UN RAPPORT SUR LA BANALITÉ DE L’AMOUR
Article
publié dans la Lettre n° 356
du
17 juin 2013
UN RAPPORT SUR LA BANALITÉ DE L’AMOUR
de Mario Diament. Mise en scène André Nerman avec Maïa Guéritte
et André Nerman.
Dix-neuf ans, jolie, brillante, à la fois timide et volcanique,
Hannah fait irruption, un jour de pluie, dans la vie du Maître,
Martin Heidegger, trente-six ans, marié, père de famille, professeur
fascinant et révéré. Comme une tornade de passion et d’énergie,
Hannah Arendt transgresse tous les codes, elle a l’audace intellectuelle
de remettre en autre perspective la pensée du Professeur concernant
Platon, elle bouleverse de fond en comble l’univers mental et intellectuel
de Martin, qui, séduit et néanmoins frileux, se donne la bonne conscience
du mentor et prétend ne songer qu’au bien de son élève. Mais,
très vite, il se laisse emporter dans le tourbillon, malgré ses
réticences petites-bourgeoises. Surtout ne rien dévoiler de leurs
sentiments, surtout épargner la si légitime et conjugale Elfried,
surtout préserver la carrière universitaire… Hannah, juive peu concernée
jusque là par cette appartenance, pressent le danger monstrueux
qui plane sur l’Allemagne des années trente et s’indigne des choix
de son amant. Le qu’en-dira-t-on, les préjugés antisémites, l’aveuglement
politique sur la menace nazie, contribuent à brosser de Martin Heidegger
un portrait peu flatteur. Si leurs retrouvailles clandestines se
placent presque toujours sous le signe de la jalousie et de la dispute,
il serait difficile, malgré les apparences, de n’y voir qu’une histoire
d’amour ordinaire. L’impossible rupture est là, au cours de décennies
de fidélité, au-delà des divergences rédhibitoires, de l’exil, de
l’indigne allégeance à Hitler, de l’égoïsme geignard de celui pour
lequel Hannah, envers et contre tout et tous, a continué à frémir
de passion. L’amour, mon si cher Martin, je le sais maintenant,
est amoral.
En contrepoint à ces rencontres de feu et de souffrance, quatre
universitaires filmés font le procès des engagements de Heidegger.
Maïa Guéritte se coule avec bonheur dans cette jolie jeune femme
aux yeux de braise, à la parole et l’esprit en constante alerte,
qui découvre, révèle sa vraie nature d’amante passionnée et lucide.
A ses côtés, André Nerman déploie une palette très subtile de comportements,
séduisant et souriant, attendrissant et pusillanime, captif et torturé.
Un très beau moment tout en nuances. Théâtre de la Huchette 5e.
A.D.
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