UN FIL A LA PATTE

Article publié dans la Lettre n° 321
du 17 janvier 2011


UN FIL À LA PATTE de Georges Feydeau. Mise en scène Jérôme Deschamps avec vingt-six comédiens dont Dominique Constanza, Claude Mathieu, Thierry Hancisse, Florence Viala, Céline Samie, Jérôme Pouly, Guillaume Gallienne, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Gilles David, Christian Hecq, Georgia Scalliet, Pierre Niney, Jérémy Lopez.
Comment se débarrasser de sa maîtresse lorsque l’on signe le jour même son contrat de mariage avec Viviane Duverger, une riche héritière, c’est l’équation à mille inconnues que doit résoudre Bois d’Enghien, amant de Lucette Gautier, chanteuse de café-concert. Que faire sinon attendre le moment propice, afin de ménager la petite personne ? Il va lui falloir bien des ressources. Cacher tout d’abord les nombreux exemplaires du Figaro annonçant son mariage qui, déposés dès la première heure chez Lucette par les visiteurs successifs, poussent comme des champignons. Son domicile ne désemplit pas et Bois d’Enghien se trouve vite dépassé par les événements. Il doit aussi éviter de croiser la Baronne Duverger, venue solliciter les services de Lucette, sous le sceau du plus grand secret, pour la fête qu’elle donne le jour de la signature du contrat, puis enfin se chercher un remplaçant. Bouzin, obscur clerc de notaire et compositeur raté venu proposer ses talents, pourrait peut-être faire l’affaire, ou bien le général Irrigua, amoureux fou de Lucette, et prêt à tout pour la conquérir. Mais le premier, suite à un geste indélicat, se voit congédié lui et sa chanson, tandis que le second, certes fort généreux, a une propension un peu trop dangereuse à vouloir convoquer tout offenseur sur le pré.
Georges Feydeau mis en scène par Jérôme Deschamps, voici un cocktail détonant que les comédiens du Français nous servent avec délectation.
Dans son charmant appartement aux tentures rouges assorties au papier peint et au mobilier contemporain, reflet de son rang, Lucette, incarnée par Florence Viala, excellente en maîtresse comblée, enjôleuse et primesautière, est ravie d’avoir récupéré un amant aux abonnés absents depuis deux semaines. Le pauvre Bois d’Enghien, Hervé Pierre, formidable en amant ayant le couteau sous la gorge, tente de trouver un allié pour rompre sans trop de dégâts. Chenneviette, pique-assiette notoire et ex-compagnon venu réclamer à Lucette la pension de leur enfant commun, finement joué par Guillaume Gallienne, effaré par les confidences de Bois d’Enghien, ne lui est d’aucun secours. Fontanet, charmant garçon qu’il vaut mieux saluer de loin, savoureux Serge Bagdassarian, commet gaffe sur gaffe. Le général est décidément peu fiable. Venu acheter des armes au nom d’un pays hispano-américain dont il a perdu l’argent au jeu, il a la tête complètement tournée par Lucette. Thierry Hancisse lui prête son talent, battant bravement l’air et les planches. Il use avec art d’un accent à couper au couteau et d’un français des plus aléatoires, son personnage étant surpris de le parler si bien dans son pays et si mal en France et courroucé par la prononciation de deux lettres successives pour le moins contrariantes. Dans l’intérieur style Louis XVI très chic de la Baronne Duverger, les affaires de Dubois d’Enghien tournent à la catastrophe lorsqu’il voit que la surprise annoncée pour la soirée n’est autre que Lucette engagée par sa future belle-mère. Celle-ci, Dominique Constanza, étourdissante, virevoltant dans des atours fort seyants (une mention pour les costumes et en particulier pour l’étole), se montre quelque peu déconcertée par le point de vue de sa fille Viviane, craquante Georgia Scalliet, sur le mariage et le choix d’un mari. Elle est dûment chaperonnée par Miss Betting, professeur d’anglais ne parlant pas un mot de français, deuxième rôle en or pour Guillaume Gallienne, grand expert dans le genre!
Le dernier acte sur le palier de l’appartement de Dubois d’Enghien est l’apothéose. Dès les premières scènes, Jérôme Deschamps a particulièrement soigné le personnage de Bouzin, interprété par un Christian Hecq hallucinant. Véritable lutin, tel un personnage de bande dessiné, il accomplit dans cette ultime partie un numéro d’anthologie. L’hilarité générale atteint son paroxysme dans les dernières scènes. De mémoire de spectateur assidu, semblable explosion de rires n’avait pas été entendue depuis bien longtemps dans les murs de cette vénérable maison. M.P. Comédie Française 1er.


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