TRAHISONS
Article
publié dans la Lettre n° 371
du
22 septembre 2014
TRAHISONS de Harold Pinter. Texte
français de Éric Kahane. Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia avec
Denis Podalydès, Laurent Stocker, Christian Gonon, Léonie Simaga.
Deux amants se retrouvent dans un café, longtemps après leur séparation.
La conversation, convenue, s’amorce péniblement dans ce lieu souvent
fréquenté autrefois comme si, au fond, ils n’avaient plus rien à
se dire. Jerry est indifférent, assez pressé semble-t-il de clore
cette brève rencontre. Emma est plus attentionnée. Peut-être souhaite-t-elle
lui parler de la rupture probable de son couple. Elle tente de prendre
dans la sienne une main qui lui échappe. De scène en scène, Jerry,
Emma et Robert, le mari de celle-ci, vont remonter le fil du temps
jusqu’au moment où Emma et Jerry ont scellé le début de leur liaison.
Emma a deux enfants. Jerry, lui aussi marié et père de deux enfants,
était le témoin de Robert à leur mariage. Une amitié indéfectible
lie les deux hommes.
En s’engageant dans le chemin inverse, de la mort d’une liaison
secrète à sa naissance, Harold Pinter évite la narration rebattue
du trio mari, femme et amant. Il réalise un examen clinique à rebours
des sentiments éprouvés par les différents protagonistes, laissant
dans l’ombre Judith, l’épouse de Jerry. La peinture qu’il brosse
des trois personnages est, elle, assez traditionnelle. L’homme ne
cherche que l’accomplissement d’un coup de foudre, plaisir fugace,
trompant son épouse sans états d’âme, bien installé dans son petit
confort. La femme, en revanche, en quête d’un bonheur inaccessible,
est prête à rompre une union pour en vivre une autre. Du printemps
1977 à l’hiver 1968, les amours clandestines semblent cachées aux
yeux des autres mais les relations entre les amants et leur conjoint
respectif ou l’ami de toujours se sont distendues. Chacun les vit
en fonction des aveux, des mensonges et des silences. Emma avoue
à Robert sa liaison avec Jerry bien avant que celui-ci n’apprenne
que son ami sait. Sa gêne est aussi pénible que la découverte pour
Robert de la trahison d’Emma.
Frédéric Bélier-Garcia et son équipe ont neuf scènes à élaborer,
autant de décors qui s’échelonnent, meubles que l’on escamote pour
laisser rapidement la place, parois qui glissent sans bruit, sans
l’esbroufe de vidéos envahissantes, laissant apparaître quelques
faisceaux d’une lumière verticale, enfermant la fin des scènes dans
un petit rectangle, comme un effet d’iris au cinéma, alors que s’égrène
en fond sonore un choix musical éclectique. L’ingéniosité dont ils
font preuve met en lumière l’implicite du texte, dialogues en apparence
anodins, échangés par quatre comédiens en osmose totale, qui s’achèvent
avec le premier regard échangé, enivrantes prémices d’une histoire
qui dans l’ordre chronologique des faits eut été tellement banale.
Théâtre du Vieux-Colombier 6e.
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