VIE
PRIVEE
Article
publié dans la Lettre n° 302
VIE PRIVÉE de Philip Barry. Texte
français en mise en scène Pierre Laville avec Anne Brochet, Julien
Boisselier, François Vincentelli, Samuel Jouy, Claire Vernet, Yves
Gasc, Nathalie Boutefeu, Yves Beneyton, Alexandra Gentil, Laurent
Méda.
Le décor raffiné de Thierry Flamand est tout à fait dans le ton
: salon ocre, baies vitrées donnant sur un parc ombragé, meubles
de style, tout respire le luxe dans cette maison de campagne où
Margaret Lord (Claire Vernet) et sa fille Tracy (Anne Brochet),
grande famille de Philadelphie, mettent la dernière main aux préparatifs
du mariage de celle-ci. Tracy a failli épouser Dexter Haven (François
Vincentelli), un ami d’enfance qu’elle a abandonné le matin des
noces. Elle s’apprête à se marier vraiment, cette fois, avec George
Kittredge (Samuel Jouy), un homme issu d’une famille pauvre qui
s’est hissé à la force du poignet pour atteindre la haute société
et ses affaires. A la veille du mariage, Margaret est très nerveuse.
Adam, son mari (Yves Beneyton), dont elle est séparée, entretient
une relation scandaleuse avec une danseuse et l’on se demande s’il
viendra au mariage ou même, s’il ne vaut pas mieux qu’il s’abstienne.
Même son frère Willie (Yves Gasc) ne parvient pas à la calmer, pas
plus que Dinah, sa fille cadette (Alexandra Gentil). Dans le brouhaha
des préparatifs et à la grande contrariété de Tracy, survient Dexter,
accompagné de deux journalistes, Macauley Connor (Julien Boisselier)
et Elizabeth Imbrie (Nathalie Boutefeu), qui souhaitent couvrir
l’événement pour un journal à scandale dont le directeur compte
publier incessamment des photos d’Adam en compagnie de sa danseuse.
Dexter n’a en fait qu’une idée en tête, reconquérir Tracy. Pour
parvenir à ses fins, il introduit sur les lieux les deux journalistes
qu’il présente comme des amis du fils aîné retenu au Tibet.
C’est Katharine Hepburn, alors licenciée par les Studios d’Hollywood,
qui acheta les droits de la pièce « The Philadelphia story » d’un
certain Philip Barry et la créa à New York avec un tel triomphe
que le tournage d’un film, d’après la pièce, fut confié au grand
George Cukor avec Katharine Hepburn, bien sûr, Cary Grant, James
Stewart et John Howard. « The Philadelphia story », couronné par
deux Oscars en 1940, est devenu l’un des grands classiques du cinéma.
Philip Barry a situé l’action de sa pièce à l’époque où, après la
terrible crise économique, Roosevelt avait mis en œuvre le New Deal
et redressé le pays. Une période d’euphorie s’en suivit, et les
classes sociales ayant tendance à se mêler, il régna alors une soif
de luxe, d’élégance et de richesse mais aussi de légèreté, d’égoïsme
et d’irresponsabilité.
Pierre Laville adapte et met brillamment en scène cette comédie
romantique échevelée où l’étude de mœurs, truffée de dialogues éblouissants,
est le miroir de toute une époque. Son adaptation est un festival
de répliques savoureuses à l’humour décalé, sa mise en scène un
tourbillon incessant et rythmé d’actions, sa direction d’acteurs
parfaite. En tête, Anne Brochet, Tracy étourdissante, mène la danse
d’un bout à l’autre, offrant une gamme inouïe de jeux, entourée
par trois « nigauds » géniaux : François Vincentelli, Dexter craquant,
Samuel Jouy, excellent dans le rôle du futur époux pataugeant dans
un milieu dont il ignore tout, Julien Boisselier, étonnant en journaliste
revanchard qui se laisse peu à peu embobiner. Claire Vernet, Yves
Gasc, Alexandra Gentil, Nathalie Boutefeu, Yves Beneyton et Laurent
Méda, loin de jouer les faire-valoir, sont irréprochables. Ensemble,
ils servent merveilleusement l’œuvre, éclairés par une disposition
judicieuse des lumières et vêtus d’une débauche de costumes superbes.
Un véritable feu d’artifice. Théâtre Antoine 10e.
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