YERMA
Article
publié dans la Lettre n° 285
YERMA de Federico García Lorca. Traduction
Denise Laroutis. Mise en scène Vicente Pradal avec onze artistes
et comédiens dont Catherine Sauval, Coraly Zahonero, Céline Samie,
Laurent Natrella, Madeleine Marion, Shahrockh Moshkin Ghalam.
Il est cinq heures, Yerma s’éveille !… Son mari a déjà déserté le
lit conjugal, il s’apprête à partir pour les champs. Maussade, il
refuse le verre de lait qu’elle lui tend. Il est assez robuste pour
s’en passer. Son travail, c’est tout ce qui l’intéresse, sa femme
et son manque d’enfant, il n’en a cure, cela l’arrange même plutôt
de ne pas être père. Il est pourtant là, lancinant, le drame de
Yerma, stérile, comme le dit son prénom. Impuissante et frustrée,
elle regarde ses voisines s’arrondir puis s’épanouir, leur petit
dans les bras. Ses bras à elle, ses mains, ne serrent ni ne touchent
rien. Inertes, ils lui sont inutiles. Pourtant, elle ne renonce
pas, elle en parle, demande conseil, va voir la vieille femme et
le secret de ses prières et breuvages, finit même à la Romería,
pèlerinage où toutes vont demander à Dieu la fertilité. Yerma pourrait
peut-être avoir un enfant avec un autre homme que Juan. Elle pourrait
se rapprocher de Victor, le berger, ou aller vivre avec un autre
comme le lui conseille la vieille qui cherche une femme pour son
fils. Mais non. Elle place son honneur plus haut que tout et l'honneur
que revendique son mari, l’insupporte car il n’en a pas, selon elle,
le monopole. Elle ne supporte pas davantage la présence chez elle
de ses deux belles-sœurs que son mari a fait venir pour la surveiller.
Des bruits qui courent puis l’aveu de Juan la conduiront au meurtre.
Yerma est la deuxième pièce de la trilogie rurale de Lorca,
plus aride encore que Noces de sang ou La Maison de Bernarda
Alba. Mais comme pour les deux autres, la femme y occupe une
place de choix. Lorca les aimait. Avec Yerma, son héroïne, il célèbre
leur courage, leur force et leur détermination mais souligne également
l’oppression dont elles sont l’objet, leur enfermement et leur humiliation
face à la domination de l’homme qui les veut inférieures. Dans les
années 30, il ne faisait pas bon être paysan en Espagne. Lorca,
dans une langue simple et poétique, alternant prose et vers, le
dénonce. Saluons en passant le beau travail de traduction de Denise
Laroutis. La famille de Vicente Pradal, originaire de Fuente Vaqueros,
lieu de naissance de Lorca en Andalousie, a bien connu ce dernier.
Cette familiarité avec le poète et dramaturge mais aussi avec la
région, lui permet de mettre superbement en relief ce qui fait l’originalité
et le sel de l’écriture poétique de Lorca et de son théâtre, cette
fameuse Barraca, théâtre de tréteaux qu’il transportait de ville
en village pour que le peuple y ait lui aussi accès.
Le théâtre de Lorca est lent, l’action ne s’achemine que progressivement
vers le drame. Le metteur en scène prend son temps lui aussi, un
peu trop peut-être. Il alterne dialogues et danses dans un décor
très adapté aux multiples lieux et offre un spectacle saisissant
par son authenticité face à l’époque et à l’œuvre. Les comédiens
le servent à la perfection. Leurs costumes, certains superbes, siéent
bien à leur rôle. Lorca, silhouette suggérée par celle du jeune
pianiste sur scène, serait heureux d'être là. Théâtre du Vieux-Colombier
6e.
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