ELLES FONT L'ABSTRACTION

Article publié dans la Lettre n°528 du 28 juillet 2021



 
Pour voir le parcours en images et en vidéos de l'exposition, cliquez ici.

ELLES FONT L’ABSTRACTION. Après le musée du Luxembourg qui mettait à l’honneur les « Peintres femmes » dans les années 1780-1830 (Lettre n°525), le Centre Pompidou nous propose une relecture inédite de l’histoire de l’art qui, à de rares exceptions, a occulté l’apport des « artistes femmes » dans le domaine de l’abstraction. Les commissaires, Christine Macel et Karolina Lewandowska, ont étendu le sujet à tous les arts, non seulement les arts plastiques, mais aussi la danse, la photographie, le film et les arts décoratifs.
C’est une exposition magistrale à plus d’un titre. Tout d’abord par le nombre d’artistes présentées, 109 dont on voit les photographies à l’entrée de l’exposition, sans compter les 35 artistes aborigènes d’Australie regroupées au sein de l’APY Lands Collaborative. Ensuite par le nombre de salles, 42, regroupant généralement plusieurs artistes sous une même désignation artistique telles que « Danse et abstraction, la géométrisation du corps », « Les Russes de l’avant-garde », « Le Texas Bauhaus », « Le néo-concrétisme brésilien », « Aux bordures de l’art minimal », etc. Enfin par l’exhaustivité de la démarche en s’intéressant non seulement aux artistes européennes et nord-américaines mais aussi à celles des autres continents.
Le parcours suit un ordre chronologique depuis les origines jusqu’aux années 1980. En dehors des grands panneaux didactiques sur certaines artistes (Sonia Delaunay-Terk ; Vanessa Bell ; Helen Saunders, etc.) ou certains mouvements (Au Bauhaus ; Autour du Salon des Réalités Nouvelles ; Sous le signe de la ligne, etc.), des notices présentent chaque artiste. Nous les avons reproduites dans le parcours en images qui complète cet article.
Une surprise nous attend dès les deux premières salles avec des œuvres de quasi inconnues, telles que Georgiana Houghton (1814-1884), Hilma af Klint (1862-1944) ou Olga Fröbe-Kapteyn (1881-1962). La première, adepte du spiritualisme, intitule des peintures parfaitement abstraites The Eye of God, 1862 ou The Risen Lord, 1864. Elle ne sera redécouverte internationalement qu’en 2015. La seconde peint à partir de 1906 des cercles, triangles et autres formes géométriques colorées et les intitule, par exemple, « The Swan, No13, Group IX/SUW ». Ainsi, l’art abstrait ne naît pas vers 1910 avec, entre autres, Kandinsky, Kupka, Mondrian ou Malevitch !
Le parcours est illustré de citations telles que celle-ci : « Cette peinture est tellement réussie qu’on ne la croirait pas due à une femme » qui témoignent en quel estime on tenait les « artistes femmes » encore au XXe siècle. D’une manière générale les femmes ont été « invisibilisées ». Mais cette constatation est plus complexe. En effet, certaines, comme Sonia Delaunay-Terk, se sont situées au-delà du genre, quand d’autres comme Judy Chicago, ont revendiqué un art « féminin ». Sonia Delaunay-Terk (1885-1979), qui refusera d’être perçue comme une « femme artiste », s’est trop souvent effacée pour mieux entretenir le souvenir de son mari, Robert Delaunay. Elle devra attendre la première rétrospective de son œuvre au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 1967 pour être enfin reconnue pour elle-même. Il en est de même de Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) dont l’œuvre, éclipsé en partie par celle de son mari Jean Arp, qui se réclamait pourtant de son influence, ne rencontre qu’une reconnaissance posthume amorcée par l'exposition de la Documenta 1 de 1955. D’autres n’auront droit à une exposition personnelle qu’en toute fin de carrière.
Le sort fait aux femmes emprunte parfois des chemins révélateurs de l’état d’esprit de leurs collègues masculins. C’est ainsi qu’au Bauhaus, alors qu’il existait à sa création en 1919 une égalité presque parfaite entre les hommes et les femmes, celles-ci, après le cours préliminaire, sont par la suite systématiquement orientées vers l’atelier de tissage. Ironie de l’histoire, c’est cet atelier qui assura la survie financière de l’école.
Parmi les quelque 300 œuvres exposées on remarque plus particulièrement les aquarelles et gouaches de Georgiana Houghton ; les tableaux de Sonia Delaunay-Terk, Helen Saunders, Natalia Gontcharova, Maria Helena Vieira da Silva, Barbara Kasten et bien d’autres ; les toiles géantes du APY Art Centre Collective et d’Irene Chou ; les sculptures de Barbara Hepworth, Marta Pan, dont la charnière Le Teck inspira à Maurice Béjart le ballet du même nom, Louise Nevelson, Louise Bourgeois et Monir Shahroudy Farmanfarmaian ;  les Bichos [Bestioles] de Lygia Clark ; l’Essaim de Reflets de Martha Boto ; les Abakans de Magdalena Abakanowicz ; l'Electric Dress d’Atsuko Tanaka ; les tapis de Gertrud Arndt et Harmony Hammond ; les meubles de Sophie Taeuber-Arp ; les films de Mary Ellen Bute et de Judy Chicago et aussi la salle d’expressionnismes abstraits. Une exposition à voir absolument. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 23 août 2021. Lien : www.centrepompidou.fr.


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