VINCENT

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 379
du 2 mars 2015


VINCENT de Léonard Nimoy. Mise en scène Paul Stein avec Jean-Michel Richaud.
Vincent était né deux fois, serait-il mort une seule et définitive fois ? Non, Théo ne veut pas croire à l'oubli de ce frère si méconnu tout au long d'une vie de souffrance et de solitude. Au sortir de ses obsèques, il vient devant le public des amis lui donner une deuxième chance d'être enfin compris.
Vincent s'était jeté à corps et à cœur perdus dans son amour des autres, envers et contre toutes les incompréhensions de son entourage rigide, des voisins hargneux, du monde aveugle.
Amour de Dieu, comme pasteur dans le Borinage des déshérités, des malades, des asservis aux profits des nantis. Amour de l'amour, quand il s'abîme dans une passion délirante, puis dans la tentative sans mesure de sauver du ruisseau l'acariâtre femme de petite vertu et ses enfants.
Amour de la peinture enfin et surtout. Oui, dessiner et peindre jusqu'à en perdre la raison et la vie, parce qu'il y trouve la synthèse de toutes ces amours désespérées.
Car il fait peur, Vincent, et le monde ne peut qu'imputer à folie ses frénésies et ses enthousiasmes. L'invention d'un genre nouveau coule de ses doigts fébriles et chacun de ses dessins, de ses tableaux, est une création hors du commun. Rebelle à toute norme, étranger en tous lieux, travailleur acharné, honni et craint tant sa démence dérange. Mais qui dira jamais la beauté saisissante, l'acuité de son regard sur la nature et sur les êtres qu'il côtoie ?
De la correspondance quotidienne qu'il entretient avec Théo, le tendre confident plein d'impuissante prévenance, naîtra un des plus beaux témoignages sur la générosité du peintre et ce qui nourrit le talent, méticuleux, méthodique, de l'artiste fou, dont il faudra des générations pour reconnaître la si juste valeur. Jusqu'à sa mort prématurée, Vincent en eut d'ailleurs la prescience.
Et tandis que sur l'écran s'écoule le flot lent des œuvres de Van Gogh, Théo, tour à tour révolté, confus, amer et ironique, ressuscite la mémoire de ce frère dont il a tenté de rendre les jours plus faciles, d'alléger en vain la souffrance, de donner à voir le génie. Au milieu des centaines de lettres échangées qu'il tire de sa valise pour étayer les réminiscences, Jean-Michel Richaud est habité par la sincérité de Théo, entre sourires et larmes, dans une émotion sans emphase, sous-tendue par l'évidence des Gymnopédies d'Eric Satie.
J'ai senti son âme s'attarder autour de moi pendant quelques instants, et puis quelque chose s'est détaché de moi. Impossible de se détacher de ce Vincent-là, qui s'attardera encore longtemps dans le plaisir de ce moment. A.D. Ciné XIII Théâtre 18e.


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