TRAVERSEE
DE PARIS
Article
publié dans la Lettre n° 304
« TRAVERSÉE DE PARIS » d’après Marcel
Aymé. Adapté, mis en scène et interprété par Francis Huster.
Durant l’occupation, Marcel Aymé ne resta pas silencieux. Lorsque
l’étoile jaune fit son apparition sur la poitrine des juifs, il
exprima son indignation par un article d’une grande violence contre
les instigateurs de cette mesure humiliante. Interdit par la censure,
celui-ci ne parut jamais autrement que distribué sous le manteau.
Il écrivit aussi deux textes où il dénonçait le régime de Vichy,
les actes commis par la gestapo, les collaborateurs et la police
française ainsi que les horreurs des camps d’extermination. Sa nouvelle,
Traversée de Paris, et son roman, Le Chemin des écoliers,
où il décrit la réalité vécue durant ces années, parurent à la fin
de la guerre. Son témoignage rejoignait alors celui d’Albert Camus,
pied noir d’Oran qui, lui, publiait La Peste, métaphore du
nazisme et plaidoyer contre la haine, le racisme et la lâcheté.
Adaptés au cinéma par Claude Autant-Lara en 1956 et Michel Boirond
en 1959, les deux films, La Traversée de Paris et Le Chemin
des écoliers, versions expurgés des deux œuvres, furent ressentis
comme une trahison pour beaucoup, trahison que Jean-Louis Barrault
souhaitait réparer. Mais il fallut attendre 50 ans, le temps, pour
les droits, de s’éteindre.
Tout ceci Francis Huster l’explique dès 18h45, avec autant de clarté
que de passion. Ce préambule est indispensable pour comprendre son
cheminement et l’ampleur de la tâche entreprise. Après son inoubliable
adaptation de La Peste en 1990 (Lettre 29) où il se
mettait seul en scène, le metteur en scène-comédien a renouvelé
le genre à plusieurs reprises avec Putzi en 1991 (Lettre
52) ou Waterloo en 2008 (site Internet), ce dernier
spectacle en étant l’éblouissant et dernier exemple. Il s’attaque
aujourd’hui aux deux œuvres de Marcel Aymé et se plonge dans l’adaptation
des dialogues d’un écrivain qui était aussi un auteur dramatique
et dialoguiste hors pair. Clérambard, La Tête des autres,
Uranus, pour ne citer que ces œuvres, en font foi...
Jean-Louis Barrault voulait le mot qui remplacerait le geste,
que le spectateur imagine lui-même les personnages. Francis Huster,
passé maître dans cet art, séduit par ces dialogues d’une lucidité
et vérité extrêmes, endosse tous les rôles et replace les personnages
dans chacune des scènes: les bars, les caves, les rues, l’atelier
de Grandgil, sans oublier de suggérer l’obscurité, le froid, la
peur et même l’odeur du sang répandu. Une douzaine de personnages
suggérés dans une succession rapide de situations, 15 204 mots (d'après
Francis Huster) dits par un seul homme en une heure et quart de
spectacle, le temps de prouver que n’importe qui peut devenir un
héros ou un salaud, selon les aléas de la vie, cela même que le
« môme courage », surnom donné à Marcel Aymé, voulut transmettre
à travers ces deux œuvres.
Profondément habité par chacun des personnages, Francis Huster se
fond dans tous, passant de l’un à l’autre en un clin d’œil, changeant
pour cela d’attitude ou d’intonation. Il est Martin, Grandgil, Jambier,
le cafetier et tous les autres, trinquant, rigolant, se querellant,
gueulant, menaçant, parlementant ou crevant de peur, traversant
la capitale occupée entre deux alertes, évitant les contrôles dans
la nuit glacée, parcourant les huit kilomètres, valises insoulevables
en mains, bourrées de quatorze quartiers de viande. Doté de ce naturel
confondant qui a fait sa réputation, Francis Huster, phénomène inclassable,
emporte dans son récit un public suspendu à ses lèvres, et sidère
une fois encore. Bouffes Parisiens 2e.
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