SCENES
DE LA VIE CONJUGALES
Article
publié dans la Lettre n° 288
SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE d’Ingmar
Bergman. Traduction Jacques Fieschi. Mise en scène Michel Kacenelenbogen
avec Muriel Jacobs, Alain Leempoel.
Ils se présentent tout d’abord. Johan en premier. Il est disert
sur sa personne. Pour résumer, il a toutes les qualités. Marianne,
elle, est beaucoup plus laconique, comme si sa propre personnalité
avait peu d’importance face à celle d’un mari qu’elle admire. Ils
sont mariés depuis treize ans et heureux en apparence. Satisfait,
Johan conclut : « Je viens de renouveler le bail ». L’impression
qu’ils donnent aux autres d’eux-mêmes ne concordent pourtant pas
tout à fait à la réalité. Pour les autres, ils sont le couple modèle.
Mais Marianne se pose des questions. Elle analyse les scènes de
sa vie conjugale et sa routine lui déplaît. Son existence est faite
de cases remplies avec ordre, sans surprise. Elle aimerait un voyage
pour briser les petites habitudes, premières ennemies du couple.
Lui n’en ressent pas le besoin. Il est installé dans cette vie et
même s’il ne s’y sent pas très bien, il s’en contente. L’usure est
déjà là mais ils la perçoivent différemment. La première cause est
sexuelle. Marianne ne répond plus comme avant aux sollicitations
de Johan. Lorsqu’ils en parlent, elle cherche à se justifier: «
Cela doit être un plaisir pas un devoir ». Le problème de Marianne
est qu’elle aime son mari et qu’elle a une peur terrible de le perdre.
Lui ne l’aime pas. Il avouera d’ailleurs plus tard qu’il n’aime
personne, pas même ses deux filles. Il aime le confort que Marianne
lui apporte et l’affection qu’il lui porte est seulement d’ordre
sexuelle, ce sexe qu’elle lui apporta autrefois et qui l’avait séduit.
« Pourquoi faut-il que deux êtres qui vivent ensemble finissent
par se fatiguer l’un de l’autre ?». Ils cherchent confusément la
réponse et le bébé qu’elle attend et qui, peut être, aurait conforté
leur amour, elle ne l’aura pas. Un soir, il rentre plus tôt que
prévu pour lui dire quelque chose d’important. « Je suis tombé amoureux
[..] elle s’appelle Paula ». Sous le choc, elle ne lui fait pas
de scène, elle tente seulement de le retenir pour qu’il réfléchisse.
Mais grisé par son bonheur, il part sans même se retourner. Elle
reste dans le foyer dévasté et souffre de cette désertion, en cherche
les raisons et sa propre responsabilité. Le temps passe et il joue
en sa faveur. Si lui va regretter ce coup de folie, elle, comme
toutes les femmes, va petit à petit se reconstruire et renaître.
En un mot très juste, elle va « se libérer » de lui, de cette dépendance
amoureuse qui la tenait prisonnière. Maintenant elle est libre et
surtout elle le voit tel qu’il est, petit, lâche, mesquin, et non
tel qu’elle l’avait imaginé. Il lui est devenu indifférent…
Très bien traduite et mise en scène, l’œuvre phare d’Ingmar Bergman
n’a pas pris une ride. Il était passé maître dans l’art d’observer
ses contemporains et était aussi doué pour décrypter ce qui se passe
dans le cerveau d’un homme que dans celui d’une femme. Muriel Jacobs
est une Marianne remarquable car elle semble vivre son rôle comme
dans la vie. Alain Leempoel reste un peu plus extérieur à son personnage
sauf lors de la signature du certificat de divorce. Là, sa prestation
est excellente. Théâtre Mouffetard 5e.
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