LES SERMENTS INDISCRETS
Article
publié dans la Lettre n° 325
du
11 avril 2011
LES SERMENTS INDISCRETS de Marivaux.
Mise en scène Anne-Marie Lazarini avec Jacques Bondoux, Cédric Colas,
Frédérique Lazarini, Isabelle Mentré, Julie Pouillon, Dimitri Radochévitch,
Arnaud Simon.
Marivaux, ou le regard en scalpel sur les méandres de l’âme humaine.
Ces Serments indiscrets sont un texte sublime de finesse et d’intelligence.
L’auteur y dissèque, sans condescendance mais avec une tendresse
lucide, tout ce qui tient à l’aveuglement volontaire de l’amour,
à l’impossibilité timorée de l’aveu, à la souffrance des entêtements
pleins d’orgueil. Et aussi aux rapports biaisés par le pouvoir et
à leur ambiguïté vindicative.
Parce qu’elle a clamé haut et fort son aversion, inconsidérée parce
que désincarnée, pour le mariage, Lucile s’enferre dans le refus
de ce Damis que son père lui destine affectueusement et qu’elle
a pourtant reconnu et apprécié dès l’abord. Les deux pères sont
favorables, rien ne s’oppose à ce mariage. Pourquoi faire simple
quand on peut compliquer les choses jusqu’à un recul absurde qui
ne serait que ridicule s’il ne provoquait pas une telle douleur
? Douleur et incompréhension de l’entourage, pères désorientés qui
tiennent avant tout à sceller matrimonialement leur amitié de toujours,
sœur finaude qui, malgré les rebuffades dont elle fait l’objet,
se prêtera de bonne grâce à une ruse affectueuse à l’égard de sa
sœur aînée. Sans compter la jalousie absurde des amants qui creusent
eux-mêmes le gouffre de leur souffrance, mais ne supporteraient
pas l’éventuelle sérénité des autres. On n’est jamais loin de la
querelle et de la rupture, même si le dévoilement final paraît évident.
S’y ajoutent le discours de la mauvaise foi et les velléités de
pouvoir des valets. Ah, le méchant rôle qu’ils jouent là, Frontin
et Lisette, jaloux de l’influence qu’ils prétendent exercer sur
leurs maîtres respectifs, quitte à perturber la quiétude de tout
le monde ! Acculés au revirement devant l’insuccès de leur perversité,
ils tireront sans grand scrupule les ficelles du langage, en sens
inverse. Jusqu’à nous faire douter de la sincérité de leur amour
proclamé.
On est loin ici de l’habituelle bonhomie souriante et pleine de
bon sens des valets. Le rire se fait plus grinçant et le tragique
menace à chaque scène. Preuve, si besoin en était, de l’intemporelle
modernité de Marivaux.
La mise en scène, originale et inventive, dépouille le plateau d’un
intimisme convenu pour éclairer le sens de ce texte si dense tout
en contrastes. A l’aune des amours fulgurantes mais tenues sous
le boisseau, les pierres qui parsèment cet univers tout en blanc
ne s’illuminent que dans l’obscurité qu’elles éclairent d’un jour
factice, en opposition au rouge flamboyant de l’épinette dont nul
ne joue, mais qui évoque l’harmonie possible des cœurs. Les pères,
dans un duo gentiment Dupont-Dupond, donnent seuls l’illusion affectueuse
de la cohésion amicale. Les rôles féminins sont traversés de troubles
et de violence à peine contenue, Damis et Frontin en apparaissent
presque falots dans leur soumission et leur indécision. Dans cette
lecture intelligente et subtile de la pièce entre légèreté et obscurité,
l’heure n’est plus à la moquerie espiègle ou au roucoulement attendrissant.
Si les serments y sont indiscrets c’est-à-dire prononcés sans réflexion,
le regard de Marivaux, quant à lui, est plus que jamais empreint
d’un profond discernement. Théâtre Artistic Athévains 11e.
A.D.
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