Parcours en images de l'exposition

MANET / DEGAS

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°573 du 28 juin 2023





Affiche de l'exposition


INTRODUCTION

Scénographie

Rapprocher Manet (1832-1883) et Degas (1834-1917), c’est chercher à comprendre l’un à partir de l’autre, en examinant aussi bien leurs ressemblances que leurs différences, voire leurs divergences. Chez ces acteurs essentiels de la Nouvelle Peinture des années 1860-1880, les analogies ne manquent pas, des sujets aux options stylistiques, des lieux où ils exposèrent à ceux où ils se croisèrent, des marchands aux collectionneurs sur lesquels s’appuyèrent leurs carrières indépendantes.
La biographie signale d’autres proximités, de l’expérience de la guerre de 1870-1871 jusqu’à la Nouvelle Athènes, ce café de la place Pigalle qui avait le don de stimuler les discussions et d’apaiser les tensions. Car heurts et disputes, il y en eut. Manet ne suit pas Degas dans l’aventure impressionniste, par choix de carrière. Degas lui-même, s’il croit à la force collective, se garde de peindre comme Monet.
En ramenant Manet et Degas sous la lumière de leurs contrastes, cette exposition incite à porter un nouveau regard sur la complicité et la durable rivalité de deux créateurs, à maints égards, uniques.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). Autoportrait à la palette, vers 1878-1879. Huile sur toile. Collection particulière. 

Si Manet pose volontiers pour des photographes ou pour ses amis peintres, on ne lui connaît qu'un seul véritable autoportrait. C'est à la fin des années 1870 qu'il se représente à la fois comme un artiste et un dandy parisien, affublé d'un chapeau de feutre noir et d'un veston jaune.
 
Edgar Degas (1834–1917). Portrait de l'artiste ou Degas au porte fusain, 1855. Huile sur papier marouflé sur toile, 81,5 x 65 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
 
Edgar Degas (1834–1917). Autoportrait dans sa bibliothèque, 1895. Épreuve argentique à partir d'un négatif sur verre au gélatino-bromure d'argent 18 x 20 cm. Paris, musée d'Orsay. Don Mme Robert Devade par l'intermédiaire de la société des Amis du musée d'Orsay, 1994. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski. Pas présentée dans l’exposition.


I - L'ÉNIGME D'UNE RELATION

Scénographie

Une part importante de mystère entoure les relations de Manet et de Degas. Si tous deux se fréquentent régulièrement et côtoient les mêmes cercles, on ignore la date de leur rencontre et on ne conserve quasiment aucune lettre adressée par l’un à l’autre. Leurs contemporains et leurs biographes sont les principales sources d’information sur leurs rapports faits d’un mélange d’admiration et d’irritation, l’écrivain George Moore évoquant à leur propos une « amitié (…) ébranlée par une rivalité inévitable ».
Leurs œuvres révèlent une asymétrie frappante: on ne connaît aucune représentation de Degas par Manet tandis que Degas a fait de nombreux portraits de Manet. L’un d’entre eux était une peinture le montrant en train d’écouter son épouse au piano. Insatisfait par ce tableau qui lui avait été offert, Manet aurait coupé la partie de la toile où était représentée sa femme. Ce geste, d’une grande violence symbolique, serait à l’origine de l’une des plus fameuses brouilles entre les deux artistes.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834–1917). Portrait d’Edouard Manet, vers 1868. Mine graphite, estompe, rehauts de blanc sur papier vélin rose, 40 x 25,5 cm. Paris, musée d’Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). L’Infante Marguerite (d'après Velázquez), 1862. Eau-forte, état unique. Stockholm, Nationalmuseum. 

Manet réalisa comme Degas une eau-forte d'après l'infante de Velázquez du musée du Louvre. Mais il respecte le sens du tableau original : pour cela il grava un cuivre en atelier d'après un dessin inversé.
 
Edouard Manet (1832-1883). Les Bulles de savon, 1867. Huile sur toile. Lisbonne, Calouste Gulbenkian Museum.

Le modèle est Léon Koëlla-Leenhoff (1852-1927), fils naturel de Suzanne Manet, née Leenhoff, présenté par convenance comme son jeune frère (on ignore toujours qui est son père biologique). Élevé par sa mère et par Manet, son parrain, il figure dans de nombreuses œuvres des débuts de l'artiste. En 1867, Léon est employé comme commis de bourse par le père de Degas. C'est à cette époque qu'il apprend que Suzanne est en réalité sa mère et non sa sœur.
De gauche à droite et de haut en bas :

1-Edgar Degas (1834-1917). Édouard Manet assis, tourné vers la droite, vers 1868. Eau-forte et pointe sèche, 1er état sur 4.
New York, The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1921.
2-Edgar Degas (1834-1917). Édouard Manet en buste, vers 1868. Eau-forte, pointe sèche et aquatinte sur papier, 3e état sur 4.
New York, The Metropolitan Museum of Art, gift of Mrs. Imrie de Vegh, 1949.
3-Edgar Degas (1834-1917). Édouard Manet assis, tenant son chapeau, vers 1868. Mine graphite et fusain sur papier.
New York, The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1918.
4-Edgar Degas (1834-1917). Édouard Manet assis, tourné vers la gauche, vers 1868. Eau-forte, 1er état sur 4.
New York, The Metropolitan Museum of Art, purchase, Mr. and Mrs. Derald H. Ruttenberg Gift, and several members of the Chairman's Council Gifts, 2003.
5-Edgar Degas (1834-1917). Portrait d'Édouard Manet, vers 1868. Crayon sur papier.
Paris, musée Marmottan Monet, legs Annie Rouart, 1993.
6-Edgar Degas (1834-1917). Portrait d’Édouard Manet debout, vers 1868. Mine graphite, lavis d'encre de Chine sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
7-Edgar Degas (1834-1917). Édouard Manet assis, profil droit, vers 1868. Craie noire sur papier.
New York, The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1918.
8-Edgar Degas (1834-1917). Portrait d’Édouard Manet, vers 1868. Mine graphite, rehauts de blanc et estompe sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
 
Edgar Degas (1834-1917). Monsieur et Madame Manet, vers 1868-1869. Huile sur toile, 65 x 71 cm. Kitakyushu, Kitakyushu Municipal Museum of Art, Japon. © Kitakyushu Municipal Museum of Art.

Saisissant ici Manet dans une attitude «étrangement habituelle», Degas peint à l’origine un double portrait réunissant l’artiste et son épouse au piano. Insatisfait de cette œuvre que lui offre Degas, Manet coupe l’image de sa «femme trop enlaidie». Lorsqu’il découvre son tableau mutilé, Degas, terriblement blessé, l’emporte avec lui. Plusieurs décennies plus tard, il ajoutera une bande de toile afin de «rétablir Madame Manet» et de lui rendre ce portrait, projet qu’il ne mettra jamais à exécution.
 
Edouard Manet (1832-1883). Madame Manet au piano, 1868. Huile sur toile, 38,5 cm x 46,5 cm. Paris, musée d’Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Manet représente ici son épouse, née Suzanne Leenhoff (1830-1906), talentueuse musicienne qu'il avait rencontrée alors qu'elle enseignait le piano à ses jeunes frères. Parmi les nombreux portraits de Suzanne réalisés par Manet, celui-ci semble avoir été exécuté en réaction au tableau de Degas qui lui déplaisait. Les deux œuvres sont situées dans le même lieu: le petit salon de l'appartement de la rue de Saint-Pétersbourg où les Manet recevaient leurs amis, dont Degas, chaque jeudi.
 
Édouard Manet (1832-1883). Tête de femme (Suzanne Leenhoff) de profil à droite, vers 1859-1861. Sanguine, traces de craie noire sur papier. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.
 
Edouard Manet (1832-1883). Noix dans un saladier, vers 1866. Huile sur toile. Collection particulière.

Manet aurait offert à Degas cette nature morte à la suite d’un dîner au cours duquel Degas avait cassé un saladier. Racontant à Vollard la brouille intervenue à propos du portrait de Suzanne découpé par Manet, Degas se souvient: «Je suis parti sans lui dire au revoir, en emportant mon tableau. Rentré chez moi, je décrochai une petite nature morte qu'il m'avait donnée. Monsieur, lui écrivis-je, je vous renvoie vos Prunes.» Il se réconciliera avec Manet, «[s]eulement il avait déjà vendu les Prunes ». Bien qu'il représente des noix, il s'agirait de ce tableau.


II - DEUX FILS DE FAMILLE

Scénographie

Nés à Paris au début de la monarchie de Juillet (1830-1848), Manet et Degas sont les fils aînés de familles bourgeoises aisées. Le père de Manet est un haut fonctionnaire au ministère de la Justice, sa mère une fille de diplomate, filleule du roi de Suède. La famille de Degas appartient au milieu des affaires et de la finance. Après avoir effectué leur scolarité dans des établissements à la réputation solide, Manet et Degas abandonnent leurs études de droit auxquelles leur milieu les prédestinait pour suivre leur vocation artistique. Si ce choix ne s’est pas fait sans heurts dans le cas de Manet, contraint de passer auparavant le concours de l’École navale, auquel il échoue par deux fois, le père de Degas ne semble s’être que faiblement opposé à la décision de son fils. Manet et Degas étudient ensuite chacun auprès de peintres reconnus mais en dehors de l’École des beaux-arts, signe possible d’un précoce désir d’indépendance.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Lorenzo Pagans et Auguste De Gas, 1871-1872. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay. Don de la Société des amis du Louvre avec la participation de M. David-Weill en 1933.

Degas a réalisé le portrait de nombreux membres de sa famille, mais il n'a jamais fait poser son père, Auguste Degas (1807-1874) qui avait choisi de modifier son patronyme en «De Gas» en quittant Naples pour s'établir à Paris comme banquier. Il est présent à l'arrière-plan de cette œuvre qui fixe le souvenir d'une soirée musicale chez lui en compagnie du guitariste et chanteur Lorenzo Pagans. Mélomane et fin connaisseur en art, Auguste De Gas prodigue de nombreux conseils à son fils qui conservera toute sa vie ce tableau dans sa chambre à coucher.
Edouard Manet (1832–1883). La Lecture, vers 1866 (sans doute repris vers 1873). Huile sur toile, 61 x 73,2 cm.
Paris, musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
 
Edouard Manet (1832–1883). Madame Auguste Manet, 1863. Huile sur toile, 98 x 80 cm. The Isabella Stewart Gardner Museum, Boston, États-Unis.
 
Edouard Manet (1832-1883). Portrait de M. et Mme M[anet], 1860. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

La mère de l'artiste, née Désirée Fournier (1811-1885), est fille de diplomate et filleule du roi de Suède. Son père, Auguste Manet (1797-1862), haut fonctionnaire au ministère de la Justice puis juge au tribunal de la Seine. Manet est admis pour la première fois au Salon, en 1861, avec ce portrait qui aurait rassuré ses parents sur ses capacités à embrasser une carrière artistique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Hilaire Degas, 1857. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Après avoir fui Paris à l'époque révolutionnaire, Hilaire Degas (1770-1858), grand-père de l'artiste, s'établit à Naples où il fonde une société bancaire. Son portrait fut réalisé par son petit-fils lors d'un séjour en Italie. L'homme de quatre-vingt-sept ans est représenté tel un patriarche autoritaire, dans l’intérieur du palais familial. La facture et la mise en scène rappellent Ingres, dont Degas était un fervent admirateur.
 
Exemple de cartel pour le jeune public.


III - COPIER, CRÉER, ÉTUDIER

Scénographie

Légende ou réalité, la rencontre de Manet et Degas aurait eu lieu au musée du Louvre au début des années 1860 devant une peinture de Velázquez dont Degas réalisait la copie gravée. Tous deux ont été habitués depuis leur plus jeune âge à fréquenter les salles du musée en famille. Durant leurs années de formation, leur apprentissage est en partie fondé sur la copie des maîtres anciens au Louvre ou au cabinet des Estampes de la Bibliothèque impériale.
Leur situation sociale et familiale leur permet en outre de voyager pour parfaire leur formation et leur culture artistiques. Ils séjournent ainsi plusieurs fois en Italie, au cours des années 1850, où ils découvrent les œuvres des musées et les fresques ornant les monuments.
Du côté des maîtres contemporains, c’est vers Ingres et Delacroix que se porte leur admiration. Au-delà de la pratique de la copie, les références à l’art du passé se déclinent de la citation à l’hommage, voire au pastiche.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Vieille Italienne, 1857. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of Charles Goldman, 1966.
 
Edgar Degas (1834-1917). Le Calvaire (d'après Mantegna), vers 1861. Huile sur toile. Tours, musée des Beaux-Arts.
 
Edgar Degas (1834-1917). L'Entrée des croisés à Constantinople (d'après Delacroix), vers 1860. Huile sur carton. Kunsthaus Zürich, don de René Wehrli, 2005.
 
Edouard Manet (1832-1883). L'Enfant à l'épée, 1861. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, gift of Erwin Davis, 1889.
 
Edouard Manet (1832-1883). Tête de jeune homme (d'après l'autoportrait de Filippino Lippi), vers 1853-1858. Huile sur panneau parqueté. Paris, musée d'Orsay.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). Jupiter et Antiope [dit aussi La Vénus du Pardo] (d'après Titien), 1856. Huile sur toile. Paris, musée Marmottan Monet, legs Annie Rouart, 1993.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Pêche, vers 1862-1863. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, purchase, Mr. and Mrs. Richard J. Bernhard Gift, 1957.

Cette œuvre énigmatique est un hommage de Manet aux maîtres anciens dont il admirait les paysages, Rubens et Annibal Carrache, et une mise en scène de ses propres rapports amoureux. Il se représente en effet en costume du XVII siècle au premier plan aux côtés de Suzanne qu'il épousera en 1863. Le tableau a peut-être été réalisé à cette occasion. Sur la rive opposée se tient un jeune pêcheur pour lequel a posé Léon, le fils de Suzanne.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Barque de Dante (d'après Delacroix), vers 1855-1858. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-Arts.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Vierge à l'Enfant avec sainte Catherine et un berger, [dit aussi La Vierge au lapin] (d'après Titien), 1850-1860. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des peintures, legs Bernardo Caprotti, 2017.


IV - SALON ET DÉFI DES GENRES

Scénographie

Pas plus Manet que Degas, aucun débutant ne saurait se soustraire au Salon au cours des années 1860. Abrité par l’ancien palais de l’Industrie, imposant vestige de l’Exposition universelle de 1855, le Salon est annuel depuis 1863 et son jury de plus en plus libéral. Cette manifestation héritée de l’Ancien régime réunit des milliers de peintures, sculptures, œuvres sur papier. Elle attire près de 500 000 visiteurs et mobilise l’attention des grands journaux et des collectionneurs. Jusqu’au plein essor des galeries d’art, le Salon constitue en France le principal lieu d’exposition des artistes vivants. C’est au Salon que le mécénat d’État manifeste son action au moyen d’achats, de récompenses et d’encouragements. Manet y expose dès 1861, Degas en 1865, avec des chances inégales, car le premier intègre mieux que le second les attentes de l’époque.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). Olympia, 1863-1865. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Olympia peut se lire comme l'apothéose insolente d'une prostituée, qui prend la pose des nudités de la Renaissance. Lors du Salon de 1865, à peu d'exceptions, un cri d'horreur accueille le tableau et son double crime: il aborde le monde du sexe tarifé; aucun artifice de représentation, aucune fable ne vient masquer la crudité érotique. Aux innombrables Vénus du Salon, protégées par leurs corps asexués, Manet substitue l'apparition d'une «invisible» au corps sacrilège et au regard souverain. Le chat y ajoute le soupçon d'intentions lubriques.
 
Edouard Manet (1832-1883). Le Christ aux anges, 1864. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, H.O. Havemeyer Collection, bequest of Mrs. H.0. Havemeyer, 1929.

La volonté ferme qu'a Manet de revivifier la peinture religieuse est essentielle au milieu des années 1860, et elle ne se réduit pas à son hispanisme militant. La force visuelle et le mysticisme des œuvres de Zurbaran, Velázquez et Goya lui servent d’antidote aux fades imageries du Second Empire. Catholique de culture, Manet vibre à la Passion du Christ. Son tableau réaliste et rauque lui valut au Salon de 1864 une bordée de critiques qui laisseront des traces.
 
Edouard Manet (1832–1883). Le chanteur espagnol, 1860. Huile sur toile, 147.3 x 114.3 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.

L'œuvre crée une «vive sensation» au Salon de 1861: ce sont les vrais débuts publics de l'artiste. Avec Velázquez et Goya en tête, Manet représente un Espagnol moderne, comme le signalent pantalon et espadrilles, sans pittoresque ni sentimentalité. «Caramba ! Voilà un Guitarero qui ne vient pas de l'Opéra-Comique», s'exclame Théophile Gautier. Son cri d'admiration a évidemment pesé sur la décision du jury, qui accordera à Manet une mention honorable.
 
Edgar Degas (1834-1917). Scène de guerre au Moyen Âge [dit à tort Les Malheurs de la ville d'Orléans],  vers 1865. Peinture à l'huile et à l'essence sur papier marouflé sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Lié ou non aux horreurs de la guerre de Sécession qui déchire les États-Unis où il a de la famille, Scène de guerre au Moyen Âge marque, en 1865, les débuts de Degas au Salon. Peu conforme aux attentes de l'exposition officielle, la toile passe inaperçue. Aux peu convenables nus féminins, témoins muets d’une violence sans limite, le peintre combine une frise de cavaliers et de chevaux héritée des bas-reliefs antiques et des peintres de la Renaissance.
 
Edgar Degas (1834-1917). Sémiramis construisant Babylone, 1861. Huile sur toile. Paris, musée d’Orsay.


V - AU-DELÀ DU PORTRAIT

Scénographie

Très en vogue sous le Second Empire (1852-1870), le portrait occupe une place importante dans la production des débuts de Manet et de Degas. Peu soucieux d’obtenir des commandes lucratives, ils prennent leurs modèles d’abord dans leur cercle familial et amical, mais ils destinent également au Salon des portraits de personnalités publiques, soulignant ainsi leurs liens avec certains milieux sociaux ou artistiques. Manet aime à traiter ses modèles avec une certaine majesté : ils occupent le cœur de la composition, souvent dans des poses héritées des maîtres anciens, et leur présence est magnifiée par les couleurs vives de leurs habits ou des accessoires qui les entourent. La palette de Degas est plus sourde. Il cherche avant tout à saisir les « gens dans des attitudes familières et typiques », et s’intéresse autant au pouvoir expressif des corps qu’à celui des visages.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834–1917). Femme sur une terrasse [dit aussi Jeune femme et ibis], 1857–1858 (retravaillé vers 1866-1868 ?) 1866-1868 ? Huile sur toile, 100 x 74,9 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.
 
Edouard Manet (1832–1883). Emile Zola, 1868. Huile sur toile, 146 x 114 cm. Paris, musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Patrice Schmidt.

En reconnaissance pour son soutien dans la presse, Manet peint ce portrait de Zola et le lui offre après l'avoir exposé au Salon de 1868. Cet hommage permet à Manet de légitimer sa propre peinture, comme en témoigne, au mur, une gravure d'Olympia, «chef-d'œuvre» digne du Louvre selon Zola.
 
Edgar Degas (1834–1917). L’amateur, 1866. Huile sur toile, 53 x 40 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832–1883). Lola de Valence, 1862. Huile sur toile, 123 x 92 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Très tôt, l’Espagne inspire Manet qui ne découvrira la péninsule ibérique qu’en 1865, après avoir peint plusieurs «sujets espagnols» dont Lola de Valence exposé à la Galerie Martin et en 1863. Ce portrait, réalisé en atelier, représente l’étoile d’un ballet espagnol qui connaît un grand succès à Paris. Manet a tout d’abord placé son modèle sur un fond neutre, puis, quelques années plus tard modifié l’arrière-plan en y ajoutant un décor vu depuis les coulisses, la scène, et le public sur des gradins. Les pieds en position dite de «quatrième», la danseuse semble sur le point d’entrer en scène.
 
Edgar Degas (1834–1917). Edmond et Thérèse Morbilli, vers 1865. Huile sur toile, 116.5 x 88.3 cm. Gift of Robert Treat Paine, 2nd.  Museum of fine Arts Boston, Boston, États-Unis.
 
Edouard Manet (1832-1883). Portrait de Zacharie Astruc, 1866. Huile sur toile. Brême, Kunsthalle Bremen - Der Kunstverein in Bremen.

Sculpteur et critique d'art, Zacharie Astruc est un ami intime de Manet et un soutien important de ses débuts. Il est l'auteur des vers qui accompagnent Olympia, présentée au Salon de 1865, dont le contenu contribue au scandale provoqué par le tableau.
 
Edgar Degas (1834-1917). Portrait of Mlle Fiocre in the Ballet "La Source", vers 1867-1868. Huile sur toile, 130.8 x 145.1 cm. Gift of James H. Post, A. Augustus Healy, and John T. Underwood. Brooklyn Museum, Brooklyn, États-Unis.

Degas expose ce tableau au Salon de 1868 sous le titre de Portrait de Mlle E. F. à propos du ballet «La Source». Les initiales désignent Eugénie Fiocre, célèbre danseuse de l'Opéra de Paris. L'artiste opte pour une mise en scène inhabituelle pour le portrait d'une danseuse: plutôt que le spectacle lui-même, il montre la jeune femme s'abandonnant à un moment de rêverie au cours d'une répétition. Les solides rochers et les reflets de l’eau dans laquelle s’abreuve un cheval évoquent un cadre naturel plutôt qu’un décor de scène.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832–1883). Le Balcon, entre 1868 et 1869. Huile sur toile, 170 x 125 cm. Paris, musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Le Balcon fait entrer Berthe Morisot dans l'univers singulier de Manet. Accoudée à la rambarde d'un vert grinçant, Berthe laisse promener son regard oblique et noir. Une vraie «femme fatale», selon l'intéressée, qui s'en étonne à peine en découvrant le tableau au Salon de 1869: «Je suis plus étrange que laide». Berthe Morisot est entourée du paysagiste Antoine Guillemet et de la violoniste Fanny Claus. Le silence règne: Manet liquide les joliesses de la conversation galante et du jeu social.
 
Edouard Manet (1832–1883). Jeune dame, 1866. Huile sur toile, 185,1 x 128,6 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.

Peut-être en réponse à Gustave Courbet qui présente au Salon de 1866 une Femme au perroquet, Manet peint Une jeune femme. Debout, vêtue d’un long et ample peignoir d’un rose chatoyant, le modèle (Victorine Meurent) hume le parfum d’un bouquet de violettes et semble jouer de la main gauche avec le cordon d’un monocle d’homme. Au Salon de 1868, le tableau inspire un croquis à Degas où le perroquet est perché sur la main du modèle. Ce pourrait être la source d’inspiration de Femme aux ibis de Degas dont les oiseaux ont été ajoutés ultérieurement à une figure de jeune fille drapée d’un voile bleu.
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme accoudée près d'un vase de fleurs (Madame Paul Valpinçon ?), 1865. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, H.0. Havemeyer Collection, bequest of Mrs. H.0. Havemeyer, 1929.
 
Edouard Manet (1832-1883). Jeanne Duval [dit aussi La Maîtresse de Baudelaire], 1862. Huile sur toile. Budapest, Museum of Fine Arts.
Scénographie
 
Edgar Degas (1834–1917). Portrait de famille [dit aussi La Famille Bellelli], entre 1858 et 1869. Huile sur toile, 201 x 249,5 cm. Paris, musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Adrien Didierjean.

Ce portrait de la famille Bellelli, ébauché à la fin des années 1850, et fruit de maints dessins préparatoires [voir ci-dessous], est exposé dix ans plus tard, au Salon de 1867. Il n'y produit pas l'effet escompté. Cet échec signe l'audace d'un portrait de société qui déroge aux codes habituels: entourée de ses deux filles au charme direct, la tante du peintre, figure austère, se tient à distance du mari, qui nous tourne le dos: le baron Gennaro, exilé de Naples, avait participé aux soulèvements révolutionnaires de 1848.
 
Chronologie 2 (1863 à 1868).
De haut en bas et de gauche à droite :

1- Edgar Degas (1834-1917). Portrait de Giovanna Bellelli, vers 1858-1860. Mine graphite et crayon noir, rehauts de gouache blanche sur papier.
Paris, collection Véronique et Louis-Antoine Prat.
2- Edgar Degas (1834-1917). Portrait de la baronne Laura Bellelli, vers 1858-1860. Mine graphite et rehauts de pastel vert, traces de mise au carreau sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
3- Edgar Degas (1834-1917). Portrait de Giovanna Bellelli, vers 1858-1860. Fusain fixé et estompe sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
4- Edgar Degas (1834-1917). Giovanna et Giulia Bellelli, vers 1858-1860. Crayon sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
5- Edgar Degas (1834-1917). La Baronne Laura Bellelli et ses deux filles, vers 1858-1860. Crayon noir, fusain et traces de rehauts de blanc sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
6- Edgar Degas (1834-1917). Portrait de Giulia Bellelli, vers 1858-1860. Crayon noir, lavis gris, essence et rehauts de blanc sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
7- Edgar Degas (1834-1917). Portrait de Giulia Bellelli, assise sur une chaise, vers 1858-1860. Mine graphite, fusain, estompe, rehauts de blanc sur papier.
Paris, musée d'Orsay.
8- Edgar Degas (1834-1917). Le Baron Gennaro Bellelli dans son fauteuil, de dos, vers 1860. Crayon noir et rehauts de blanc sur papier.
Paris, musée d'Orsay.


VI - LE CERCLE MORISOT

Scénographie

Le salon que les parents de Berthe Morisot ouvrent aux artistes, musiciens et écrivains, sous le Second Empire, est un foyer de modernité. Femmes et hommes y parlent d’art ou de politique sur un pied d’égalité. Les divergences esthétiques s’effacent devant le plaisir d’en discuter.
Berthe et sa sœur Edma, formées à la peinture et dotées d’un atelier familial, débutent au Salon en 1864. Mais c’est la fréquentation de Fantin-Latour, puis de Manet et Degas, qui pousse la première à sauter le pas et à entamer une véritable carrière, fût-elle contrainte par les règles sociales du temps.
Manet prend une place grandissante dans ce cercle à partir de 1868-1869 et multiplie les portraits de Berthe Morisot. Ils sont autant d’incarnations de la Parisienne élégante et singulière, complice et actrice de la Nouvelle Peinture. Du reste, à rebours de Manet, dont elle épouse l’un des frères en 1874, Berthe s’associe durablement, cette année-là, à l’aventure impressionniste.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). Le repos, vers 1871. Huile sur toile, 150.2 x 114 cm. Bequest of Mrs. Edith Stuyvesant Vanderbilt Gerry. Rhode Island School of Design Museum, Providence, États-Unis.

Manet allonge à plaisir les séances de pose avec Berthe Morisot jusqu'au moment où elle devient sa belle-sœur. En écho direct au Balcon, Le Repos rayonne d’une mélancolie commune à Manet et Morisot. Sa libre posture, peu conforme au maintien exigé alors des femmes, déplaît et inspire les caricaturistes. Pourtant, le poète Théodore de Banville, au Salon de 1872, prise «son caractère intense de modernité [...] Baudelaire avait bien raison d'aimer la peinture de M. Manet».
 
Edgar Degas (1834-1917). Eugène Manet, 1874. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Edgar Degas (1834-1917). Mme Lisle et Mme Loubens, 1866-1870. Huile sur toile. The Art Institute of Chicago, gift of Annie Laurie Ryerson in memory of Joseph Turner Ryerson.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). Berthe Morisot à l'éventail, 1872. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). Berthe Morisot au bouquet de violettes, 1872.  Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Aux lendemains de la guerre et de la Commune, les images de Berthe Morisot expriment un élan particulier et la volonté de reconstruire le présent. Dans le portrait au bouquet de violettes, le noir perd sa résonnance endeuillée, il devient le signe même de l'élégance parisienne, l'atout discret de ce visage au sourire enjôleur.
 
Edgar Degas (1834–1917). Madame Théodore Gobillard (Yves Morisot, 1883-1893), 1869. Huile sur toile, 55.2 x 65.1 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.

Très lié au milieu des sœurs Morisot, Degas a une tendresse particulière pour l’aînée, prénommée Yves, mariée tôt à un percepteur, Théodore Gobillard. Des dessins préparatoires à la toile finale, toute sensualité s'évanouit, en faveur d'une austérité impressionnante. Cette toile aurait pu dialoguer avec les portraits d'Ingres qui démultiplie savamment les points de vue par le biais d’un miroir, mais son aspect était trop inachevé pour être exposé en l'état au Salon. Degas attendra l'exposition impressionniste de 1876 pour ce faire.
 
Édouard Manet (1832-1883). Portrait de Berthe Morisot étendue, 1873. Huile sur toile, 26 × 34 cm. Legs Annie Rouart, 1993. Inv. 6086. Paris, musée Marmottan Monet. © Musée Marmottan Monet, Paris.


VII - AUX COURSES

Scénographie

L’essor des courses hippiques, venues d’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, rencontre pleinement les aspirations de la modernité parisienne des années 1860. Éclat social, intérêt d’argent, compétition sportive, expérience de la vitesse, les avantages du sujet sont certains.
Degas se distingue de l’imagerie de presse, friande de spectaculaire, par la saisie d’une autre temporalité. Plus que la cavalcade, il privilégie le moment qui précède le départ, le défi psychologique des jockeys, la fine chorégraphie des montures qui piaffent. Manet lui n’est que galop, explosion visuelle, temps accéléré.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). Les Courses au bois de Boulogne, 1872. Huile sur toile. Collection particulière.
Edouard Manet (1832–1883). Les courses à Longchamp, 1866. Huile sur toile, 44 x 84,2 cm.
Potter Palmer Collection. Art Institute of Chicago, Chicago, États-Unis.
 
Edgar Degas (1834-1917). Le Faux Départ, 1869-1872. Huile sur bois.  New Haven, Yale University Art Gallery, John Hay Whitney, B.A. 1926, Hon. 1956, Collection.

Le public a pris place à l'ombre des tribunes d'un modeste hippodrome. Le jockey du premier plan, emporté par la fougue de son cheval, bride difficilement les ardeurs du coursier qu'il faut ramener sur la ligne de départ. Avant que la chronophotographie ne traduise en images la réalité du galop et ne démontre que le cheval regroupe ses membres lorsqu'il décolle du sol, les peintres restent fidèles à la solution illustrée par Géricault: une manière de vol, pattes écartées et tendues.
 
Edgar Degas (1834-1917). Aux courses (Jockeys amateurs près d'une voiture), 1876-1887. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.
Scénographie
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme regardant avec des jumelles, vers 1877. Huile sur papier. Dresde, Albertinum, Galerie Neue Meister, Staatliche Kunstsammlungen.
 
Edgar Degas (1834-1917). Scène de Steeple chase, 1866 (retravaillé en 1880-1881 et 1897). Huile sur toile, 180 × 152 cm. National Gallery of Art, Washington, États-Unis. Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon. Courtesy National Gallery of Art, Washington.

Exposé au Salon de 1866 puis remanié après 1880, ce tableau a gagné en fantastique ce qu'il a perdu en réalisme. La composition, inspirée de L'Épisode d'un combat de taureau de Manet, ne comportait initialement que trois protagonistes, le cavalier désarçonné, son cheval saisi en vol et l’autre jockey poursuivant sa route dans l'indifférence. Aucune moralité ne gouverne le spectacle moderne, que dominent le sensationnel et le cynisme. Quant au cavalier à terre, est-il mort ? N'attendons pas de Degas, comme de Manet, qu'il tranche.
Edouard Manet (1832–1883). L'homme mort, 1864. Huile sur toile, 75.9 × 153.3 cm.
National Gallery of Art, Washington, États-Unis. Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon. Courtesy National Gallery of Art, Washington.  


Ce tableau formait la partie inférieure de L'Épisode d'un combat de taureau, une scène de corrida où se voyait l'animal qui a renversé l'homme étendu sur le dos. La presse, au Salon de 1864, étrille l'œuvre. Mais d'autres avis s'expriment, sensibles à la puissance de cette figure flottante entre vie et mort, d'une émotion renversante, voire digne d'être isolée. En somme, Manet suit ce conseil, découpe son tableau et le renomme pour l'exposer en 1867 sous un titre qui lui confère une portée plus universelle.


VIII - D'UNE GUERRE L'AUTRE

Scénographie

En républicain convaincu, Manet expose régulièrement des œuvres en lien avec des événements qui le touchent ou le révoltent en tant que citoyen. Il vise à frapper l’opinion, tandis que Degas laisse toujours l’actualité hors de son œuvre publique.
Leur relation débute alors que le continent américain est marqué par la guerre de Sécession (1861-1865) puis l’exécution de l’empereur Maximilien au Mexique (1867), autant de sujets dont se saisit Manet. Ces événements touchent directement la famille maternelle de Degas qui vit du commerce du coton à La Nouvelle Orléans.
En juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Les deux peintres sont réquisitionnés au sein de la Garde nationale et demeurent à Paris pour défendre la ville durant le siège. Ils partagent les longues semaines marquées par l’attente, le froid et les privations et se distinguent des nombreux artistes ayant fui le pays.
En 1872, Degas visite pour la première fois sa famille à La Nouvelle Orléans. Durant son séjour, il évoque plusieurs fois Manet qui «verrait ici de belles choses». Il découvre une société encore marquée par le système esclavagiste.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). Vive l'amnistie. Lettre aquarellée adressée à Isabelle Lemonnier le 14 juillet 1880. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). La bataille de l’USS « Kearsarge » et du CSS « Alabama », 1864. Huile sur toile, 137.8 × 128.9 cm. John G. Johnson Collection, 1917. Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, États-Unis.

Manet met en scène un épisode de la guerre de Sécession survenu en 1864 au large de Cherbourg: la victoire du navire de l’Union, le Kearsarge, sur la corvette confédérée l'Alabama qui sombre dans un nuage de fumée. Un voilier français (premier plan à gauche) et un steamer anglais (arrière-plan à droite) viennent au secours des naufragés. Manet célèbre ainsi publiquement, un mois après les événements, la victoire des nordistes, dont il partage les positions anti-esclavagistes.
 
Edouard Manet (1832-1883). L'Évasion de Rochefort, vers 1881. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Manet est absent de Paris durant la Commune. Il réalise cependant plusieurs œuvres graphiques dénonçant la violence des répressions envers les Communards. Sa joie est manifeste lorsque l'Assemblée vote leur amnistie le 14 juillet 1880. Pour le Salon de 1881, il travaille à un tableau «à sensation» inspiré d’un récit du journaliste Henri Rochefort, opposant au régime de Napoléon III, évadé du bagne en Nouvelle-Calédonie où il avait été déporté après la Commune.
 
Edouard Manet (1832-1883). Le «Kearsarge» à Boulogne, 1864. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, gift of Peter H.B. Frelinghuysen, and purchase, Mr. and Mrs. Richard J. Bernhard Gift, by exchange, Gifts of Mr. and Mrs. Richard Rodgers and Joanne Toor Cummings, by exchange, and Drue Heinz Trust, The Dillon Fund, The Vincent Astor Foundation, Mr. and Mrs. Henry R. Kravis, The Charles Engelhard Foundation, and Florence and Herbert Irving Gifts, 1999.
 
Edgar Degas (1834-1917). Cour d’une maison (Nouvelle-Orléans, esquisse), 1873. Huile sur toile. Copenhague, Ordrupgaard.

La découverte de la Nouvelle-Orléans semble interroger Degas sur ses origines créoles et générer chez lui une forme d’anxiété accrue par le contexte de l'après-guerre de Sécession. Ce malaise perceptible dans ses lettres explique peut-être l'absence du «monde noir» dans ses tableaux d'alors, à l'exception de la nounou aux traits à peine esquissés sur le seuil extérieur d'une maison. Elle fait écho à une nourrice noire peinte par Manet une dizaine d'années plus tôt dans Enfants au jardin des Tuileries [ci-dessous].
 
Edgar Degas (1834–1917). Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans, 1873. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Pau, musée des beaux-arts.

En octobre 1872, Degas part pour six mois à La Nouvelle Orléans où réside une partie de sa famille maternelle. Il découvre un pays qui est «un peu le sien» où l’on «vit pour le coton et par le coton». Le plus ambitieux tableau qu’il y réalise est celui-ci, qu’il espère vendre à «un riche filateur» de Manchester. On y voit Michel Musson, son oncle, dont c’est le bureau, contrôlant d’un geste expert la qualité du coton, tandis que les deux frères de l’artiste ont un rapport distant à la «précieuse matière» : René lit un journal et Achille est négligemment adossé à un guichet. Ce tableau est le premier Degas acheté par un musée français, à Pau en 1878.
 
Edouard Manet (1832-1883). Enfants au jardin des Tuileries, vers 1861-1862. Huile sur toile. Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design. Museum appropriation Fund.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). La Barricade, 1871. Lithographie sur chine collé, tirage de 1884. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Barricade, 1871. Pointe d'argent, encre noire, aquarelle, gouache sur papier. Budapest, Museum of Fine Arts.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Queue devant la boucherie, vers 1870-1871. Eau-forte, 1er état. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.

Dans ses lettres du Siège, Manet décrit à plusieurs reprises la pénurie de viande dans un Paris où l'on fait alors «ses délices du cheval», où l'âne est «hors de prix», tandis que s'établissent des «boucheries de chiens, de chats, de rats». Il exécute a posteriori quelques œuvres graphiques évoquant directement cette période qui l’a douloureusement marqué.
 
Lettre d’Édouard Manet à sa femme [Paris], 17 septembre [1870]. Paris, musée d'Orsay.

Durant le siège de Paris, Manet adresse régulièrement des lettres à son épouse Suzanne qui se trouve en sûreté avec Madame Manet mère et Léon à Oloron-Sainte Marie (Pyrénées-Atlantiques). Il lui décrit son quotidien en donnant de nombreux détails. Il évoque ici le «génie de la guerre» des «sacrés Prussiens» ayant isolé Paris de toute communication et confie: «il faut absolument que nous sacrifions chacun cent francs pour avoir un bon revolver il y va de la sûreté personnelle».
 
Edouard Manet (1832-1883). Guerre civile, 1871-1873. Lithographie sur chine collé. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.
 
Edouard Manet (1832-1883). L'Exécution de Maximilien, 1868. Lithographie. New York, The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1921.

Ambitionnant d'établir un Empire latin catholique sur le continent américain, Napoléon III favorise l'installation sur le trône mexicain en 1864 du frère de l'empereur d'Autriche, l’archiduc Maximilien. Face à la rébellion des forces républicaines mexicaines de Benito Juárez, Napoléon III rappelle son armée de soutien, laissant Maximilien et deux de ses généraux être exécutés le 19 juin 1867. La nouvelle suscite une vive indignation envers Napoléon III. Manet s'empare immédiatement du sujet, et réalise quatre peintures qu'il ne pourra jamais exposer en France. L'une d’entre elles est acquise après sa mort par Degas [voir section XIV]. La lithographie sera interdite par la censure.


IX - IMPRESSIONNISMES

Scénographie

L’histoire de l’impressionnisme s’est bâtie sur un amusant chassé-croisé : après la guerre de 1870-1871, Manet se serait tenu à distance du mouvement dissident, alors même que sa peinture y aurait fait allégeance ; inversement, Degas n’aurait jamais tant affiché son mépris d’une approche trop sensible du réel qu’au cours de ces mêmes années, qui le voient prendre la tête du groupe.
En réalité Degas et Manet n’ignorent pas la poussée d’un certain « paysagisme de plein air » qui repose sur l’unité du motif et la mobilité de la perception. Ils s’en emparent assez vite, avec audace, et en usent selon les besoins de leurs carrières, car les débouchés commerciaux à Londres et Paris des marines et des scènes de bain ne sont pas à bouder. « Rendre son impression », pour citer Manet lui-même, apparaît comme une nécessité. Toutefois, comme Degas, il forge un impressionnisme à part.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832-1883). En bateau, 1874. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, H.0. Havemeyer Collection, bequest of Mrs H.O. Havemeyer, 1929.
 
Edgar Degas (1834-1917). Au bord de la mer, 1869. Pastel sur papier. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Famille Monet au jardin, 1874. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of Joan Whitney Payson, 1975.

Ce que nous nommons «expositions impressionnistes», quand Degas parle lui de «salon réaliste», semble l'éloigner un peu plus de Manet. Ce dernier est en effet trop attaché au Salon pour rejoindre la sécession, mais aussi trop sensible à la nouvelle esthétique pour ne pas mettre en évidence ce qu'elle lui doit. Se transportant en 1874 à Argenteuil, Manet défie Monet sur ses terres, le représentant de façon désinvolte et déclinant son propre impressionniste, mobile et solide à la fois.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832–1883). La plage à Boulogne, 1868. Huile sur toile, 32.39 × 66.04 cm. Virginia Museum of Fine Arts, Richmond, États-Unis, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon, 85.498. Photo: Katherine Wetzel. © Virginia Museum of Fine Arts.

Un double spectacle s'offre à nouveau ici, l'un s'emboîtant dans l’autre. D'un côté, la mer et un ensemble varié d'embarcations; de l'autre, la plage où des oisifs typés ne forment pas groupe. Ni liens interpersonnels, ni espace unifié: la scène se présente comme une série d'aperçus disjoints sur un nouveau loisir, le tourisme balnéaire.
 
Edgar Degas (1834-1917). Bains de mer, petite fille peignée par sa bonne, 1869-1870. Huile sur toile, 47,5 × 82,9 cm. The National Gallery (Royaume-Uni, Londres). © The National Gallery, London.

La production normande de Degas est plus que tributaire de Manet, et ce tableau n'est pas loin de rappeler Sur la plage de Boulogne de son aîné. Composition tabulaire, creusement perspectif presque insensible, fragmentation des groupes, thème de l'enfant au chaperon, les analogies abondent. Degas a aussi en tête la fluidité des marines de Whistler.
 
Cartel pour le jeune public à propos des deux tableaux ci-dessus.
 
Gustave Caillebotte. Lettre à Camille Pissarro, 24 janvier 1881. Paris, fondation Custodia, collection Frits Lugt.

«Il [Degas] a presque la manie de la persécution. Ne veut-il pas faire croire que Renoir a des idées machiavéliques. Vraiment non seulement il n'est pas juste mais encore il n'est pas généreux. Quant à moi je n'ai le droit de condamner personne pour ces motifs. Le seul, je le répète auquel je reconnais ce droit, c'est vous. Je dis le seul, je ne reconnais pas ce droit à Degas qui a [crié] contre tous ceux auxquels il reconnaissait du talent à toutes les époques de sa vie. // On ferait un volume de tout ce qu'il a dit contre Manet, Monet, vous...»


X - RÉSEAUX CROISÉS

Scénographie

Peintre savant et lettré, Manet a connu, parfois étroitement, les plus grands écrivains de son époque, et les a associés à son oeuvre par le portrait et la communauté d’inspiration. Sa dette envers Baudelaire, Zola, Astruc et Mallarmé, parmi d’autres, a laissé de nombreuses traces dans sa peinture et sa vie.
Plus les artistes cherchent à s’émanciper des institutions, plus s’installe une connivence avec les intermédiaires du marché et la presse. La médiation publicitaire que requièrent les choix de Manet est vitale. N’entend-il pas exposer au Salon jusqu’à sa mort, sous tous les régimes et tous les jurys ?
Degas aura moins fait étalage de ses goûts et de ses relations littéraires avant les années 1870. C’est alors qu’il peint et expose, en manière de gratitude, ses portraits aigus et mordants d’Edmond Duranty ou de Diego Martelli, plumes acerbes de la critique d’art. La faune des cafés et l’autorité de quelques bohèmes, tels le peintre graveur Marcellin Desboutins ou l’écrivain irlandais George Moore, trouvent aussi des échos chez Manet.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Mary Cassatt au musée du Louvre, 1885. Pastel sur eau-forte, aquatinte, pointe sèche et crayon. The Art Institute of Chicago, bequest of Kate L. Brewster.
 
Edgar Degas (1834–1917). Marcellin Desboutin et Ludovic Lepic, entre 1876 et 1877. Huile sur toile, 71 x 81 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

L'aura de Desboutin, l’homme à la pipe, n'a pas échappé à Degas. On le reconnaît derrière le rapin interlope de Au café, aux côtés du comte Lepic, près duquel il le représente au travail, plaque de cuivre en main, et regard pointé vers un motif extérieur à la toile. On ne saurait mieux exprimer la part de subjectivité propre au réalisme. En 1876, année où Desboutin grave les portraits de Manet et Degas, il prend part à la deuxième exposition impressionniste.
 
Edgar Degas (1834-1917). Portrait de M. Diego Martelli, 1879. Huile sur toile. Édimbourg, National Galleries of Scotland.

Cet éminent critique italien (1839-1896), qui rend compte de la manifestation impressionniste de 1879, n'a pas eu le plaisir d'y découvrir son image: l'étonnant portrait restera non signé dans l'atelier de Degas. Il tourne le dos à son bureau, et vient de poser la plume. Une certaine forme de familiarité se dégage de cette vue plongeante conduisant jusqu'aux pantoufles du modèle.
Scénographie
 
Edgar Degas (1834-1917). Edmond Duranty, 1879. Crayon Conté rehaussé de craie blanche sur papier. New York, The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1918.
 
Edouard Manet (1832-1883). Portrait de Stéphane Mallarmé, 1876. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

Au lendemain de la Commune, Manet fréquente le salon très républicain de la poétesse Nina de Callias et y fait la connaissance du poète Stéphane Mallarmé, aussi libéral en politique qu'élitiste en art. Les deux hommes ne se quitteront plus. Deux livres illustrés et deux essais critiques devaient sceller leur amitié, que confirme ce portrait de 1876.


XI - PARISIENNES

Scénographie

Manet et Degas sont très attachés à leur ville natale. À travers des figures de Parisiennes dans leur environnement familier se noue un dialogue étroit entre les deux artistes, dont les sujets et l’approche font écho aux romans naturalistes des frères Goncourt ou d’Émile Zola.
Manet et Degas font émerger une « Nouvelle Peinture », appelée de ses vœux par le romancier et critique d’art Louis-Edmond Duranty, dans laquelle la représentation des femmes de différentes catégories sociales évoquant la vie moderne joue un rôle déterminant. S’intéressant à des sujets semblables, ils cherchent à insuffler à leurs œuvres, posées et exécutées en atelier, la spontanéité de scènes prises sur le vif.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Blanchisseuse (silhouette), 1873. Huile sur toile. New York, The Metropolitan Museum of Art, H.0. Havemeyer Collection, bequest of Mrs. H.O. Havemeyer, 1929.
 
Edgar Degas (1834-1917). Repasseuses, 1884-1886. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911.
 
Edgar Degas (1834-1917). Madame Jeantaud devant un miroir, vers 1875. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832–1883). La prune, vers 1877. Huile sur toile, 73.6 x 50.2 cm. National Gallery of Art, Washington, États-Unis. Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon. Courtesy National Gallery of Art, Washington.

Bien que reprenant le même modèle (l'actrice Ellen Andrée) et le même lieu (le café de la Nouvelle Athènes) que Dans un café de Degas, Manet propose une approche sensiblement différente. Il ne représente pas son modèle sous l'emprise dégradante de l'alcool mais comme une jeune femme séduisante, élégamment vêtue. Son attitude évoque certaines techniques de séduction des prostituées attendant dans un café la «rencontre à venir».
 
Edgar Degas (1834–1917). Dans un café, dit aussi L'absinthe, entre 1875 et 1876. Huile sur toile, 92 x 68,5 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

S’inspirant du décor du café de la Nouvelle-Athènes où se réunissent artistes et hommes de lettres, Degas fait poser deux de ses amis, l’actrice Ellen Andrée et le graveur Marcellin Desboutin. Assise sur une banquette, un verre d’absinthe devant elle, la jeune femme a les paupières lourdes et les épaules affaissées. Elle semble indifférente à ce qui l’entoure, gagnée par l’hébétude que procure l’alcool. Reléguée à l’arrière-plan de la composition, elle paraît observée avec la distance du regard oblique d’un client ayant abandonné son journal sur la table du premier plan.
 
Cartel pour le jeune public à propos des deux tableaux ci-dessus.
 
Edouard Manet (1832–1883). La Serveuse de bocks, entre 1878 et 1879. Huile sur toile, 77 x 64,5 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
 
Edgar Degas (1834–1917). Chez la modiste, 1879-1886. 100 x 110,7 cm. Mr. and Mrs. Lewis Larned Coburn Memorial Collection. The Art Institute of Chicago, Chicago, États-Unis.
 
Edgar Degas (1834–1917). Femmes à la terrasse d'un café le soir, 1877. Pastel sur monotype, 41 x 60 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Dans cette œuvre présentée à l'exposition impressionniste de 1877, Degas montre des prostituées bavardant à la terrasse d’un café de boulevard, un sujet à la fois moderne et trivial. Il s'intéresse à l’organisation complexe de l'espace, aux effets lumineux produits par l'éclairage artificiel et aux mimiques éloquentes des femmes conversant entre elles.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Belle Polonaise, vers 1878. Lavis d'encre de Chine et crayon. Collection particulière.

Après la mort de Manet, une version gravée de ce dessin est prise pour illustrer une livraison des Souvenirs de son ami d'enfance Antonin Proust, parus dans La Revue blanche en 1897. En découvrant l'œuvre dans le journal, Degas se serait exclamé: «Ce Manet ! Dès que j'ai fait des danseuses, il en a fait... il imitait toujours.». Les scènes de cafés-concerts sont abordées par Degas à partir de 1876-1877 et en 1878-1879 par Manet.
 
Edgar Degas (1834-1917). Chez la modiste, 1882. Pastel sur papier. Paris, musée d'Orsay.


XII - MASCULIN - FÉMININ

Scénographie

Parmi les traits de personnalité qui distinguent Manet et Degas figurent en bonne place leurs relations avec les femmes. Décrit comme un séducteur, Manet, n’est, de l’avis de ses contemporains, jamais aussi à son aise qu’entouré d’une société féminine. Tout aussi proverbiale est, à l’inverse, la réserve de Degas, dont la vie « fut toujours mystérieuse au point de vue sentimental ». Il n’aurait, de son propre aveu, « jamais fait beaucoup la noce ».
Ces différences de tempérament se retrouvent en partie dans leurs œuvres : tandis que Manet représente des femmes dont la pose et le regard traduisent une certaine assurance, les relations entre hommes et femmes apparaissent presque toujours troublées ou déséquilibrées dans les œuvres de Degas. Le traitement qu’il accorde au nu féminin lui vaut la réputation d’un artiste misogyne. La réalité est autrement plus complexe et l’on perçoit dans ses écrits la sensibilité d’un homme préoccupé par son cœur et rêvant de félicité conjugale.


 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Manet (1832–1883). La modiste, 1881. Huile sur toile, 85.1 x 73.7 cm. Museum purchase, Mildred Anna Williams Collection. Fine Arts Museums of San Francisco, San Francisco, États-Unis.
 
Edouard Manet (1832–1883). La leçon de musique, 1870. Huile sur toile, 141 x 173,1 cm. Anonymous Centennial gift in memory of Charles Deering. Museum of fine Arts Boston, Boston, États-Unis.
 
Edgar Degas (1834–1917). Intérieur [dit aussi Le Viol], 1868-1869. Huile sur toile, 81.3 × 114.3 cm. The Henry P. Mcllhenny Collection in memory of Frances P. Mcllhenny, 1986. Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, États-Unis.

Désignée par Degas comme «son tableau de genre», cette toile demeure en grande partie énigmatique. Dans l’espace clos d'une chambre, une jeune femme est assise sur une chaise dans une attitude prostrée. Elle tourne le dos à un homme qui s'appuie de toute sa stature sur la porte, son ombre se déployant tel un double menaçant. Les vêtements jetés sur le lit et le corset gisant au sol ajoutent une note inquiétante à cette scène. Un autre titre, Le Viol, a été donné au tableau du vivant de l'artiste.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832–1883). Nana, 1877. Huile sur toile, 154 x 115 cm. Hamburger Kunsthalle, Hambourg, Allemagne. Photo (C) BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Elke Walford.

Une courtisane à demi déshabillée, portant un corset, des bas brodés et des escarpins à hauts talons, se maquille en présence de son protecteur. La jeune femme au sourire mutin adresse une œillade au spectateur, tandis que l'homme, sur la banquette, est coupé en deux par le cadrage, sans plus d'importance que s'il s'agissait d'un meuble. Refusé au Salon de 1877, Nana est exposé dans la vitrine de Chez Giroux, un magasin de «bimbeloterie, tableaux, éventails» où elle obtient un vif succès de curiosité.
 
Edgar Degas (1834–1917). Portrait d’Henri Michel-Lévy, vers 1878. Huile sur toile, 55,5 x 42,5 cm. Calouste Gulbenkian Museum, Lisbonne, Portugal. © Catarina Goes Ferreira.
 
Edgar Degas (1834-1917). Violoniste et jeune femme (Raoul Madier de Montjau et sa femme, la cantatrice Émilie Fursch-Madier), vers 1871. Huile et crayon sur toile. Detroit Institute of Arts, bequest of Robert H. Tannahill.
 
Edgar Degas (1834–1917). Bouderie, vers 1870. Huile sur toile, 32,4 x 46,4 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis. © The Metropolitan Museum of Art.


XIII - DU NU

Scénographie

Depuis la Renaissance et la glorification de l’héritage gréco-romain, le nu jouissait d’un rôle central dans l’apprentissage des arts du dessin, voués à cerner ce que la nature offrait de plus harmonieux. La théorie, dite « classique » fait du corps humain l’image de la perfection. En le dissociant de la nudité et donc du corps sexué, en érigeant la statuaire en modèle de la peinture, un idéal esthétique s’était fixé et se perpétuait à travers la copie.
Contester cette discipline revenait à renverser tout un ordre de valeurs. Romantiques, comme Delacroix, et Réalistes, comme Courbet, s’y emploient au XIXe siècle, avant-même que la photographie et la Nouvelle peinture ne dissolvent les canons de beauté au profit de la réalité corporelle. D’Olympia de Manet aux « baigneuses en chambre » de Degas, la nudité féminine, loin de n’être qu’objet, affiche une vérité aussi engageante que dérangeante.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834–1917). Le tub, 1886. Pastel sur carton, 60 x 83,0 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski.

En 1886, à l'occasion de l'ultime exposition impressionniste, Degas regroupe une «Suite de dix nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s'essuyant, se peignant ou se faisant peigner». Faute de saisir le vrai sens de ces corps vus sous des angles que l’on jugea malséants ou inesthétiques, le reproche de misogynie, souvent avancé pour commenter les œuvres de Degas, surgit pour la première fois.
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme nue accroupie, de dos, vers 1876. Pastel sur monotype. Paris, musée d'Orsay, collection Gustave Caillebotte.
 
Edouard Manet (1832–1883). Le tub, 1878. Pastel sur toile, 54 x 45 cm. Paris, musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Au lendemain de l'exposition impressionniste de 1877, où le thème de la femme au bain est largement traité par Degas, Manet agit de même: il s'attaque au thème du tub (large cuvette destinée à la toilette) et demande à ses modèles de nous tenir, d’un regard, à bonne distance de tout voyeurisme. En avril 1880, dans les locaux de la Vie moderne, son accrochage remarqué de dix huiles et quinze pastels sera presque exclusivement féminin.
 
Edouard Manet (1832-1883). Étude de nu assis (La Toilette ou Après le bain), 1858-1860. Craie rouge sur papier. The Art Institute of Chicago, Restricted gift of the Joseph and Helen Regenstein Foundation.
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme nue debout, bras levé (étude pour « Scène de guerre au Moyen Âge»), 1864-1865. Crayon noir et estompe sur papier. Paris, musée d'Orsay.
 
Edgar Degas (1834-1917). Admiration, vers 1877-1880. Monotype rehaussé de pastel. Paris, bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, collections Jacques Doucet.
 
Edgar Degas (1834-1917). Le Client, 1879. Monotype à l'encre noire sur papier. Musée national Picasso-Paris, donation Picasso, 1978.
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). Femme en costume oriental étendue sur un lit, vers 1862-1868. Aquarelle et encre de Chine avec rehauts de gouache sur papier. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). Étude de femme nue étendue, tournée vers la droite, vers 1862-1863. Sanguine sur papier. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). Rendez-vous de chats, 1868. Lithographie, état unique. Stockholm, Nationalmuseum.
 
Edouard Manet (1832-1883). La Femme au chat, vers 1862-1863. Encre de Chine sur papier. Paris, musée d'Orsay.
 
Edouard Manet (1832-1883). Les Chats, 1867-1868. Eau-forte et aquatinte. Stockholm, Nationalmuseum.

Sa vie durant, Manet nourrit, comme son ami Baudelaire, une fascination pour les chats. Après le scandale d'Olympia au Salon de 1865, il demeure pour beaucoup «le peintre du chat noir», en référence au félin arqué aux pieds de la prostituée, interprété comme une allusion sexuelle. Pour un ouvrage de Champfleury, Manet représente des chats dans diverses attitudes, à la façon des planches des maîtres japonais. Sans intérêt équivalent pour l'animal, Degas se contente d'en griffonner quelques-uns dans ses carnets où il assimile de façon cocasse leurs formes à des phallus [voir ci-contre].
 
Edgar Degas (1834-1917). Carnet de dessins 7, p. 75-76. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.


XIV - APRÈS MANET

Scénographie

Frappé par la mort prématurée de Manet en 1883, Degas aurait déclaré au moment de ses obsèques : « il était plus grand que nous le croyions ». Degas participe ensuite à différentes initiatives réunissant le milieu artistique dont le banquet organisé en l’honneur de Manet en 1885, puis la souscription lancée par Monet en 1890 pour faire entrer Olympia au musée du Louvre.
L’admiration de Degas pour son aîné est surtout manifeste à travers sa collection d’œuvres d’art dont il pensait faire un musée. Manet y occupe une place éminente avec près de 80 œuvres acquises entre 1881 et 1897, dont huit tableaux et une soixantaine de gravures. Dans des feuillets manuscrits, Degas détaille la façon dont il est parvenu à les rassembler : dons, achats ou encore échanges avec ses propres œuvres. Sa persévérance lui permet de réunir plusieurs des fragments dispersés de l’un des tableaux les plus ambitieux de Manet : LExécution de Maximilien dont il existe plusieurs versions.

 
Texte du panneau didactique.
 
Paul Gauguin (1848-1903). Olympia (d'après Manet), 1891. Huile sur toile. Collection particulière.

Ce tableau est une copie d’Olympia de Manet réalisée par Paul Gauguin peu de temps après l'entrée au musée du Luxembourg de l'œuvre originale de Manet. Degas en fait l'acquisition lors d’une vente publique pour l'accrocher dans l'antichambre de son appartement.
 
Edouard Manet (1832-1883). Femme nue assise, vers 1861. Plume et encre brune, pinceau et lavis, sur craie rouge, avec correction à la craie noire, sur papier vélin. Collection particulière.

Un feuillet manuscrit de Degas à propos de sa collection (exposé en vitrine) indique en son verso: «[...] Femme nue (sans doute pour une Suzanne) au pinceau, encre de Chine, ach. à la Vente».
 
Edouard Manet (1832-1883). La Femme au chat (Madame Édouard Manet), vers 1880. Huile sur toile. Londres, Tate, achat 1918.

Un feuillet manuscrit de Degas à propos de sa collection (exposé en vitrine) indique: «Manet. Ébauche de sa femme, assise, en robe rose, un bras accoudé avec la main, doigts écartés, appuyés sur la figure - un chat noir sur les genoux. Par Vollard, par échange de pastel, 1895».
 
Edouard Manet (1832–1883). Portrait de Mme Manet sur un canapé bleu, 1874. Pastel sur papier brun marouflé sur toile, 49 x 60 cm. Paris, musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi.

Un feuillet manuscrit de Degas à propos de sa collection (exposé en vitrine) indique: «Manet, Portrait au pastel de sa femme, robe blanche, chapeau de campagne blanc, paille, nœud noir - sur un canapé bleu, fond marron. Intérieur et meuble du petit salon de la rue St. Pétersbourg. Acheté de Mme Manet, par intermédiaire de Portier. Payé 2000F à celui-ci, donné en échange quelque chose de moi».
 
Edouard Manet (1832-1883). Le jambon, vers 1875-1880. Huile sur toile, 54.9 x 63 x 9 cm. Glasgow City Council, Lent by Glasgow Life (Glasgow Museums) on behalf of Glasgow City Council: from the Burrell Collection with the approval of the Burrell Trustees. Gifted by Sir William and Lady Burrell to the City of Glasgow, 1944. © CSG CIC Glasgow Museums Collection. 

Un feuillet manuscrit de Degas à propos de sa collection (exposé en vitrine) indique: «Manet, Jambon sur un plat d'argent, fond cuir de Cordoue, vient d'une vente Pertuiset 33c - 45c. Eu de Manzi (3000F) échangé pour pastel et petit tableau».
Scénographie
 
Edouard Manet (1832-1883). Polichinelle, 1874. Lithographie colorée sur papier, 4e état sur 4. Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.

Un feuillet manuscrit de Degas à propos de sa collection (exposé en vitrine) indique: «Manet, Polichinelle. Lithographie en couleur dans un passe-partout acheté à la vente Duranty».
 
Edouard Manet (1832-1883). Gitane à la cigarette, vers 1862. Huile sur toile. Princeton University Art Museum, bequest of Archibald S. Alexander, Class of 1928.
Edouard Manet (1832–1883). L’exécution de Maximilien, vers 1867-1868. Huile sur toile, 193 × 284 cm.
The National Gallery, Londres, Royaume-Uni. © The National Gallery, London.


En 1867, l’exécution de Maximilien, empereur du Mexique, inspire à Manet le plus ambitieux de tous ses projets artistiques liés à l’actualité. Il travaille plusieurs mois à une grande composition destinée au Salon de 1868 réalisant successivement quatre peintures, dont trois monumentales, et une lithographie pour en assurer la diffusion. Trop subversives, aucune ne sera exposée en France de son vivant. Demeurées dans son atelier, elles n’ont été vues que par quelques proches, dont peut être Degas, qui fit l’acquisition de plusieurs fragments de la seconde version découpée après la mort de Manet.