MANET / DEGAS

Article publié dans la Lettre n°573 du 28 juin 2023



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

MANET / DEGAS. Le musée d’Orsay et le Metropolitan Museum of Art se sont unis pour organiser cette exposition qui sera présentée à New York à partir du mois de septembre 2023. Le sujet est inattendu car si ces deux artistes ont été des acteurs essentiels de la Nouvelle Peinture des années 1860-1880, leurs divergences sont plus nombreuses que leurs analogies. C’est ce que montrent les commissaires avec quelques 200 œuvres dont 92 peintures et 55 arts graphiques, répartis en 14 sections thématiques.
Édouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) sont les aînés de familles aisées et ils choisirent la voie artistique plutôt que celle qui leur était destinée par leurs parents. Tous deux étudient auprès de peintres reconnus mais en dehors de l’École des beaux-arts, ce que l’on pourrait interpréter comme un désir précoce d’indépendance.
Ils se seraient rencontrés au Louvre où Degas faisait une copie d’un tableau de Velázquez, passage obligé dans l’apprentissage de la peinture à cette époque. La troisième section nous montre d’ailleurs une douzaine de peintures de ces deux artistes copiées ou inspirées par les maîtres anciens.
La suite du parcours est une succession de comparaisons dans différentes thématiques comme le Salon, le portrait, les relations mondaines, les courses, les parisiennes, le nu, etc. Au fil des sections on voit combien Manet était fidèle aux valeurs traditionnelles de son temps au contraire de Degas. Dès 1861, Manet expose au Salon en se conformant aux attentes de l’époque. Degas attend 1865 pour présenter sa première toile, Scène de guerre au Moyen Âge, qui passe totalement inaperçue ! Même si ni l’un ni l’autre n’ont des impératifs financiers, Manet fait des portraits dans des poses héritées des maîtres anciens alors que Degas cherche avant tout à saisir les « gens dans des attitudes familières et typiques ». C’est ainsi qu’il offre à Manet un tableau de ce dernier, avachi dans un canapé, écoutant sa femme jouer du piano. Manet, trouvant l’image de sa femme trop enlaidie coupe le tableau en deux, d’où une brouille entre les deux hommes quand Degas l’apprend. Manet fréquente le salon des Morisot, foyer de modernité pour les artistes, musiciens et écrivains. Berthe Morisot, elle-aussi peintre reconnue, épouse l’un des frères de Manet. C’est elle qui incarne cette « femme fatale » dans Le Balcon (1868-1869), l’un des plus célèbres tableaux de Manet avec la scandaleuse Olympia (1863).
Si l’on retrouve souvent les mêmes sujets chez les deux peintres, au point que Degas s’en agace et se serait exclamé: «Ce Manet ! Dès que j'ai fait des danseuses, il en a fait... il imitait toujours.», leur traitement est très différent. Dans la section « Aux courses », Manet ne s’intéresse qu’à la course elle-même alors que Degas privilégie ses à-côtés comme un faux départ ou des jockeys amateurs qui attendent leur tour. Néanmoins, dans cette section, les commissaires mettent en regard la Scène de Steeple chase (1866) de Degas, avec un cavalier gisant sur le sol, et L’Homme mort (1864) de Manet et son matador étendu à terre.
À la différence de nombreux artistes qui ont fui le pays pendant la guerre de 1970-1971, Degas et Manet sont réquisitionnés au sein de la garde nationale et demeurent à Paris. Manet réalise a posteriori de nombreuses œuvres sur cette guerre et le douloureux siège de Paris par les prussiens.
Avec l’avènement de l’impressionnisme dans les années 1860, les deux hommes se rendent compte de l’importance de ce « paysagisme de plein air ». Ce mouvement est largement inspiré par Manet, chef de file de l’avant-garde artistique, mais sans qu’il l’assume et sans qu’il expose avec les impressionnistes. Au contraire, Degas affiche son mépris d’une approche trop sensible du réel mais participe à toutes les expositions impressionnistes dès 1874.
Les dernières sections s’attachent à comparer le traitement par les deux hommes des sujets féminins. De l’avis de leurs contemporains, Manet est un séducteur alors que Degas n’a « jamais fait beaucoup la noce ». Le premier valorise les portraits féminins alors que le second est qualifié de misogyne. C’est manifeste quand on compare les tableaux réalisés avec le même modèle, l'actrice Ellen Andrée, dans le même café, La Nouvelle Athènes. Degas la représente sous l'emprise dégradante de l'alcool (L’Absinthe, entre 1875 et 1876) tandis que Manet nous montre une jeune femme séduisante, élégamment vêtue (La Prune, 1877). Même chose avec les sujets de nu. Nous avons par exemple une Étude de nu assis, très chaste, de Manet, et Le Client de Degas, un homme entrant dans un bordel.
On ne connaît aucun portrait de Degas par Manet. En revanche, il y en a une multitude de Manet par Degas. Après la mort prématurée de Manet, Degas complète sa collection avec quelques 80 œuvres de celui-ci et envisage même de lui consacrer un musée comme l’évoque la dernière section de cette remarquable exposition. Une mention spéciale pour l’excellente scénographie, qui rend limpide le propos des commissaires, et les nombreux cartels développés, bien utiles pour comprendre le choix des œuvres. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 23 juillet 2023. Lien : www.musee-orsay.fr.


Pour vous abonner gratuitement à la Newsletter cliquez ici

Index des expositions

Accès à la page d'accueil de Spectacles Sélection