UBU ROI

Article publié dans la Lettre n° 300


UBU ROI d’Alfred Jarry. Mise en scène Jean-Pierre Vincent avec 14 comédiens dont Martine Chevallier, Anne Kessler, Michel Robin, Christian Blanc, Christian Gonon, Nicolas Lormeau, Grégory Gadebois, Pierre-Louis Calixte, Serge Bagdassarian, Benjamin Jungers, Gilles David.
Dans une Pologne de pacotille, c’est-à-dire « nulle part », Mère Ubu presse père Ubu « le vautour » de renverser le roi Venceslas : « Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de t’installer à sa place sur le trône ? ». Le refus est indigné mais l’idée fait son chemin. Après avoir convié ses partisans à dîner, Ubu garde le capitaine Bordure et lui demande de faire tuer Venceslas, en lui faisant miroiter le grade de duc de Lituanie. Au palais, le roi Venceslas, loin d’imaginer ce qui se trame, accueille père Ubu et le fait comte. Mais la conspiration prend forme. A la suite d’un rêve prémonitoire, la reine met le roi en garde, mais il est assassiné, de même que ses deux fils Boleslas et Ladislas. La reine, poursuivie, est tuée elle aussi. Reste le fils cadet Bougrelas. Il a quatorze ans et « une vengeance terrible à poursuivre ». Voici Ubu roi. Mère Ubu exulte mais pas longtemps car il gouverne en tiran. Plus question d’offrir son duché au capitaine Bordure. Sa femme l’exhorte à plus de prudence, alléguant que Bougrelas, malgré son jeune âge, est dangereux car « il a le bon droit ». Mais Ubu fait fi de ses conseils. Il compte bien s’enrichir, refait les lois, lève des impôts, à la grande indignation des nobles, des magistrats et des financiers qu’il a tôt fait de massacrer puis bat lui-même la campagne pour recueillir les impôts auprès des paysans. Ce ne sont que massacres et incendies. La révolte gronde. Il fait arrêter et torturer Bougrelas qui parvient à quitter la Pologne et à se rendre en Russie demander de l’aide au Czar afin de rétablir le jeune Bougrelas sur le trône. Ubu, prévenu par lettre, se prépare à l’attaque, laisse la régence à mère Ubu sous la protection de son fidèle Giron. Mais celle-ci est décidée à s’approprier le trésor. Giron tué, elle s’enfuit vers la Lituanie. Pour Ubu, c’est la guerre, la débandade et la fuite durant laquelle il retrouve sa femme. Le jeune prince est rétabli. Ubu embarque alors sur un bateau, destination Paris, où il rêve de se faire « nommer Maître des Finances ».
Difficile de mettre en scène Ubu roi sans tomber dans la caricature grotesque. Mâtiné d’autres scènes du cycle, l’oeuvre est aussi provocante dans son texte et ses chansons que délirante par la multiplicité des lieux et des actions. Alfred Jarry était encore adolescent et déjà subversif lorsqu’il imagina son héros à partir de Monsieur Hébert, son prof de physique, surnommé entre autres le père Heb avant d’être immortalisé sous le nom d’Ubu. L’auteur élabora un texte de potache qui finit par devenir une pièce dont la création en 1896 provoqua un énorme scandale ce qui, loin de lui déplaire, lui permit de s’imposer.
Sur scène et sous les traits de Christian Gonant, narrateur hors pair, Alfred Jarry accompagné de son inséparable bicyclette, commente cette parodie du drame historique plus que jamais d’actualité, les Hitler de l’époque étant les autocrates-bouchers d’aujourd’hui. Le plateau presque nu permet à Jean-Pierre Vincent une liberté dont il se sert avec un art consommé. Une table apportée à la hâte suggère le dîner, un tapis rouge déroulé sous le pas du roi et nous voici au palais, une maquette de ferme représente le logis incendié des paysans, une photo du Kremlin, la résidence du Czar. On suit les péripéties comme à guignol, complètement bluffés par les comédiens affublés selon leur appartenance, la plupart interprétant plusieurs rôles. Les costumes jouent ici un rôle prépondérant, chacun revêtant l’attribut de son personnage. C’est ainsi que les conspirateurs, vêtus de pantalons à bretelles et coiffés de bérets, n’ont rien à envier à des collabos tristement célèbres. Les nobles portent habits et perruques du XVIII ème, les juges revêtent la robe de leur fonction, les financiers, quant à eux, arborent des costumes cravates, le téléphone portable à l’oreille ! Doué d’une imagination débordante, Jean-Pierre Vincent mène tout ce petit monde virevoltant d’un trait, sans reprendre souffle. Les comédiens sont géniaux. L’imposante corpulence de Serge Bagdassarian, Père Ubu truculent, contraste de façon désopilante avec celle toute menue d’Anne Kessler, Mère Ubu inénarrable, vêtue d’un ensemble rouge criard ahurissant, harpie flamboyante ne se séparant jamais de ses sacs en plastique débordants ! Gilles David passe avec un extraordinaire talent du rôle du Capitaine Bordure, à ceux de noble, magistrat, financier, finissant dans un superbe costume d’ours. On s’ébaudit, on rit, on s’enthousiasme, en un mot on admire la performance ! Comédie Française 1er.


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