SAVANNAH
BAY
Article
publié dans la Lettre n° 205
SAVANNAH
BAY de Marguerite Duras. Mise en scène et scénographie Eric
Vigner avec Catherine Samie, Catherine Hiegel.
Savannah Bay, un nom enchanteur qui coule comme une vague, pour
un lieu au souvenir lancinant. C’est aussi le point de départ d’une
histoire simple et tragique, celle de la mort d’une enfant et de
la dissolution, dans cette disparition, de l’amour qui lui a été
porté. « Savannah Bay, c’est la baie du souvenir » résume magnifiquement
Jean-Pierre Jourdain, un voyage dans l’inconscient d’une actrice
qui serait dépositaire de la mémoire du monde, de son accomplissement.
Toute l’oeuvre de Marguerite Duras tourne autour de l’amour dans
tous les sens du terme. Dans cette pièce, hommage au théâtre, elle
met en scène une femme brisée par le malheur mais qui se devait
à son art :« La salle a payé, on lui doit le spectacle ». Entre
alors dans le texte ce qui marque également l’oeuvre de Duras, l’obsession
de cet amour, l’obsession de la mémoire qu’elle voudrait garder
intacte mais que la vie efface. L’actrice semble s’être arrêtée
de vivre, de respirer pour prolonger son souvenir. Une jeune femme
patiemment lui parle comme pour la ramener à la vie: «Tu as tout
oublié sauf Savannah...»
Sur la grande scène dépouillée les deux femmes parlent, se répondent
parfois, de façon parallèle mais en osmose. Au fond, on finira par
découvrir une photo, réplique gigantesque de celle d’un visage et
d’une main, ceux de Marguerite Duras, recueillant du regard et du
geste le visage d’une femme. Cette photo est le reflet de la pièce,
ce geste c’est ce qui les lie, ce qui se passe entre elles, l’univers
du non-dit, une éternité d’instants partagés qui ont forgé leur
connaissance réciproque.
Savannah Bay est un théâtre lu plus que joué. Les comédiennes
se fondent dans la pensée de l’auteur, s’attachent aux mots qu’elle
a tracés, en en respectant la résonance sonore et émotionnelle.
En écoutant les voix posées, timbrées, profondes de Catherine Samie
et de Catherine Hiegel, c’est la voix de Marguerite Duras qui nous
parvient, avec le rythme et la respiration si particulières qui
étaient siennes. C’est une musique, une sorte de valse à trois temps,
auxquelles se prêtent les deux comédiennes qui, au détour de chaque
pas, entraînent le spectateur dans l’émotion. Catherine Samie et
Catherine Hiegel ont un passé commun et une connaissance commune
étroite. Elle appartiennent à la même famille du théâtre. Ce lien
était indispensable pour qu’elles expriment aussi bien ce texte-là.
Comédie Française 1er (01.44.58.15.15) en alternance jusqu’au
5 janvier 2003.
Lien: www.comedie-francaise.fr.
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