LE TEMPS EST UN SONGE

Article publié dans la Lettre n° 279


LE TEMPS EST UN SONGE de Henri- René Lenormand. Mise en scène Jean-Louis Benoit avec Richard Mitou, Océane Mozas, Valérie Keruzoré, Karen Rencurel, Jim-Adhi Limas.
Une pièce de Henri-René Lenormand à l’affiche est un événement. De ces événements exceptionnels comme la découverte d’un incunable à la B.N. Cet auteur qui connut la gloire et le succès, la reconnaissance de ses pairs entre les deux guerres, est tombé dans l’oubli, voire dans les oubliettes des maisons d’édition. En 1995, Jean-Louis Benoit monte « Les Ratés » de cet auteur mis au purgatoire de la mémoire qu’il découvrit chez un bouquiniste. Celui qui fut le compagnon des Pitoëff, trouve en Jean-Louis Benoit le « ressusciteur » de son œuvre.
Le Temps est un songe est une pièce singulière. Montée en 1919 par Pitoëff, elle séduisit un public enthousiaste. La pièce se déroule en Hollane en 1910. Riemke, une jeune femme, attend le retour des colonies de son frère. Leurs parents vivent là-bas. Elle habite dans leur grande maison au bord d’un étang, au milieu d’un parc avec de grands arbres. Riemke est agacée par la fébrilité de la vieille domestique, impatiente de revoir le jeune maître, Monsieur Nico. Romée Crémers, la fiancée de Nico arrive bouleversée chez son amie Riemke. Elle a vu sur la berge de l’étang un homme qui se noyait. Elle ne sait pas si elle a eu une hallucination due au brouillard ou si elle a rêvé cette vision angoissante. Mais sa description des lieux ne correspond pas au présent : les roseaux sont hauts, il n’a pas de barque. Nico arrive. Romée ne l’a pas vu depuis longtemps. La joie se mêle au malaise. Il ressemble désormais au noyé. Il est l’homme qu’elle a vu. Rêve, cauchemar, hallucination ou vision…
Henri-René Lenormand a mis beaucoup de lui dans cette pièce, ses voyages lointains, sa propre femme hollandaise, et sa découverte de l’œuvre de Freud. La pièce commence comme une nouvelle de Somerset Maughan. On glisse dans un univers proche de Stringberg et on débouche sur un théâtre des ténèbres, une tragédie où les personnages ne peuvent échapper à leur destin. Jean-Louis Benoit signe une mise en scène d’une grande beauté. Le décor de Jean Hass est un salon des années 20. Un canapé, une table basse nous mettent dans le cadre feutré d’une grande maison bourgeoise. Les costumes de Marie Sartroux respectent l’époque, la vieille domestique est vêtue à l’ancienne mode pour accentuer son appartenance antique à la maison. Les murs sont de grands panneaux qui servent d’écran à un habile jeu de miroir et de projection vidéo décalée, faisant apparaître la persistance rétinienne de l’instant perdu. Jeu de reflet, effet de brouillard, climat pesant, l’annonce d’une tragédie annoncée. Dans cette mise en scène racée et épurée, qui se joue du temps, le spectateur est happé, fasciné. Le spectacle, créé à Sceaux, est suivi d’une importante tournée dans toute la France. Espérons qu’un éditeur aura la curiosité de fouiller dans son catalogue et d’exhumer l’œuvre de Henri- René Lenormand. Les Gémeaux, Sceaux 92.


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