«
UN MONDE FOU »
Article
publié dans la Lettre n° 274
« UN MONDE FOU » de Becky Mode. Texte
français Attica Guedj et Stephan Meldegg. Mise en scène Stephan
Meldegg assisté de Kim Langner avec Éric Métayer.
Acteur en quête d’un rôle, Sam est entré dans « un monde fou » celui
d’un restaurant, Le restaurant branché et incontournable dont il
est standardiste, en principe en alternance avec son collègue Gérard.
Coincé au téléphone, il jongle entre les appels des clients au bord
de la crise de nerfs à l’idée de ne pas avoir de table et l’interphone
d’où sortent les voix plus ou moins harmonieuses de Walid, le manageur
du restaurant, du chef « vaniteux, irascible et sanguin », de Diego
le cuisinier argentin affecté, entre autres, aux repas du personnel,
de Reginald le maître d’hôtel anglais imbuvable, ou de Stéphanie,
l’hôtesse d’accueil toute timide, qui tous se rappellent de temps
en temps à son bon souvenir, soit pour l’engueuler, soit pour lui
demander un service, soit pour lui faire accomplir des tâches, disons-le,
ingrates. Sam se pend aussi à l’interphone, surtout quand il a faim,
ou au téléphone afin de secouer Gérard, peu pressé de venir le remplacer,
ou de communiquer enfin avec son agent jamais là pour lui, histoire
de voir si le directeur du théâtre Le Marignan, « toujours en quête
de jeunes talents à découvrir», (cela ne s’invente pas !), n’a pas
rappelé pour le convoquer à une seconde audition. Dans son sous-sol,
bien moins reluisant que la salle du restaurant, Sam s’agite, répond,
réserve, place, déplace et fait parfois une boulette car sur les
murs délabrés sont affichés ça et là des écriteaux avec le même
ordre du chef : « Ne pas accepter de réservation de M. Emile Chouquet !
Jamais ! » …
Eric Métayer était l’homme aux huit personnages de la pièce irlandaise
de Marie Jones « Des cailloux plein les poches » (Lettre
217), découverte par Stephan Meldegg et Attica Guedg. Dans «
Un monde fou », il est seul pour trente-deux rôles et vole en
virtuose d'un personnage à l'autre, esquissant ici une silhouette,
là un caractère, prêtant des gestes, des intonations et des accents
différents à chacun, tout en assurant la plupart des bruitages.
Il donne vie en un clin d’œil à Alexis, l’assistant personnel hyper
pro de Naomi H. Campbell, M.Gilles Pudlowski, des guides Pudlowski
qui n'a pas de table, Marianne Calvet, critique gastronomique qui
a éreinté la bouillabaisse du chef et dont la photographe poireaute
depuis neuf heures du matin dans l’entrée, Mme Watanabé, la touriste
japonaise qui connaît les quelques mots nécessaires à la réservation
d’une table mais a oublié d’apprendre les jours de la semaine, «
l’Onctueux » Emile Chouquet, celui dont il ne fallait pas accepter
la réservation, M. Boutine, le mystérieux étranger qui sème des
enveloppes, Dominique Mandolini, le gangster minable etc… Tous se
disputent les tables par Sam interposé pendant que celui-ci, entre
déceptions et humiliations, tente de tout faire pour éviter que
son vieux papa passe Noël seul. Rien n’arrête notre caméléon qui,
grâce à sa rapidité d’exécution et à la justesse de ses imitations,
brosse en deux heures d’horloge, entre rires et émotion, cette série
impressionnante d’hommes et de femmes pour le moins capricieux.
A travers le portrait de Sam, standardiste malgré lui, c’est le
monde sauvage de la grande restauration et des V.I.P que nous dépeint
Becky Mode qui, en son temps, se retrouva elle-même serveuse malgré
un diplôme d’une grande école de théâtre. La performance d’Eric
Métayer est phénoménale. Stephan Meldegg et Attica Guedj, quant
à eux, ont une fois de plus été frappés par le génie de la découverte.
Un coup de chapeau à ces deux grands «collectionneurs de Molières».
Théâtre La Bruyère 9e.
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