LA VISITE DE LA VIEILLE DAME

Article publié dans la Lettre n° 365
du 3 mars 2014


LA VISITE DE LA VIEILLE DAME de Friedrich Dürrenmatt. Traduction Laurent Muhleisen. Mise en scène Christophe Lidon avec Yves Gasc, Simon Eine, Gérard Giroudon, Michel Favory, Christian Blanc, Céline Samie, Christian Gonon, Danièle Lebrun, Samuel Labarthe, Noam Morgensztern, Didier Sandre, Pauline Méreuze.
Sous l’horloge de la gare qui a vécu de meilleurs jours, les membres les plus importants de Güllen attendent, fébriles, l’arrivée en omnibus de Claire Zahanassian, une vieille dame de qualité. Le maire, le proviseur, le commissaire, le médecin, le pasteur et le juge, accompagnés d’Alfred Ill, l’épicier du village et ancien fiancé de Claire, sont un peu en avance. Il y a belle lurette que plus aucun express ne s’arrête là, depuis que les forges et les autres usines ont fermé leurs portes, laissant sur le carreau une population sans emploi. Trempés comme des soupes sous la pluie battante, les représentants sont à l’image de la ville, bien décatis.
Contre toute attente, Claire Zahanassian, leur Clara, arrive avant l’omnibus, suivie de ses bagages, de sa suite, d’une panthère noire et de son septième mari. Elle a voyagé dans l’express dont elle a tiré la sonnette d’alarme pour le stopper. La première stupeur passée, tous se mettent en quatre pour accueillir en grande pompe celle qui représente pour la ville toutes les promesses d’un avenir plus prospère. Sa richesse et sa philanthropie ont en effet dépassé les frontières. Clara explique d’ailleurs rapidement le but de sa visite. Elle vient demander justice et propose un marché : un milliard à partager entre Güllen et ses habitants contre la mort d’Alfred Ill. Elle rappelle les raisons de cette condition qui interloque le petit groupe bien-pensant des notables. Lorsqu’elle avait 17 ans, enceinte d’Alfred, celui-ci refusa non seulement de reconnaître sa paternité mais il paya deux acolytes pour témoigner contre elle. Déboutée de sa requête par le juge, elle fut bannie de Güllen sous les sarcasmes de la population.
Durant quarante-cinq ans, Clara a nourri sa soif de vengeance et l’a aujourd’hui en partie satisfaite. Elle est fin prête pour l’épilogue, le cercueil qu’elle a fait installer dans une chambre de l’auberge où elle a pris ses quartiers attend. Les habitants scandalisés refusent ce marché inique et assurent Alfred Ill de leur entière confiance. Clara n’insiste pas. Elle se promène sur les lieux de ses amours défuntes et profite du temps dont elle dispose pour divorcer et se remarier deux fois, toujours plus riche, plus puissante. Comme elle l’a prévu, l’atmosphère de la ville change. Une sorte d’euphorie gagne les habitants. La famille d’Alfred ne fait pas exception. Tous se mettent à acheter à crédit et s’endettent. Affolé mais impuissant, Alfred voit l’étau se refermer sur lui, inexorablement.
La satire d’une société capable du pire pour l’appât du gain est virulente. Friedrich Dürrenmatt choisit tout spécialement les membres les plus influents de la société mais nul n’est épargné, pas même le petit peuple de Güllen et la famille d’Alfred Ill. L’auteur se fait moraliste. Quel que soit le système politique, quelle que soit l’époque, l’argent mène la nature humaine, nerf de toutes les guerres, moteur de toutes les convoitises et turpitudes, prétexte à tous les crimes.
La mise en scène appesantit parfois l’action mais les comédiens font évoluer l’état d’esprit de leurs personnages avec une excellente maîtrise. La visite de la vieille dame ne laissait aucune chance à Alfred Ill. Théâtre du Vieux-Colombier 6e. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici


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