LA
VIE PARISIENNE
Article
publié dans la Lettre n° 306
LA VIE PARISIENNE de Jacques Offenbach.
Livret Henry Meilhac et Ludovic Halévy. Adaptation et mise en scène
Alain Sachs. Orchestration et direction musicale Patrice Peyriéras.
Scénographie Alain Sachs et Philippe Quillet avec David Alexis,
Adrien Biry, Emmanuelle Bougerol, Stéphane Corbin, Thomas Dalle,
Noémie Delavennat, Hervé Devolder, Isabelle Fleur, Anna Lafont-Jouan,
Marie-Charlotte Leclaire, Marion Lepine, Clément Pouillot, Sarah
Tullamore.
La scène est jonchée d’un inventaire hétéroclite d’objets en tous
genres. Un régisseur en blouse grise s’affaire. Si le regard étonné
du spectateur se met malgré tout en quête d’un décor, les personnages
qui apparaissent timidement depuis le fond du plateau semblent être
eux-mêmes en quête d’auteur. D’un geste péremptoire, le régisseur
dresse un pupitre sur lequel il place une partition. Un coup de
téléphone et le petit groupe, mû par on ne sait quelle décision
entonne le premier air : « Nous sommes les employés de la ligne
de l’ouest… ». Un chariot à bagages et l’horloge suspendue en
hâte en font foi. La gare se matérialise tout à coup. Raoul de Gardefeu
y attend Metella, sa dernière conquête, qui semble avoir joué la
fille de l’air avec un autre amant. Il y rencontre son rival Bobinet,
venu pour la même raison. La trahison d’une certaine Blanche Taupier
les avait séparés, celle de Metella les réunit. Raoul tombe sur
son ancien valet venu accueillir un baron suédois et sa femme, afin
de leur servir de guide. En mal de maîtresse, le mot suédois émoustille
Gardefeu. Il prend sa place et accueille le couple et ses 44 malles,
bien décidé à conquérir la baronne. Il les installe chez lui leur
faisant croire qu’ils sont à l’hôtel. Tout comme un brésilien fraîchement
débarqué, le couple est venu là pour tout voir de Paris mais, si
possible, « en célibataire ». Aidé par Bobinet, Gardefeu se met
en devoir de les distraire sans perdre de vue son objectif.
On a beau avoir assisté à maintes représentations de cette œuvre
mythique, en connaître les airs, tous plus loufoques les uns que
les autres, la surprise est une fois de plus au rendez-vous grâce
cette fois au génie d’Alain Sachs et au formidable talent des musiciens,
chanteurs, danseurs et comédiens qui officient sous sa houlette.
Tant de talents réunis chez une même personne est une rareté, chez
treize à la fois, cela tient du miracle. Le décor se forme peu à
peu au rythme des scènes, passant de la gare au domicile de Gardefeu
puis à l’hôtel particulier des parents de Bobinet, pour s’achever
en beauté dans les salons d’un restaurant aux cabinets particuliers
dont le plancher est caressé par les atours superbement écarlates
des comédiennes. Il en va de même pour « l’orchestre » dont les
instruments apparaissent selon les besoins. Si le piano reste statique
et pour cause, les comédiens s’emparent qui d’un violon, qui d’un
violoncelle, d’une harpe, d’une flûte traversière, d’une trompette,
d’un xylophone et j’en passe, dansant et chantant en même temps
tout le répertoire de l’œuvre. Se succèdent alors les airs tant
de fois fredonnés, « je suis la gantière, je suis le bottier,
tel est mon métier », « je suis veuve d’un colonel...»,
tout ceci animé par les pas de danse qui tournent à la comédie musicale
avec, entre autres, la parisienne dont « sa robe fait frou frou,
ses petits pieds font toc toc ». On attend bien sûr avec impatience
« mon habit a craqué dans le dos ! », l’un des moments les
plus drôles du spectacle avant que tout ce petit monde se grise
au champagne. L’ambiance gagne insidieusement la salle. Le public
assiste ébaudi à toute cette agitation orchestrée avec une formidable
efficacité, tout d’abord saisi par l’excellence de la prestation
et finit par se laisser entraîner dans cet opéra bouffe complètement
fou, reprenant en choeur « Oui voilà, voilà la vie parisienne,
du plaisir à perdre haleine, oui voilà, voilà, voilà le bonheur
est là… ». Il ne faudrait pas le pousser beaucoup pour qu’il
participe aussi au french cancan final ! Sur scène comme dans la
salle, le bonheur est bien là avec une telle intensité et une telle
complicité que les comédiens victimes de leur succès enchaînent
bis sur bis triomphaux. Un Molière, au moins, est à la portée de
ce spectacle mis en scène et interprété par un metteur en scène
et des comédiens dont le talent commun brûle littéralement les planches.
Théâtre Antoine 10e.
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