VOLPONE ou le renard
Article
publié dans la Lettre n° 344
du
8 octobre 2012
VOLPONE ou le renard de Ben Jonson.
Adaptation Nicolas Briançon et Pierre-Alain Leleu. Mise en scène
Nicolas Briançon avec Roland Bertin, Nicolas Briançon, Anne Charrier,
Philippe Laudenbach, Grégoire Bonnet, Pascal Elso, Barbara Probst,
Matthias van Khache, Yves Gasc.
L’étonnant décor de Pierre-Yves Leprince suggère parfaitement le
propos. Lové dans le coffre fort qu’est devenu son logis, le vieux
Volpone jouit de tout son bien. Roland Bertin nage comme un poisson
dans l’eau dans cet univers. Tantôt matois, tantôt geignard, ce
comédien d’exception colle parfaitement à son rôle. Portes ouvertes
sur les étagères remplies d’objets précieux, tiroirs béants, il
regarde le trésor de toute une vie, patiemment amassé, et le palpe
avec délectation. Mais il n’en a pas encore assez. Avide de biens,
rusé comme le nom qu’il porte, il fait habilement courir le bruit
qu’une maladie va bientôt l’emporter. Ses « amis » se pressent alors
avec des cadeaux somptueux, chacun désireux de voir son nom seul
couché sur le testament du vieil homme. L’avocat Voltore (le vautour),
entre deux cajoleries, tente de l’empoisonner. Le vieux Corbaccio
(la corneille noire), sourd et complètement gâteux, va jusqu’à déshériter
son fils unique au profit de son « si cher » ami, persuadé de lui
survivre. Corvino (le corbeau), l’opulent marchand, jaloux et tyrannique,
n’hésite pas à lui livrer sa propre femme. Leur ignominie est sans
limite: « La conscience est la vertu des pauvres ». Les pauvres
justement. Aux côtés de Volpone, s’active sans relâche son dévoué
serviteur Mosca (la mouche). Parasite ? Mouche du coche ? Non. Fine
mouche qui sert mais qui manipule, qui exécute mais oriente subtilement
les manigances de son maître. Celui-ci l’a tiré du caniveau lorsqu’il
n’était qu’un enfant, il l’a élevé comme un fils, prévoyant de lui
laisser son bien. Mais que lui a-t-il enseigné, excepté la soif
éternellement inassouvie du gain et l’accomplissement de n’importe
quel acte pour s’enrichir ? À bonne école, Mosca a suivi à la lettre
les leçons de son maître. Il a « appris le sens de l’argent » mais
a compris que « la pauvreté n’a pas que des inconvénients ».
L’ombre de Shakespeare, de huit ans son aîné, a peut-être plané
sur l’œuvre de Ben Jonson, son ami et rival. Cette pièce remarquable
décrit avec une grande férocité jusqu’où peuvent mener la cupidité
et la soif de thésauriser. L’adaptation de Nicolas Briançon et de
Pierre-Alain Leleu décrit au plus près la bassesse de l’être soumis
au pouvoir illusoire de l’argent. La mise en scène montre par son
extravagance, les affres dans lesquelles sont plongés les rapaces
de cette tragédie, aux prises avec le besoin impérieux de posséder,
et la férocité des moyens qu’ils doivent employer pour y parvenir.
Pascal Elso, Grégoire Bonnet et Yves Gasc dansent avec art cette
ronde macabre. Les interventions des danseurs parés avec beaucoup
d’à-propos, permettent des changements de décor aussi rapides que
distrayants et le clin d’œil musical est plutôt amusant. Il est
assez rare de cumuler avec la même rigueur mise en scène et interprétation.
Nicolas Briançon est bien au-delà de cet écueil. Lunettes sur le
nez, il joue avec une redoutable subtilité un Mosca sans esbroufe,
œuvrant discrètement dans l’ombre. Un sacré spectacle ! Théâtre
de la Madeleine 8e.
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