SEJOUR POUR HUIT A TADECIA

Article publié dans la Lettre n° 222


SÉJOUR POUR HUIT A TADÉCIA de Luc Girerd. Mise en scène Gildas Bourdet avec Alexandre Aubry, Nathalie Blanc, Benjamin Boyer, Bruno Debrandt, Julie Delarme, François Dunoyer, Sylviane Goudal, Philippe Séjourné.
Quelque part, sans doute dans les Balkans, la guerre fait rage. Tadécia, une ville dévastée, accueille les réfugiés, poussés par l’exode vers cette ultime enclave avant la frontière qui résiste encore. L’armée, en la personne d’un capitaine et d’un lieutenant, se charge de préserver ce qui reste d’ordre, consignant les familles dans les camps de toile ou dans les immeubles encore debout, afin d’en garder le contrôle. Le capitaine installe trois d’entre eux dans ce qui reste d’un théâtre: José, un vétérinaire vite réquisitionné pour soigner les blessés, sa femme Maria, perdue dans des absences de plus en plus longues depuis la mort de son fils aîné et Thomas leur petit dernier, adolescent sans repères qui a grandi au milieu des bombes. Anna, une jolie étudiante en quatrième année d’architecture, squatte déjà les lieux, installée là par le lieutenant, latiniste à ses heures, amoureux d’elle. Elle est plongée dans Saint-Augustin, accrochée à cette lecture comme à un radeau salvateur. Thomas, charmé par sa beauté, n’aura de cesse que de lui réclamer un baiser, le premier vrai baiser qui fera de lui un homme. Charles Boniek, un comédien sur le retour survient, avec dans ses bagages, argent, whisky et saucisson, vestiges de temps meilleurs. Il est accompagné par Mathilde, une jeune femme enceinte, non de ses oeuvres, elle a été violée. Réunis par le conflit, mais aussi unis par lui, ils vont s’efforcer de cohabiter dans l’attente d’un départ vers l’espoir.
Luc Girerd, jeune auteur de 43 ans, cerne avec beaucoup d’acuité les ravages causés par la guerre et ses conséquences physiques, morales et psychiques. Dans un monde où tout s'est écroulé, il démontre qu’au delà de toute religion, l’homme tient en lui-même les clés de son salut ou de sa perte. La religion est d’ailleurs présente puisque sur le terrain s’opposent musulmans et chrétiens, mais cela a-t-il encore un sens: « nous vivons ensemble depuis des années. Nous avons la même langue, la même peau, la même terre », souligne José, que le capitaine met en garde: « Justement, depuis le temps, ils ont appris à nous reconnaître ». Mais la vie est là, il faut la vivre et l’instinct de survie est sans doute le seul point commun qui unit ces huit personnages au bord du gouffre.
L’auteur définit sa pièce comme une tragédie qui ressemble à un vaudeville. Gildas Bourdet a basé sa mise en scène sur ces deux genres, mêlant avec un réalisme et une truculence survoltés le drame et la comédie, suivi par des comédiens hors pairs qui ne reculent devant rien pour offrir quelques scènes où la cocasserie tragique des situations côtoie la dérision. La causticité des propos, l’incongruité des situations ne sont pas sans rappeler l’oeuvre cinématographique du bosniaque Danis Tanovis, No man’s Land. On y retrouve la même vision d’un monde où les frontières de l’absurde et de l’indicible ont été franchies. Théâtre de l’Ouest Parisien - 92 Boulogne-Billancourt (01.46.03.60.44) jusqu’au 6 février 2004.


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