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UNE FAMILLE ORDINAIRE »
Article
publié exclusivement sur Internet
entre les Lettres n° 318 et n° 319
UNE FAMILLE ODINAIRE de José Pliya.
Mise en scène Hans Peter Cloos avec Roland Bertin, Christiane Cohendy,
Bérangère Allaux, Laure Wolf, Mathias Bensa.
Un espace scénique surpeuplé de postes de radio, métaphore visuelle
d'une époque polluée par la propagande. Une adolescente constamment
présente, Véra, y raconte en jeu off, à diverses époques, cette
famille dont elle est issue, dans le retour sur la mémoire des événements
tragiques dont elle a été le très jeune témoin, innocent et peu
conscient, mais douloureux.
En premier lieu, il y a la figure du Père, Oskar. Frustré de combat,
il propulse dans cet engagement désormais hors de sa portée le fils
pour qui il n'éprouve que du mépris. Mais c'est son fils…
Bon à rien, chômeur, handicapé, ce Julius s'engage dans la police
spéciale nazie qui recrute à tout va ces rebuts de société qui se
révéleront sur tous les fronts de redoutables sbires. Futur Boucher
des enfants dans une Pologne lointaine, il s'y montrera exécuteur
des basses œuvres, efficace et sans états d'âme.
Il y a la mère, Elga, prévenante et timorée, qui se réfugie dans
la concoction de cuisines diverses. Mère couveuse, volontairement
aveugle au monstre que son fils est devenu.
La vraie douleur revient à la bru, Dörra, épouse de ce fils qui
la déserte, ne la touche plus, ne la voit même plus. Elle rêve de
jeunesse, de danse, de caresses, de normalité en somme. Si grande
est sa frustration qu'elle s'offre, dans une trouble réciprocité,
à son beau-père cynique mais attendri par ce reste de frémissement
sensuel qu'elle suscite en lui.
Témoin des cauchemars involontairement bavards qui hantent les nuits
de son époux lors de ses permissions loin du front de l'horreur,
elle s'abandonnera à la boisson, dans un définitif mutisme. Tout
est glauque, sombre, terriblement douloureux dans cet univers raconté
par l'adolescente. En contrepoint apparaît sur un écran vidéo de
fond de scène la rumeur de la réalité historique, images d'archives
que l'agrandissement rend floues mais d'autant plus dangereusement
violentes. Tel l'écho d'un monde interdit, la musique de jazz américain
sur laquelle Dörra danse ses désirs déçus résonne comme un ricanement
sardonique.
La grande qualité des acteurs, le dépouillement signifiant de la
mise en espace, contribuent à donner à voir, dans la diversité des
comportements, cette famille ordinaire qui aurait pu être sans histoire,
mais que l'Histoire a rattrapée dans la violence insoutenable de
choix qui viennent définitivement contaminer le quotidien.
Le Théâtre donne une fois de plus sa vraie dimension à une parole
juste et sans complaisance sur la folie meurtrière des hommes ordinaires.
D'autant plus terrifiante qu'elle est au cœur de l'actualité de
toutes les époques. Théâtre de l'Est Parisien 20e. A.D.
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