UN COMPTE RENDU POUR UNE ACADÉMIE

Article publié dans la Lettre n° 354
du 6 mai 2013


UN COMPTE RENDU POUR UNE ACADÉMIE de Franz Kafka. Adaptation et mise en scène Jack Garfein avec Erik Stouvenaker et Hassam Ghancy.
La force intemporelle de certains textes tient à leur évidence sans emphase, même et surtout lorsque leur propos apparaîtrait déroutant. Il en va ainsi de cette extraordinaire aventure que Kafka fait raconter à un homme devant un parterre d’académiciens plutôt sceptiques. Singe il fut dans le passé, enlevé à sa jungle par d’inhumains humains en mal de curiosités de cirque. Comment s’arracher à sa cage d’animal maltraité, sinon en singeant ses tortionnaires rigolards, en apprenant à serrer la main, à boire au-delà de la nausée l’alcool infect ? Avec une perspicacité sans illusion, le primate revêtira les oripeaux de son bourreau et trouvera les armes de sa liberté dans la maîtrise des mots et des codes de civilité. Mais au prix de cicatrices visibles et de blessures inexorablement profondes.
Dans un langage sans faute, au long d’un raisonnement parfait, cet irrémédiable hybride exprime, sans émotion ni vindicte, la duplicité à laquelle le rapt primordial l’a contraint. Est-il enfin homme, a-t-il dépassé le singe ? L’insondable solitude, les fruits et la compagne chimpanzée de ses nuits donnent à entrevoir la fracture sans espoir d’un être définitivement à demi. Témoin en miroir de cette aliénation de soi, le portrait simiesque qui orne le chevalet interdit toute échappatoire, tant à l’orateur qu’à son public. Si les académiciens sont laissés dans l’ombre, nous, spectateurs, sommes renvoyés à nos comportements prétendument civilisateurs. Et ce n’est pas le sourire, timide et maladroit, de l’humain incarné par Hassam Ghancy, dans l’un des deux courts épilogues, qui permettra de se dédouaner de l’ambiguïté essentielle. Erik Stouvenaker déroule la sobriété saisissante de ce récit sans affect apparent, à la fois clairement physique et sourdement torturé. Grâce à lui, Kafka est plus moderne que jamais par sa lucidité acérée sur la superficialité du regard et le rejet de l’Autre. Théâtre des Mathurins 8e. A.D.


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