LES
TEMPS DIFFICILES
Article
publié dans la Lettre n° 263
LES TEMPS DIFFICILES d’Edouard Bourdet.
Mise en scène Jean-Claude Berutti avec Catherine Ferran, Dominique
Constanza ou Claire Vernet, Catherine Sauval, Bruno Raffaelli, Alain
Lenglet, Pierre Vial, Guillaume Gallienne, Christian Cloarec, Madeleine
Marion, Denis Leger-Milhau, Valérie Bauchau et Flora Brunier, Pio
Marmaï.
Dans le jardin d’une propriété lovée dans un domaine de dix-huit
hectares, Madame Faure, la mère et héritière de la maison Antonin
Faure, Charlotte, la femme de son fils Jérôme et Loulou, la femme
de son petit-fils Maxime, bavardent. Nous sommes dans une famille
de bourgeois de province habitués à « faire » de l’argent depuis
des générations. Les hommes travaillent pendant que les femmes restent
à la maison à élever les enfants, habituées à seconder leur mari,
à fermer les yeux sur leurs incartades et à préserver le patrimoine
par une gestion domestique avisée. Ils ne sont pourtant pas à l’abri.
La crise de 1929 les touche de plein fouet. Jérôme, le patron de
la maison, doit tenter une transaction auprès des «lyonnais», un
groupe prêt à mettre l’argent nécessaire à alimenter les comptes
pour pouvoir terminer l’exercice en cours. Il supporte seul le poids
de l’affaire familiale et de la famille. Son frère Marcel a été
banni de la famille il y a vingt ans pour avoir épousé une actrice
dont il a eu deux enfants. Armand, son beau-frère médecin, a consenti
à épouser sa soeur Lucie, pas tout à fait normale, en échange du
financement d’une clinique, à la fois laboratoire de recherche et
dispensaire pour les ouvriers, qui coûte les yeux de la tête. Son
fils Maxime fuit les humeurs de sa femme enceinte et dépressive
dans les bras onéreux d’une maîtresse. La transaction semble être
en bonne voie mais Jérôme craint que les lyonnais rachètent les
actions de Marcel ce qui les rendrait majoritaires. Avec l’accord
de la famille et son amour propre dans la poche, il fait donc le
voyage à Bois-Colombes où vit Marcel: « La dignité est une chose,
les affaires en sont une autre ». Il espère ramener son frère dans
le cocon familial en lui offrant un siège au conseil d’administration
et pourquoi pas l’inviter à passer les vacances d’été dans la propriété.
Peintre sans talent, Marcel est un pur. L’argent ne l’a jamais intéressé.
Son seul horizon est sa famille, sa femme Suzanne qu’il adore, Jean-Pierre
son fils décorateur de cinéma et Anne-Marie, une beauté de dix-huit
ans, championne de natation. Dans la gêne et suivant l’avis de Suzy
qui le mène par le bout du nez, il accepte d’aller passer l’été
dans cette famille qui l’a rejeté autrefois. Si la grand-mère est
ravie de connaître enfin la petite-fille dont elle a été privée,
le reste de la famille reste sur la réserve. Entre temps, le pire
arrive. Les « lyonnais » se désistent. Jérôme va devoir déposer
le bilan s’il ne trouve pas rapidement une solution. Elle survient
en la personne de Mélanie Laroche, une amie richissime, dont le
fils Bob, vraiment très attardé, vient de tomber amoureux d’Anne-Marie.
Il souhaiterait l’épouser. Reste à savoir si celle-ci, telle Iphigénie,
acceptera de se sacrifier au nom de la famille …et de l’argent.
Oublié des metteurs en scène, Edouard Bourdet (1887-1945), écrivit
cette pièce en 1934, à la manière d'Octave Mirbeau, très représentative
de son époque, tirée au cordeau et d’une extrême limpidité. Il trace
en quatre actes et d’une plume impitoyable le portrait de cette
grande bourgeoisie industrielle pour qui « les bourgeois ne sont
là que pour gagner de l’argent et être avares », menant vers le
drame final cette famille assez machiavélique pour se sortir du
pétrin coûte que coûte et rebondir à chaque coup du sort. Son écriture
mordante et précise brosse des personnages bien noirs excepté Marcel
et Bob, les deux désintéressés de la bande. La distribution est
parfaitement pensée. Un spectacle de trois heures, mené par une
mise en scène d’une formidable efficacité, dans un décor très étudié
et orchestré par treize comédiens éblouissants. Une rareté par les
temps qui courent. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.
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