VICTOR HUGO, mon amour

Article publié dans la Lettre n° 339
du 9 avril 2012


VICTOR HUGO, mon amour, de Anthéa Sogno. Mise en scène de Jacques Décombe avec Anthéa Sogno et Sacha Petronijevic ou Christophe de Mareuil.
Demain dès l’aube, je partirai… je sais que tu m’attends. Ces vers écrits pour sa fille Léopoldine dans l’insupportable souffrance d’une mort accidentelle, Hugo ne les a-t-il pas redits, quelques mois avant sa propre mort, quand Juliette, l’amour de toute une vie, s’en est allée ?
Elle est pulpeuse, mutine, délicieusement sensuelle, incurablement dépensière. Il est fou d’amour, méchamment jaloux, possessif en diable, même s’il la trompe sans vergogne, la fait lanterner sous des prétextes divers, se montre d’une mauvaise foi effarante. Qu’elle se le dise, elle est là pour lui, et lui seul ! Cinq décennies de ruptures et d’étreintes, de rôles promis et avortés, d’escapades et d’exils, d’amers reproches et d’une fidélité sans faille. Celle du cœur au-delà des désarrois du corps. Parce que la passion est intacte, dans le déchirement et la souffrance, dans les deuils et l’exil partagés comme dans les envolées de l’admiration. De l’amour fou, absurde, extravagant, méchant, jaloux, inquiet, tout ce que tu voudras, mais de l’amour. Leur vie fut cette déclinaison du désir brûlant, de la jalousie morbide, des haines conjointes de leurs détracteurs multiples, de l’éternité au présent. Tu es la nécessité de ma vie, lui dit-il, tu es le prisme à travers lequel m’apparaît la vie, lui répond-elle en écho. Et en chœur, aimer c’est plus que vivre ! Juliette ne fut pas seulement l’éveil de sa sensualité, elle pouvait en remontrer à son génial amant dans l’art de la formule, même si elle prétendait n’y dire que gribouillis. Si elle se fit la copiste attentionnée des manuscrits du grand homme, la groupie fervente du tribun, elle s’en savait l’égérie, fil tendu d’une prolifique correspondance qu’ils nouèrent sans pause jusqu’à sa mort, et le fil rouge qui court au long des chapitres des cinquante anniversaires d’une vie et d’une œuvre tissées à deux.
Dans l’entrelacs des milliers de lettres qu’ils s’échangèrent, revient en leit-motiv l’amour dit et redit à l’envi, dans un fleuve de mots, dont on ne sait où commence la poésie, où s’enchevêtre l’alexandrin, où s’exhale l’intimité plus familière des confidences ou des invectives.
Le décor conforte cette chaleur tant douillette que violente du dialogue ininterrompu, entre le boudoir de Juliette et l’austère bureau de Victor, avec en frontispice le rouge vivace du canapé-lit à métamorphoses. Avec force rires et non moins de pleurs, Juliette y évolue en réjouissante impudeur et se laisse joyeusement lutiner par Hugo débridé.
Anthéa Sogno porte Juliette au bout de ses bras, à l’intime de son ventre, à fleur de larmes. Dans ce jeu de miroirs inversés, qui est l’image, qui est le reflet ? Ce cher Toto ou sa Juju bien-aimée ? Qu’importe, après tout ? Une telle leçon d’amour est un miracle de théâtre qui ne requiert aucune dissertation. A déguster sans modération ni réticence. Pour le simple bonheur d’aimer. Comédie Bastille 11e. A.D.


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