« UBU ROI »

Article publié exclusivement sur Interrnet avec la Lettre n° 316
du 4 octobre 2010


UBU ROI d'Alfred Jarry. Adaptation et mise en scène Stéphane Guérin et Franck Berthier. Avec Jean-Philippe Escoffey, Marie-Christine Letort, Teresa Ovidio, Patrick Palmero et Jean-Pierre Poisson.
Immonde, veule, matamore, fantoche. Sous la coupe d'une épouse à sa mesure, vacharde et perverse, assoiffée de pouvoir, sans vergogne aucune sur les moyens de s'approprier cette couronne si longtemps convoitée.
Là où la Mère Ubu ne lésine pas sur les séductions physiques d'un corps avenant et élégamment mis en valeur, Père Ubu est vêtu, si l'on peut dire, d'un caleçon informe et d'une chemise douteuse qui ne voilent même plus ce gros abdomen blanchâtre. Métaphore de sa boulimie de puissance. Tous s'accordent à dire avec dégoût combien il pue. Au physique comme au moral. Et rien ne palliera le gouffre de sa méchanceté, de sa sottise, de cet appétit sans limite de violence chaotique au service de la soif de l'or. Une pompe à phynances incarnée, doublée d'une terrifiante machine à décerveler.
Mais n'est pas chef qui veut et il ne suffit pas d'assassiner un roi, même dérisoire, pour être apte à en assurer la succession.
Tous les personnages se font une concurrence effrénée dans le champ de l'antipathie et du ridicule, courtisans flagorneurs, monarques bouffis, reine stupide, héritier demeuré mental. L'univers de Shakespeare à la sauce des Marx Brothers. Hamlet et Macbeth sont convoqués à ce festin burlesque de l'horreur, où Folies Bergère et « reality-show » se côtoient pour dénoncer la bêtise démagogique et insondablement cruelle.
A l'initiative de l'intrigue d'Ubu Roi, une farce de chenapans à l'encontre de leur ridicule professeur, Alfred Jarry en construisit, il y a plus d'un siècle, une machine théâtrale à scandale, qui fit rugir le public choqué par le célèbre merdre et autres grossièretés du Père Ubu.
Cette dénonciation de la médiocrité assassine de la bien-pensance est-elle frappée de désuétude ? Bien au contraire, par leur adaptation et la mise en scène, Stéphane Guérin et Franck Berthier nous en démontrent l'actualité intemporelle. Les acteurs sont remarquables de souplesse et de diversité, Jean-Philippe Escoffey en Ubu répugnant, Marie-Christine Letort avide et vipérine, Teresa Ovidio et ses jambes de girl de revue, Patrick Palmero et Jean-Pierre Poisson efficacement polymorphes. Dans un univers entièrement blanc, décors, costumes, plumes angéliques si antinomiques de la lourdeur de ces monstres ordinaires, tout nous aspire dans un souffle de noirceur. Et le rire démoniaque des sorcières de Macbeth s'entremêle, grinçant et prophétique, aux cris absurdes et cruels d'un tyran au petit pied dont le spectacle de n'importe quelle actualité contemporaine nous menace. VingtièmeThéâtre 20e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction