TA BOUCHE

Article publié dans la Lettre n° 235

TA BOUCHE de Maurice Yvain. Direction musicale Benjamin Lévy. Mise en scène Stéphan Druet avec Emmanuelle Goizé, Muriel Souty, Sébastien Lemoine, Gilles Bugeaud, Loïc Boissier.
Truc-sur-mer est une station balnéaire à la mode. Moins courue que Deauville, elle est cependant une annexe bien parisienne. Les maillots de bain remplacent les tailleurs et les manteaux. Le ton est plus léger. L’air marin favorise les idylles. Bastien est très amoureux d’Eva. Bastien est le fils du Comte de Pas de Vis, Eva de la Comtesse. Les parents, enivrés par les embruns, se laissent aller à la romance. Mais le Comte est ruiné et la Comtesse n’est qu’une roturière. Bastien et Eva s’aiment mais subissent le diktat de leurs parents: pas de dot, pas de mariage. Ils se retrouveront un an plus tard à Pouic-les-flots et l’histoire se finira (bien) à Fric-les-bains. Tout un programme!
Depuis trois ans, la Compagnie Les Brigands joue les Père Noël à l’Athénée en nous régalant de productions musicales pimpantes et enlevées. Après Geneviève de Brabant et Le Docteur Ox, deux oeuvres méconnues d’Offenbach, Ta Bouche nous affole de ses baisers longs et de ses rires. Le compositeur Maurice Yvain a conquis les écrans l’année dernière grâce à la caméra d’Alain Resnais qui a réalisé une adaptation de Pas sur la bouche des plus réussies. Le temps est venu de redécouvrir un répertoire charmant. Maurice Yvain était un musicien à succès: Là-Haut, Le Corsaire Noir et Ta Bouche remportèrent un vif succès. Les mélodies sont agréables à fredonner, pleines d’une allégresse frivole. Maurice Yvain créa ses musiques en donnant un coup de neuf au genre, incluant des rythmes à la mode. Yves Mirande assure des dialogues drôles et Albert Willemetz des lyrics qui s’implantent bien dans nos mémoires. De nos jours, ce dernier est un inconnu célèbre, nous connaissons ses chansons, entre autres Mon homme.
Yvain et Willemetz font partie de notre mémoire musicale. Ils ont créé des chansons que nous chantons de génération et génération: Stephan Druet a joué la carte de la reconstitution d’époque décalée, truffant sa mise en scène de clins d’oeil et de gags. La distribution est parfaite, nous retrouvons avec plaisir Emmanuelle Goizé, Eva aussi séduisante que talentueuse. N’oublions pas que ce répertoire apparemment facile, est difficile à chanter. Gilles Bugeaud est un Comte du Pas de Vis formidable d’invention comique. Baryton remarquable, il se livre à un numéro de séducteur mémorable. La recette de la Compagnie Les Brigands est là, la qualité et le talent. Les chanteurs sont tous d’excellents comédiens. Eh oui, n’en déplaise à certains, l’opérette est l’ancêtre de la comédie musicale. Il serait hautement profitable aux pseudo créateurs de ces avatars musicaux d’aller faire un tour au théâtre de l’Athénée, ils verraient un vrai spectacle, chanté par de vrais chanteurs avec un orchestre et non pas une bande son. L’orchestre est dirigé de main de maître par Benjamin Lévy. Ce jeune chef d’orchestre vit sa partition et donne un entrain endiablé à sa formation, soutenant les chanteurs qui chantent sans micro, sans oreillette, sans ampli. Le fait est suffisamment rare pour qu’il soit signalé et, croyez-moi, de l’orchestre au deuxième balcon, on les entend. Ah, quelle belle soirée, délicieuse, charmante, on en redemande! Athénée Théâtre Louis Jouvet 9e (01.53.05.19.19) jusqu’au 8 janvier 2005.

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