SONATE D’AUTOMNE
Article
publié dans la Lettre n° 362
du
30 décembre 2013
SONATE D’AUTOMNE de Ingmar Bergman.
Adaptation Marie Deshaires. Mise en scène Marie-Louise Bischofberger
avec Françoise Fabian, Rachida Brakni, Éric Caruso et Olivier Dejours
(pianiste).
Lorsque Victor lui avait demandé sa main, Eva avait joué franc jeu.
Elle avait répondu «qu’elle n’avait jamais aimé personne, qu’elle
était incapable d’aimer ». Mais ils se sont mariés et installés
dans le presbytère du village jouxtant l’église, où Victor officie
comme pasteur. Et puis Erik est né et sa naissance a transformé
Eva. Ce fut un bonheur inespéré pour Victor, qui aime sa femme «
sans réserve ». Mais la perte tragique de leur enfant, l’a de nouveau
plongée dans une infinie tristesse.
Inquiète et fébrile, Eva attend l’arrivée de sa mère qu’elle a invitée,
la sachant de passage à Paris. Pianiste concertiste, Charlotte vient
de perdre son second mari, un peu de réconfort lui fera du bien.
Après une séparation de sept ans, mère et fille semblent ravies
de se revoir même si Eva annonce la venue d’Helena. L’idée de revoir
sa deuxième fille, affligée d’un lourd handicap, ne l’enchante guère.
A part les quelques années où elle avait mis sa vie professionnelle
entre parenthèses pour, selon elle, rester auprès de son mari et
élever ses filles, Charlotte a voué sa vie à son art. Aujourd’hui,
elle pourrait résumer son univers ainsi: «Mes biscuits, mon eau
minérale, ma musique, mes bouquins, mes gouttes…». Les retrouvailles
se passent sans heurt, Eva se met en quatre pour satisfaire le moindre
désir maternel. Mais un mot par-ci, une réflexion par-là font craquer
le verni poli de leurs relations et le face à face glisse peu à
peu vers le règlement de comptes, sous le regard extérieur et impuissant
de Victor. Eva se croyait adulte. Elle pensait avoir surmonté les
traumatismes de son enfance et une douloureuse expérience dans sa
prime jeunesse dont elle rend Charlotte responsable, mais elle n’a
pas refermé la porte sur ces années vides de tendresse, elle n’a
pas pardonné à cette mère inaccessible, « aimable mais absente ».
Ingmar Bergman, a écrit le scénario du film en quelques semaines.
L’auteur, fin connaisseur de l’âme féminine, explore avec force
ce « déballage » entre mère et fille. Charlotte se défend, explique
avoir été elle-même victime d’un vide affectif. Peut-on être une
mère aimante quand on a été soi-même sevrée d’amour ? Eva se disait
incapable d’aimer mais sa maternité lui a révélé le contraire, même
si ce sentiment fut très vite balayé par la mort de son fils.
Françoise Fabian et Rachida Brakni restituent avec virtuosité la
complexité de ces rapports, entre amour et haine, attirance et rejet.
En abordant leur rôle avec naturel, elles gomment leur propre personnalité
pour se fondre dans celle de Charlotte et d’Eva. Éric Caruso, remarquable
Victor, règle ses pas sur ceux des deux comédiennes et leur fait
la part belle.
La brillante adaptation, dont l’action se situe en France, décrit
un univers proche et familier auquel on accède volontiers. La mise
en scène épurée sert magnifiquement ce face à face cruel et douloureux.
En pleine lumière ou dans l’ombre, les deux comédiennes modulent
savamment leur interprétation comme l’exécuterait un pianiste en
rythmant les mouvements d’une sonate. Théâtre de l’Œuvre 9e.
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