SUR LE CHEMIN D'ANTIGONE

Article publié exclusivement sur Interrnet avec la Lettre n° 363
du 20 janvier 2014


SUR LE CHEMIN D'ANTIGONE d'après Sophocle. Adaptation et écriture Philippe Car et Valérie Bournet. Mise en scène Philippe Car avec Valérie Bournet, Lucie Botiveau, Marie Favereau.
Qui a dit que la tragédie devait se jouer dans le sombre et le triste ? Dans un ciel aussi bleu et mousseux qu'un tableau de Magritte, un clown, Séraphin, et deux anges aux noms prédestinés, Eros et Gabriel, s'apprêtent à conter l'histoire d'Antigone, cette toute petite jeune fille qui se contente jusqu'à la mort de dire non à la tyrannie de son oncle Créon, cet ennemi qui nous vole notre énergie. Se contente ? oui, car si le bonheur, c'est quand on est d'accord avec la vie, pourquoi n'en serait-il pas de même quand on est d'accord avec sa mort ? Antigone ne lutte pas, elle résiste, au bon sens frileux de sa sœur Ismène, à l'amour rassurant et inquiet de son fiancé Hémon, à l'évidence assassine du pouvoir qui ne saurait tolérer la désobéissance, même quand celle-ci a raison. A la tragédie de Sophocle, qu'on se figure trop souvent en parole hiératique, Valérie Bournet et Philippe Car redonnent vie, couleur, mime, pantomime, ironie et heureuse trivialité. Aucune trahison, bien au contraire, mais une fidélité profonde à l'esprit de subversion qui anime le théâtre de tout temps. Un héros protagoniste qui joue tous les rôles, un chœur qui commente, tel est le principe même de la tragédie antique. Valérie Bournet, époustouflante de variété et d'émotion, sera donc Séraphin le conteur, Antigone, Créon. Et elle prêtera sa voix à Hémon, étonnant porte-manteau si vivant dans l'enlacement comme dans le tango ou la fureur. Les deux acolytes, aux ailes en accordéon, aux mains volatiles, donnent corps musical et réplique dédoublée, dans un univers fantasmagorique où les affrontements d'idées, sous-tendus par une gestuelle de comique de cinéma muet, s'épurent inexorablement en inversion de couronne et valse de nez.
Et Créon, dictateur falot, enfin lucide sur l'inanité de ses diktats, s'éloignera, à jamais prisonnier de son trône inepte. Et la petite Antigone s'amenuisera jusqu'à la marionnette dans la cage de son supplice, sur fond d'ailes gigantesques dans la pourpre de l'oppression et du sang.
Comment ne pas pleurer de tristesse, d'émotion, de tendresse et de dérision, et surtout d'admiration devant cette reviviscence magnifique d'un mythe intemporel ? En disant oui à ce théâtre de la vie, même quand il parle de mort, parce qu'il nous hausse à la plus noble résistance qui est celle du rêve partagé. A.D. Théâtre 13 / Seine 13e.


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