VANIA d’après Oncle Vania

Article publié dans la Lettre n° 400
du 10 octobre 2016


VANIA d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Mise en scène et scénographie Julie Deliquet avec la collaboration des comédiens de la Comédie-Française Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Dominique Blanc.
La scène est placée en plein centre de la salle, les spectateurs se trouvant installés de part et d’autre. Cette disposition confère une intimité renforcée par la présence de la longue table familiale dressée pour le dîner. Le repas est prêt mais les convives se sont égaillés dans les chemins de campagne et tardent à rentrer. Alexandre, le professeur, marié en premières noces à Vera, la fille de Maria, la doyenne des lieux, est venu passer des vacances avec sa seconde femme Éléna, vacances qui se prolongent. Septembre pointe son nez. Le professeur a complétement désorganisé le train-train quotidien de la maison et ne semble pas pressé de partir. Arrogant et égoïste, il a le verbe haut. Éléna, inquiète pour la santé de son époux, a fait venir Mikhaïl, le médecin, mais il refuse de le recevoir. Sonia, la fille d’Alexandre et de Vera, et Ivan, dit Vania, son oncle, ont cessé le labeur journalier. Le travail laissé à l’abandon en souffre. Ils ne peuvent pourtant pas s’offrir ce luxe, ils économisent sou à sou. Depuis vingt-cinq ans, l’oncle et sa nièce triment et se privent pour envoyer le maximum d’argent à cet homme qu’ils ont longtemps considéré comme un grand professeur. Mais l’enchantement s’est brisé net et ils ne voient plus en lui qu’un raté qui ne fait rien d’autre que ressasser des idées qui ne sont pas les siennes. Las de faire les allées et venues, mais attiré par la beauté d’Éléna, le médecin fait tout de même la route. Mais ses tentatives pour séduire cette beauté bien plus jeune que son vieux mari sont aussi vaines que celles de Vania, tout aussi amoureux. Ilia, propriétaire ruiné et employé du domaine, reste en retrait et observe, fidèle à ses convictions. Les hommes boivent et vitupèrent sur un destin qu’ils auraient voulu plus faste. Les femmes, fidèles à leur éducation, gardent une certaine idée de la vie et vont de l’avant avec courage.
Julie Deliquet donne un sérieux coup de jeune à la forme de cette pièce dont elle garde tout de même l’ossature. Les patronymes à consonance russe disparaissent au seul profit des prénoms. Habillés comme vous et moi, les comédiens prennent possession de la scène comme s’ils se trouvaient dans la pièce principale de la maison familiale. Certes, le professeur a bien l’air de Peter Ustinov dans Mort sur le Nil ! La comparaison, jetée au détour d’une phrase, est plutôt amusante, tout comme la projection de Vampyr, le premier film parlant de Dreyer, sorti en 1932. Le café fraîchement distillé par la cafetière électrique embaume l’air. Tout est pensé pour accentuer encore la modernité d’une œuvre déjà considérée comme telle à sa simple lecture. Oncle Vania est l’œuvre la plus visionnaire de Tchekhov, c’est pourquoi elle ne fut pas comprise en son temps et qu’elle nous parle si bien. Les problèmes soulevés ont la même résonnance que ceux du XXIe siècle. Un médecin de campagne harassé, qui n’en peut plus, dont l’engagement écologique, considéré comme une lubie par ses proches, est tout à fait d’actualité. L’appât du gain, au détriment du bien-être de la famille, est, lui aussi, intemporel. Anton Tchekhov dresse le constat d’une société en pleine mutation, d’un monde en voie de disparition. Julie Deliquet et les comédiens du Français lui emboîtent le pas avec panache. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.

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