UN AMOUR QUI NE FINIT PAS
Article
publié dans la Lettre n° 384
du
15 juin 2015
UN AMOUR QUI NE FINIT PAS d’André
Roussin. Mise en scène Michel Fau avec Léa Drucker, Pascale Arbillot,
Pierre Cassignard, Michel Fau, Audrey Langle et la participation
de Philippe Etesse.
Il suffit de croiser dans les rues certains couples au soir de leur
vie. Main dans la main, ils ont le sourire heureux, le regard étonné
de ceux qui ont su préserver l’élan des premiers mois. Jean ne connaît
pas cet amour véritable partagé pour la vie. Séducteur ordinaire,
l’amour signifie pour lui désirer et conquérir, une irrésistible
impulsion, aussi soudaine qu’éphémère, puisque l’objet du désir,
une fois conquis, perd totalement de son attrait. Mariée à Germaine,
il a vite épuisé l’attirance qu’il ressentait pour elle au début
de leur mariage et ses maîtresses ne lui ont apporté qu’un caprice
sans lendemain. Il décide alors égoïstement de vivre « un amour
qui ne finit pas », un amour absolu, une porte ouverte à tous
les rêves et à tous les phantasmes. « L’objet » choisi, se laissant
aimer sans réciprocité, ne peut le décevoir. Après l’avoir observée,
il jette son dévolu sur Juliette, rencontrée lors d’une cure à Divonne.
Manifestement amoureuse de Roger, son époux, elle se laissera sûrement
aimer sans aimer pour autant. La jeune femme est d’abord interloquée
par cet amour platonique que Jean souhaite lui vouer: « Je veux
vivre avec vous ce que je n’ai connu avec aucune femme: un amour
total de ma part. Et sans aucune participation de la vôtre, justement.
Je veux vivre enfin un amour qui ne finisse pas […] Je veux être
« en amour » comme d’autres sont en religion. Et je ne veux pas
vous prendre parce que je veux vous garder ». Mais, inconsciemment
lassée par un amour conjugal routinier, Juliette ne résiste pas
à la vanité d’être choisie, à l’étonnement d’être adorée comme une
« Infante », au plaisir de parcourir les missives enflammées
sans avoir à y répondre. Roger, son mari, indigné par cette intrusion
dans son ménage, la somme de rompre un lien épistolaire qu’il juge
inconvenant. Germaine, quant à elle, observe en épouse avertie les
égarements amoureux de son Jean et les dégâts qu’ils ne vont pas
manquer de provoquer.
Michel Fau replace cette pièce, d’un auteur injustement oublié,
dans les années 60, époque de sa création. La coiffure choucroute
de B.B, les costumes d’inspiration Courrèges et le décor en témoignent.
Bernard Fau crée deux espaces identiques contigus, jouant subtilement,
d’un salon à l’autre, sur deux tons parfaitement inversés. La plume
pétillante d’André Roussin offre une analyse profonde des lois de
l’amour, des grands mouvements du cœur à l’inévitable déception.
Si elle fait songer à Harold Pinter ou Pirandello, elle possède
aussi, lorsqu’il décrit les femmes, une réflexion chère à Sacha
Guitry. Tous les comédiens s’emparent merveilleusement de ce texte
en demi-teinte et c’est un exploit car Michel Fau, inénarrable Jean,
prend une place folle sur scène. Sa mise en scène rigoureuse leur
fait vivre des situations qui se voudraient comiques mais finalement
ne le sont pas, jusqu’à un épilogue désenchanté inattendu. Une création
où rien n’est laissé au hasard. Le public, touché au cœur, ne s’y
trompe pas. MP.P. Théâtre de l’Œuvre 9e.
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