FERNAND KHNOPFF. Le maître de l’énigme. Il a fallu attendre près de  quarante ans pour revoir à Paris une rétrospective consacrée au grand maître  belge de la peinture symboliste. Khnopff naît en 1858 dans le château familial  de Grembergen et passe sa petite enfance à Bruges, où son père est magistrat.  Il gardera un souvenir nostalgique de cette ville morte, sur le déclin.  Délaissant ses études de droit, il se lance dans la peinture et rejoint le cercle  des XX, constitué par l’avant-garde bruxelloise dont font partie Octave Maus,  James Ensor, Guillaume Vogels et Théo Van Ryssenberghe. Dès la première  exposition du cercle des XX, un scandale éclate. Ensor accuse Khnopff de  plagiat. En effet son tableau En écoutant  du Schumann (1883) est trop ressemblant à celui d’Ensor La Musique russe (1881). Les deux  peintres resteront brouillés toute leur vie. Très individualiste, cela importe  peu à Khnopff qui va voyager. Il admire Titien, Rembrandt, Delacroix ou Moreau,  qu’il découvre à Paris. Il se rapproche des préraphaélites comme Burne-Jones et  Rossetti, ses aînés, et des artistes de la Sécession Viennoise comme Gustav  Klimt avec qui il travaillera. Sa peinture imaginative et rêveuse emprunte à la  littérature fin-de-siècle la plupart de ses sujets. Mallarmé, Rodenbach,  Verhaeren le guident dans sa quête d’une autre réalité.
                Le parcours de l’exposition,  thématique, est conçu dans une scénographie qui s’inspire de la maison atelier  qu’il avait fait construire en 1902, dans le style Art nouveau, selon ses  plans, dans la campagne bruxelloise. Ce « temple du moi », où peu de  gens étaient admis, est aujourd’hui détruit. Il nous en reste des photographies,  une maquette, des plans et des objets qui la décoraient. On en voit  quelques-uns au début du parcours.
                La première section est consacrée  aux « paysages de Fosset », une commune des Ardennes belges où  Khnopff a passé de nombreux étés avec sa famille. Il peint des sites de  proximité avec, parfois, des personnages (A  Fosset. Le garde qui attend, 1883). Il s’intéresse aux variations dues aux  phénomènes atmosphériques et à l’heure du jour, d’où ces titres A Fosset. Un soir (1886) ; A Fosset. De la pluie (1886) ; Une fin de jour (1891).
                La salle suivante est consacrée  aux portraits. Khnopff était le portraitiste attitré de la bonne société. On y  voit des portraits d’enfants et surtout des portraits de femmes, longilignes,  comme sa sœur Marguerite, son modèle préféré et sa muse. C’est elle aussi que  l’on retrouve dans l’un des plus célèbres tableaux de Khnopff, un très grand  pastel très fragile et donc intransportable, Memories (1889). A défaut du tableau, nous pouvons voir comment  l’artiste a procédé pour le peindre. Il a commencé par photographier sa sœur  sous différents angles, puis à faire des dessins au crayon et des sanguines à  partir de ses photographies et enfin à assembler sept personnages, toujours sa  sœur, dans un même tableau. Une animation vidéo évoque ce processus. La section  suivante, « la modernité de l’objectif » montre comment Khnopff  utilisait la photographie pour concevoir ses tableaux.
                Vient ensuite la section la plus  caractéristique de l’art de Khnopff, « Sous le signe d’Hypnos ». Cet  artiste est hanté par le dieu du sommeil et place la sculpture qui le  représente, une tête ailée, dans bon nombre de ses toiles. Il en fait même des  sculptures et lui consacre un autel dans sa maison. Dans cette salle, on admire l’énigmatique L’Art ou Des Caresses (1896), représentant Œdipe avec un sphinx à corps de  léopard ou encore Sleeping  Medusa ou Méduse endormie (1896)  et I Lock My Door Upon Myself (1891)  où la statue d’Hypnos apparaît pour la première fois.
                Nous avons noté que Khnopff avait  fait très peu de portraits d’homme. Comme bon nombre de misogyne - il ne se  maria qu’à 51 ans - Khnopff était passionné par les figures féminines. Dans la  section suivante « De la femme et du nu », on voit toutes sortes de  compositions avec des femmes, depuis des frontispices de livres jusqu’à son  magistral triptyque, L’Isolement (1890-1904) où les figures latérales incarnent deux tendances morales opposées.  Acrasia personnifie la débauche et Britomart la chasteté, tandis qu’au milieu,  Solitude tient son épée à la manière d'un sceptre. D’une manière  générale, les femmes de Khnopff ne paraissent aucunement en proie aux tourments  de la chair, à rebours de celles de Klimt dont on voit un dessin.
                La dernière section, « Un  rêve de primitifs Flamands » nous montre des vues de Bruges, où Khnopff  vécut jusqu’à l’âge de six ans, ainsi que des tableaux aux sujets plus  étranges, Le Secret, Autrefois, L’Encens,  Requiem, témoignant d’une certaine complicité avec Memling, qui vécut à  Bruges au XVe siècle. 
                A mi-parcours, une salle évoque un  salon symboliste avec des livres, des photographies, des peintures et, sur le  sol, un grand cercle d’or, comme celui qui était dans l’atelier de Khnopff, au  milieu duquel il posait son chevalet pour trouver l’inspiration. Une exposition  exceptionnelle et surprenante. Petit  Palais 8e. Jusqu’au 17 mars 2019. Lien: www.petitpalais.paris.fr.