UN DRÔLE DE PÈRE
Article
publié dans la Lettre n° 344
du
8 octobre 2012
UN DRÔLE DE PÈRE de Bernard Slade.
Adaptation Gérald Sibleyras. Mise en scène Jean-Luc Moreau avec
Michel Leeb, Anne Jacquemin, Philippe Uchan, Manoëlle Gaillard,
Arthur Fenwick, Murielle Huet des Aunay, Camille Solal.
La situation est classique. François Garnier, mari et père irresponsable,
n’a eu d’autre préoccupation dans la vie que le plaisir de rire
de tout. Il va fêter ses cinquante ans et reçoit pour les vacances,
Christophe, son fils unique, qu’il n’a pas vu depuis deux ans. Sérieux
et très intello, le jeune homme est l’antithèse de ce père irrésistible
aux yeux de tout son entourage, à qui il a fait « le merveilleux
cadeau de son amitié », et surtout celui, sans prix, « de le faire
rire ». Christophe dont l’ambition est de passer un master de philo
puis de faire des recherches dans le domaine de l’histoire de
la philosophie présocratique, a décidé de rester une semaine
chez ce père qui l’a longtemps « oublié », avant de s’envoler avec
jubilation vers Oxford, pour un semestre d’été à l’université. Cependant,
François insiste curieusement pour qu’il reste trois mois et poussé
par sa mère, Christophe accepte, renonçant ainsi à son été studieux.
Partager durant trois mois la vie de ce père ahurissant semble être
aussi utopique que de décoincer ce fils si peu réceptif à l’humour,
qui semble avoir avalé un parapluie, s’habille comme Giscard d’Estaing
et dont le livre de chevet est Critique de la raison pure
d’Emmanuel Kant. Mais François a une furieuse envie de rattraper
le temps perdu, Christophe aussi peut-être…
Gérald Sibleyras récrit davantage qu’il adapte le texte de Bernard
Slade. Son sens inné de l’observation lui permet d’élaborer des
dialogues percutants, directement calqués sur notre vie quotidienne
dont il égratigne les petits défauts à travers les mots ou les choses.
« Twiter » a sa préférence, c’est d’actualité ! Mais son regard
sur le téléphone portable et autres gadgets mettent aussi le public
en joie. Des répliques à la Guitry se glissent parfois dans les
dialogues: « Je t’ai connu plus chaleureux », « tu as raison, je
commence à refroidir », n’auraient pas détonné dans une pièce du
grand maître de l’humour noir.
Jean-Luc Moreau laisse libre cours à son imagination, même si la
personnalité de Michel Leeb est difficilement contrôlable. Ce géant
de la scène aux multiples casquettes, très à l’aise dans ce rôle
taillé sur mesure, enchaîne à un rythme frénétique des situations
toutes plus loufoques les unes que les autres. Arthur Fenwick, particulièrement
juste dans le rôle de Christophe, lui tient tête. Son talent parvient
non seulement à donner de la consistance à un personnage étonnant
mais aussi à rester de marbre, imperturbable face aux facéties ininterrompues
d’un partenaire irrésistible, ce qui n’est pas une mince affaire!
Les autres comédiens sont également très bons. Leurs rôles indispensables
temporisent le rythme de cette comédie trépidante où l’émotion perce
entre deux situations délirantes. De l’art de dire les choses graves
avec légèreté ! Théâtre Montparnasse 14e.
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