LA VIE SINON RIEN

Article publié dans la Lettre n° 298


LA VIE SINON RIEN d’Antoine Rault. Mise en scène et interprétation Bruno Abraham-Kremer. Pierre Taraut est l’archétype de l’homme d’aujourd’hui. Proche de la cinquantaine, marié depuis vingt-cinq ans, père de deux enfants, déjà grand-père, et doté d’une belle situation. Sa vie professionnelle l’a envahi, faisant de lui un homme toujours pressé, irritable, indifférent aux autres. Sa femme Mathilde est devenue transparente, ses enfants l’agacent. Une petite douleur à laquelle il n’a pas pris garde l’oblige à se rendre chez son médecin. Après moult examens, le verdict est sans appel : Pierre est atteint, non d’un cancer comme tout le monde, mais d’une amylose primitive, maladie très rare, seulement vingt-cinq cas en France. Paralysé d’effroi par la sentence assenée, il s’enferme tout d’abord dans une solitude agressive, malgré la sollicitude des siens. Puis l’échéance fatale s’approchant à grands pas, des rencontres, des conversations qu’il n’aurait pas pris le temps d’avoir autrefois, vont lui permettre de comprendre que ceux qui l’entourent, peut-être un peu maladroitement, l’aiment.
Sur l’affiche, deux noms auxquels la mémoire associe immédiatement des œuvres marquantes et deux plus que tout : Le Diable rouge (Lettre 288) et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (Lettre 206). L’association d’Antoine Rault et de Bruno Abraham-Kremer ne pouvait que séduire et elle séduit. Tout d’abord grâce à un texte très bien adapté, à la fois drôle, émouvant et si simple qu’il permet à chacun de s’identifier, puis par la mise en scène et l’interprétation. Seul sur scène durant une heure et demie, Bruno Abraham-Kremer raconte la prise de conscience de cet homme encore jeune qui voit tout à coup les longues années qui lui restaient à vivre lui échapper. Il s’approprie l’ingénieux plateau surélevé et la fosse rectangulaire aménagée en son milieu pour suggérer les différents lieux, et faire partager, mobile et tellement naturel, l’univers de son personnage. Son talent de comédien et d’imitateur opère. Il est irrésistible lorsqu’il mime hommes, femmes, enfants qui partagent son quotidien avec leurs mimiques et leur bavardage, tous ces personnages croqués par l’auteur de façon si perspicace. Il se fait tendre comme Mathilde, affectueux comme Sandra ou Benjamin, ses enfants, curieux comme Martin, tellement fier d’aller au cinéma avec son grand-père, émouvant comme Nicolas, le simple d’esprit, irrésistible lorsqu’il imite Christine, la secrétaire, ou Bernadette, l’adjointe au chef de service, marseillaise avé l’accent. Les scènes très courtes, mais ô combien édifiantes, avec le corps médical ou celle, délicieuse, avec Mamadou Ben Bo, le grand marabout malgache, sont particulièrement bien vues. À « Sois sage, ô ma douleur, …! » que Pierre se remémore tout à coup, il pourrait ajouter le vers d’un autre poète : « la vie est là, simple et tranquille », car c’est de cela dont il va prendre conscience avant qu’il ne soit trop tard et c’est cela qu’il va se dépêcher de vivre, même si « c’est dur d’être un homme. Non ? ». Comédie des Champs-Elysées 8e.


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