LA VIE DEVANT SOI

Article publié dans la Lettre n° 278


LA VIE DEVANT SOI d’après le roman de Romain Gary (Emile Ajar). Adaptation Xavier Jaillard. Mise en scène Didier Long avec Myriam Boyer, Aymen Saïdi, Magid Bouali, Xavier Jaillard.
Momo a échoué chez Madame Rosa à l’âge de quatre ans il y a neuf ans, s’il veut bien la croire, car les treize ans que lui donnent ces années ne correspondent guère à sa stature ni à sa maturité. Elle n’est pas très claire à ce sujet ni plus loquace à propos de ses parents qui lui aurait commandé de l’élever dans la religion musulmane. Avant sa mort tragique, la maman de Momo faisait partie de cette cohorte de pauvres filles du trottoir « qui se défendent » avec leur corps. Momo n’a pas été le seul « enfant » de Madame Rosa. Elle en a élevé bien d’autres, dans la plus grande discrétion, les cachant afin de leur éviter de finir à l’Assistance et pour laisser une chance aux mères, déchues de leurs droits, de revenir les rechercher. Aujourd’hui c’est le cas de Banania, le jeune africain, reparti avec la sienne. Momo vit seul désormais avec Madame Rosa qui ne rajeunit pas. Son cœur paie aujourd’hui les drames du passé: L’enfance en Pologne, le tapin rue Saint-Denis, le Vel d’hiv, la déportation, puis le retour et le quotidien dans ce petit logement tout en haut de l’immeuble d’où elle ne sort plus guère. Elle a passé sa vie à avoir peur des allemands, des français, des contrôles, de l’Assistance, aujourd’hui elle a peur de la maladie. Mais qu’importe : Momo lui fait les courses et même s’il lui fait du souci, elle ne s’en séparerait pour rien au monde. Juive pratiquante, elle élève Momo comme un bon musulman. Elle en connaît un rayon sur les religions et s’est fait depuis longtemps une opinion sur ce Dieu que chacun arrange à son goût. Son bon sens, la tendresse qui déborde et un cœur gros comme ça lui suffisent pour guider son Momo dans le chemin dangereux de l’existence car il a toute la vie devant lui et se doit de la réussir.
On ne présente plus La vie devant soi, roman que Romain Gary écrivit sous le nom d’Emile Ajar dans le désir de naître sous un autre nom et de s’amuser. Prix Goncourt dix-neuf ans après Les racines du ciel, le canular devint cauchemar lorsque le créateur ne fut plus maître du personnage qu’il avait créé. La naissance d’Emile Ajar aboutit à la mort de Romain Gary, sa performance reste cependant unique. Malgré la création d’un personnage et d’un style qui ne ressemble à aucun autre, on retrouve dans le roman les grandes lignes de la pensée de cet écrivain si dérangeant et des causes pour lesquelles il s’est battu. Mais si le roman est un plaidoyer contre le racisme et pour la tolérance, il est par-dessus tout un hymne à l’amour.
L’adaptation de Xavier Jaillard, un petit bijou de sobriété, respecte à la lettre le roman, et l’époque. Il met parfaitement en relief l’essence même de la pensée de Gary à travers le personnage attachant de Momo, brillamment incarné par Aymen Saïdi, et par Myriam Boyer qui trouve avec Madame Rosa un rôle sur mesure comme l’avait trouvé naguère Simone Signoret au cinéma. Je viens d’un pays de neige ou Qui a peur de Virginia Woolf, on ne compte plus les pièces où Myriam Boyer a exprimé tout son talent. Madame Rosa ira rejoindre ceux où elle a le plus ému. Xavier Jaillard joue le rôle du vieux docteur juif avec la même humanité, la même chaleur qu’il a mise dans son adaptation. La mise en scène fine et discrète, les décors judicieusement agencés les guident vers un formidable succès. Théâtre Marigny salle Popesco 8e.


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