883, à 18 ans, elle attend un fils, Maurice, dont elle dit ne pas connaître le père. Maurice Valadon prend le nom d’Utrillo en 1891, lorsque Miquel Utrillo, son père putatif qui s’intéresse à l’enfant, le reconnaît. En 1893 elle a une relation passionnée avec Éric Satie, qui lui propose le mariage dès le premier soir et fait d’elle des portraits sur du papier à musique. Peu après, elle devient la maîtresse de Paul Mousis, agent de change et ami d'Erik Satie, qu'elle épouse en 1896. Le couple s'installe alors au 12 rue Cortot, aujourd’hui musée de Montmartre, en haut de la butte Montmartre. Ce mariage lui donne une stabilité financière qui lui permet de se consacrer à sa peinture et à l'éducation de Maurice. Ce mariage prend fin en 1909, année où elle se met en ménage avec l'ami de son fils, le peintre André Utter (1886-1948), de plus de vingt ans son cadet, qu’elle épouse en 1914.
En fréquentant comme modèle les ateliers d'artistes, elle perfectionne sa maîtrise du dessin qu'elle pratique depuis l’enfance. Sa première œuvre signée Suzanne Valadon - elle a alors dix-huit ans - est un Autoportrait (1883) au pastel. À cette époque, elle fait des dessins, surtout des portraits, à la mine de plomb, au fusain et à la sanguine. Cela devient son activité principale jusqu'en 1909. Ce n’est qu’en 1892 qu’elle se lance dans la peinture à l’huile.
C’est en ayant en tête la vie mouvementée et passionnée de Suzanne Valadon que l’on comprend mieux les quelque 200 œuvres exposées ici. Les nombreux cartels développés nous la rappellent tout au long du parcours en six étapes.
Après une introduction où l’on voit quelques autoportraits et des tableaux emblématiques qui montrent son originalité, on entre dans la première section, «Apprendre par l’observation». Là sont exposés des tableaux des peintres dont elle fut le modèle ou qui lui apprirent le métier.
À ses débuts, Valadon peint essentiellement des membres de son entourage: sa mère, ses amants, sa nièce Marie Coca. On voit ainsi grandir, en trois tableaux, Gilberte, la fille de cette dernière. Toutes ces toiles sont peintes sans concession, avec des cadrages et des poses inhabituels. Une salle est dédiée aux dessins de ses proches. C’est l’un des mérites de cette exposition de nous montrer plus de quatre-vingts dessins et estampes de Valadon qui utilisa toutes sortes de techniques.
Vient ensuite une section de portraits divers intitulée «Je peins les gens pour apprendre à les connaître». On y voit des portraits de personnalités (Portrait de Madame Lévy, 1922 ; Portrait de Louis Moyses, fondateur du Bœuf sur le toit, vers 1924; Portrait de Charles Wakefield-Mori, 1922), de soutiens (Le Docteur Robert Le Masle, vers 1930; Portrait de Paul Pétridès, 1934; Portrait de Madame Pétridès, 1937), de peintres (Portrait de Geneviève Camax-Zoegger, 1936; Portrait de Germaine Eisenmann, 1924), etc. Les portraits d’homme sont rares mais représentent souvent des personnes qui ont compté dans sa vie.
Si les portraits constituent une part importante de sa production, Valadon s’intéresse aussi, plus tardivement, aux paysages et aux natures mortes. La cinquième section, « La vraie théorie, c’est la nature qui l’impose », nous en montre divers exemples. On y voit des représentations du château de Saint-Bernard, dans l’Ain, qu’elle acheta avec Utter en 1923 pour éloigner Maurice Utrillo de la boisson. Le gibier qu’Utter rapporte de la chasse est l’objet de diverses natures mortes (Nature morte au lapin et à la perdrix, 1930; Le Canard, 1930). Les fleurs occupent aussi une grande place, surtout à la fin de sa vie. C’étaient des cadeaux qu’elle pouvait faire à ses proches.
Mais la partie la plus importante de l’exposition est la dernière section, celle consacrée au nu, «Le nu: un regard féminin». Elle occupe presque la moitié du parcours avec une trentaine de toiles de grandes tailles telles La Joie de vivre (1911) ou Le Lancement du filet (1914) (plus de trois mètres de large) et de nombreux dessins et estampes. On constate que le nu est bien le sujet de prédilection de Valadon. C’est l’une des premières femmes à peindre des hommes nus, de face, sexe visible. Néanmoins pour exposer au Salon des Indépendants Adam et Ève (1909), où elle se représente avec Utter nus et de face, ou encore Le Lancement du filet, elle doit cacher le sexe d’Utter avec des feuilles de vigne ou un morceau du filet! Ses nus féminins ne cèdent pas aux conventions habituelles. Elles représentent ses personnages dans des tâches banales: toilette, ménage, baignade, se séchant, se reposant. La plupart sont en pied. Son style est très personnel. D’ailleurs, alors qu’elle peint à une époque où apparaissent des mouvements tels l’abstraction et le cubisme et qu’elle fréquente Picasso et Matisse, elle ne suit aucun des courants de son temps, sinon peut-être le sien.
En parcourant cette exposition, on note l’influence de Valadon sur certains peintres contemporains, dont on voit quelques toiles parmi les siennes. Cette magnifique exposition est la dernière grande rétrospective du Centre Pompidou avant sa fermeture de cinq ans pour travaux. Il ne faut pas la manquer. R.P. Centre Pompidou 4e (01.44.78.12.33). Jusqu’au 26 mai 2025. Lien : www.centrepompidou.fr.