UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
Article
publié dans la Lettre n° 381
du
13 avril 2015
UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE de Ettore
Scola et Ruggero Maccari. Adaptation pour le théâtre Gigliola Fantoni.
Texte français Huguette Hatem. Mise en scène et scénographie Christophe
Lidon avec Corinne Touzet, Jérôme Anger, Yannis Baraban, Huguette
Hatem.
Toute l’Italie se réjouit d’accueillir semblable allié ! Hitler
accompagné de ses principaux acolytes vient conforter une alliance
avec Mussolini. Au petit matin de leur arrivée, Antonieta, femme
au foyer de la classe moyenne, est déjà afférée à réveiller et à
préparer sa ribambelle d’enfants pour le rassemblement général d’une
population se devant, elle aussi, d’accueillir avec les honneurs
ces hôtes de marque. L’immeuble se vide de ses occupants. Draps
défaits, tasses abandonnées, vêtements jonchant le sol, la lassitude
d’Antonieta, face à ce lamentable spectacle, est immense. Elle se
retrouve seule, attelée à accomplir les tâches de la journée. Seule,
pas tout à fait. La concierge, cerbère omniprésent, veille au grain
et, dans le bloc d’en face, Gabriel, locataire discret, écrit une
dernière adresse sur une enveloppe, un revolver à portée de la main.
La radio, allumée par la concierge, transmet heure par heure l’événement
en direct, les commentaires, les chants et les hymnes hurlant sans
discontinuer.
Roseta, le mainate d’Antonieta, épris de liberté, favorise une rencontre
improbable, celle d’Antonieta et de Gabriel. Ils se reconnaissent
vite un point commun : l’humiliation. Tous deux sont malmenés par
la société mussolinienne. Lui, journaliste à la radio, vient d’être
renvoyé pour un crime impardonnable : son homosexualité. Elle, est
méprisée par un mari, archétype du mâle italien, qui la trompe et
pour comble avec une institutrice, comme s’il voulait lui signifier
encore davantage son ignorance.
Pour Antonieta, une tasse de café, une omelette partagée, la suspension
d’une lampe réparée, une étreinte dont elle n’aurait jamais soupçonné
la volupté et un livre offert, sont les rayons de soleil qui illuminent
cette journée particulière, ô combien volée, dont elle enfouira
profondément dans sa mémoire le souvenir émerveillé. Illusion d’avoir
véritablement existé durant les quelques heures qui s’achèvent dans
le silence, une fois apaisé le vacarme du retour des participants,
ultime moment de répit, le temps de déchiffrer avec peine les premières
phrases du roman, avant de gagner le lit conjugal. Pour Gabriel,
la parenthèse inattendue de ce moment-là se ferme sur son existence
réduite en miettes, lui déjà « mort », avant l’instant fatidique
et tant redouté du départ, en route pour une exclusion définitive
de la société, volonté d’un régime inepte.
Créer sur scène l’œuvre emblématique d’Ettore Scola, le pari est
en grande partie gagné. Si la scénographie use d’artifices bienvenus,
le décor ne démarque pas toujours très bien les différents lieux,
les deux logis et la terrasse où Antonieta et Gabriel se retrouvent,
sous le regard inquisiteur d’une concierge inféodée au régime, excellente
Huguette Hatem. Yannis Baraban force un peu le ton en mari misogyne
et fanfaron. Physiquement parfaits pour les rôles principaux, Corinne
Touzet et Jérôme Anger expriment bien les sentiments divers et contradictoires
qui animent leurs personnages, même si la sensation d’extrême lassitude
qui les a brisés, reste assez peu relevée dans leurs attitudes et
leurs emportements. Le texte, très bien adapté, recrée avec une
profonde acuité la cruauté de l’époque et l’insondable aveuglement
des hommes. Petit Montparnasse 14e.
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